Memorial Day

Le 11 novembre 2008, Michèle Alliot-Marie désignait en conférence de presse les vingt personnes interpellées le matin même en Corrèze, à Paris, Rouen et dans la Meuse comme appartenant à « l’ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome ».

« S’il est encore trop tôt pour évoquer la naissance d’une police politique ou d’une persécution d’opinion en France, les suites données à cette affaire permettront d’en juger », écrivais-je peu après. Un an plus tard, le doute n’est plus permis. En face des faits, le dossier monté par les enquêteurs, appuyé pour l’essentiel sur un ravaudage de l’Insurrection qui vient, mérite d’être relu (pdf). Et apparaît pour ce qu’il est: un pur délire.

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L'histoire revue et corrigée

Sarkozy réécrit l’histoire, les internautes aussi. L’affirmation obstinée de la présence de Nicolas Sarkozy à Berlin le 9 novembre 1989 a suscité sur le web une réplique visuelle sans précédent par son ampleur et son inventivité. Petite sélection en forme de promenade historique parmi les sites du Post, Libération, Facebook, Hashtable ou Nicolasyetait. Voir également sur Twitter: #sarkozypartout.

La légende de saint Nicolas

Rarement la catégorie des « Wall photos » (photos du mur) sur Facebook aura si bien porté son nom. Après avoir mis en ligne le 8 novembre sur le compte de Nicolas Sarkozy une photo légendée le mettant en scène face au mur de Berlin le 9 novembre 1989, les services de l’Elysée ont bataillé toute la journée d’hier pour accréditer une erreur devenue, au fil des versions et des mensonges, une vraie manipulation de l’histoire.

Il est impossible que ce récit (qui évoque « quelques coups de pioche ») ni cette photo (qui montre un mur déjà percé et un Nicolas Sarkozy attaquant la paroi au marteau) correspondent à la soirée du 9 novembre 1989. Pour la première nuit de l’ouverture d’un mur encore gardé par des soldats en armes, personne ne songe encore à dégrader ni a démolir le symbole. C’est donc la photo elle-même qui apporte la preuve la plus flagrante d’un conflit de temporalités entre la narration et la date alléguée. Des précisions ultérieures apportées par Rue89 ou Les Décodeurs permettront de situer avec plus de vraisemblance l’épisode le 16 novembre, une semaine plus tard.

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Le corps féminin, pâte graphique

chanelknightley

Sur une pub Chanel, est-ce que les seins de Keira Knightley doivent nécessairement être les siens? Sans doute, si l’on croit à la vertu photographique et si l’on pense qu’il s’agit bien d’un portrait de la jeune femme. On peut alors faire mine de s’offusquer de la retouche qui a gonflé sa poitrine (opération que l’actrice a commenté en ces termes: «Those things certainly weren’t mine»). Pourtant, s’il s’agissait d’un mannequin anonyme, l’exercice d’idéalisation qui affecte tous les aspects de cette image fantasmatique ne paraîtrait pas le moins du monde scandaleux, tant nous est familière l’idée que le corps féminin n’est qu’une vulgaire pâte, une matière première pour composition graphique qu’il est normal de retravailler, d’améliorer ou de recomposer. Personnellement, cette deuxième idée me dérange nettement plus que la première. (Illustration empruntée à Dontmiss.)

Un cas de retouche ordinaire en 1938

Un cas de retouche ordinaire, issu du numéro du 13 octobre 1938 de Paris-Match (photographies non attribuées). Dans le cadre d’un reportage sur l’installation du diplomate André François-Poncet à l’ambassade de Rome, une photo légendée: « M. et Mme François-Poncet ont cinq enfants, quatre fils et une fille. Les deux aînés sont, au piano, d’excellents duettistes » occupe le quart inférieur droit de la première page. Le feuilletage le laisse à peine discerner, mais un examen plus attentif dévoile un travail de retouche appuyé de cette image: les cheveux, les contours des yeux ou de la bouche des quatre enfants, les plis des vêtements, le contour des doigts ou des touches du piano ont été largement redessinés au crayon et à l’encre (voir agrandissement). Continuer la lecture de Un cas de retouche ordinaire en 1938

La photo numérique hors du temps

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Dans la publicité pour le parfum Chanel réalisée à l’occasion de la sortie du film Coco avant Chanel (Anne Fontaine) en mai 2009, Jean-Pierre Jeunet fait évoluer Audrey Tautou dans un univers saturé de références à la nostalgie Belle Epoque, entre cuivres de l’Orient-Express, échos de Billie Holiday et couleurs jaunies façon Kodachrome. On est donc un peu surpris de voir apparaître dans les mains de la belle, à la fin du clip, le dernier modèle d’appareil photonumérique Leica (associé à un zoom très peu conforme à l’orthodoxie de la série M), commercialisé en 2006. L’objet est indispensable au scénario, puisque c’est l’immédiateté de l’affichage digital qui permet au personnage de reconnaître le beau jeune homme (Travis Davenport) du train.

La question n’est pas ici d’un quelconque respect de la temporalité, mais plutôt de l’interpénétration des univers. Même si elles piochent dans des périodes différentes, toutes les allusions visuelles et sonores de Jeunet nous renvoient à un passé mythologique. Faut-il comprendre que la marque Leica neutralise l’intrusion du numérique? Ou que l’outil digital est désormais tellement familier qu’il ne brise pas le continuum de la nostalgie? A moins que le clip ne nous montre l’évolution de notre conception de l’histoire. Comme dans les reconstitutions des amateurs d’histoire médiévale, elle s’y manifeste sous les espèces d’un décor standardisé, sorte de Disneyland académique, où l’appareil photo, témoin obligé de la performance, est toléré comme un objet hors du temps.

En Pléïade, combien de fois Twitter?

« Sans craindre que les cent quarante caractères imposés par Twitter ne viennent inhiber le lecteur d’une « Pléiade » de 2 500 000 signes, on peut s’interroger sur les conséquences de l’absence d’une véritable pratique de l’écriture, sur la disparition des correspondances et du temps de lecture qui leur est consacré. »

C’est Antoine Gallimard qui le dit, dans Le Monde daté du 31 octobre 2009. Quel rapport entre Twitter et La Pléïade, entre un outil de signalement en ligne caractérisé par sa brièveté et sa réactivité et les millefeuilles de papier bible, soigneusement reliés cuir pleine peau qu’on offre à Noël? Evidemment aucun, à part le fait que, l’un et l’autre relevant de l’écrit, on peut s’amuser à comparer leur nombre de signes. On comprend bien que derrière la Pléïade se cache toute la noblesse de la vieille culture, culottée comme une pipe en écume, avec un goût de bergamotte au coin du feu. Et que celle-ci, dans l’esprit de Gallimard, écrase de tout son poids et sa légitimité bourgeoise le méprisable trouble-fête de l’ère électronique.

Qui dira au bon père Antoine le ridicule de sa pesée? Qui aura le courage de lui révéler que c’est la petitesse de sa vision qui le condamne aux yeux des nouveaux lettrés? La plus grande insulte à la culture est de confier sa défense à des épiciers.

La photo aux yeux de chat

En couverture du n° de novembre du Chasseur d’images, une photo de Vincent Munier sous le titre: «100.000° ISO c’est possible». Réalisée avec le nouveau Nikon D3s, l’image de « une » n’est pas à 100.000°, mais à 12.800°, sans retouche, ce qui n’est déjà pas mal. L’échelle ISO étant logarithmique, 100.000° est une valeur approximativement 6 fois plus sensible que 1.600° ISO (12.800° = 3 fois), qui représentait du temps de ma jeunesse un horizon indépassable en photo argentique noir et blanc.

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Déjà vu

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Beau travail de repérage et de montage par le « Petit journal » du 28 octobre, repris par Le Post, Le Monde ou Slate (à noter que la version diffusée sur Dailymotion a été retirée le 29; MàJ: celle sur YouTube le 31), d’extraits identiques de discours prononcés par Sarkozy les 19 février, dans le Jura, et le 27 octobre 2009, dans le Maine-et-Loire.

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