Iron Man, homo faber

Mes fils m’ont prêté hier le DVD Iron Man 2. Fascinante introduction de Vanko en forgeron. IM organise la confrontation de deux technologies fondamentales et opposées. Celle de la machine, à l’ancienne, qui se voit et se martèle, celle de l’homme fort: la technologie de l’armure, qui a besoin d’énergie (un cœur), et qui se rattache par l’imagerie à la bagnole (montage/démontage par les robots assembleurs). Celle de l’ordinateur, moderniste, fluide et évanescente, qui se résume à de l’imagerie 3D manipulable, technologie assez évidemment féminine (même si mise en voix par un masculin « Jarvis »), en son service essentiellement auxiliaire. L’homme de fer vs l’image servante, la fusée vs l’ordinateur, l’Audi vs l’iPhone, autrefois vs demain. Je vais me faire écharper par les Ironophiles si je parle d’une ode zemmourienne à la nostalgie de la bagnole (et à la puissance perdue du Stars and Stripes). Pourtant, comme le montre le papa de Tony Stark, le mot « technologie » ne peut se prononcer qu’au passé. L’enjeu du contemporain, c’est sa disparition.

A la recherche de l'image naïve

Les recherches sur la question de l’illustration ont suggéré que celle-ci constituait un usage élaboré. D’où l’idée qu’il fallait aussi soumettre des formes plus banales d’éditorialisation à l’observation. J’ai profité de mon séjour à Montréal pour me plonger dans la presse locale, à la recherche d’une imagerie plus directe et plus naïve.

Je croyais avoir trouvé un bon exemple avec le visage franc de cette infirmière (ci-contre, cliquer pour agrandir), heureusement indemne après une sortie de route causée par la somnolence, alors qu’elle rentrait chez elle après avoir travaillé 12 heures d’affilée. N’avais-je pas sous les yeux une photo exempte des artifices d’une narrativisation excessive, dans un style brut de décoffrage typique de la PQR?

C’était oublier la règle que je venais d’exposer à l’UQAM, à savoir la force de l’unité du dispositif et son invisibilité. Ce point de vue avait du reste été très désagréablement contredit par une collègue, convaincue au contraire que celui-ci était toujours et partout des plus apparents.

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L'imaginaire démocratique, meilleur allié de l'autocratie française

Hier, au colloque « Imaginaires du présent« , Natalia Lebedinskaia (Concordia University) analysait les pratiques d’auto-représentation développées par le mouvement d’opposition au régime iranien en 2009. Face à la volonté gouvernementale d’effacer ou de minimiser l’expression de la contestation, l’habitude fut prise de filmer et de photographier les manifestations (voir ci-dessus), puis de faire circuler ces images par l’intermédiaire des grands réseaux sociaux, pour apporter un témoignage direct de l’expérience vécue. Aujourd’hui soigneusement archivée par la bibliothèque du Congrès, cette contre-propagande a permis de prendre conscience de l’ampleur de la protestation à l’échelle internationale.

Au moment où il nous faut consulter le Boston Globe pour apercevoir l’image de ce qui se passe en France, je ne pouvais m’empêcher de penser que la condition du développement de cette stratégie de communication avait été la conscience de s’opposer à un régime dictatorial, dans un contexte d’information manipulée.

J’ai lu les réactions horrifiées de quelques historiens face aux tentatives de nommer le type de dirigisme qui s’exerce aujourd’hui, prompts à nous assurer que la dictature est loin puisque la devise « Liberté, égalité, fraternité » est toujours inscrite au fronton des mairies. J’admire le sens historique de ces collègues et leur robuste foi dans les actes de langage. Pour ma part, je pense que le type de régime dans lequel on vit ne s’évalue pas en fonction des assurances délivrées par le porte-parole de l’UMP, mais à ce qu’on peut constater dans le réel du respect des expressions adverses. La démocratie se juge à ses effets, pas à son architecture institutionnelle. Continuer à penser que la République protège la diversité des opinions est visiblement une erreur d’analyse. Adapter notre compréhension à la réalité que chacun de nous peut observer pourrait en revanche avoir des conséquences utiles.

Bois, ceci est du vin…

Parfois, il y a des images qui m’arrêtent sans que je comprenne bien pourquoi. Comme ce cubitainer au supermarché, avec son image si ostensible de la bouteille et du verre. Juste le rappel insistant de cette fonction aussi vieille que l’image: la figuration – ce qui fait exister quelque chose en représentation, un cran en-deça de l’objet, pas tout à fait réel, mais presque.

Rien de très mystérieux. Et en même temps, on sent bien ici la nécessité de la figura. Plus qu’un autre, ce breuvage est lié à l’imaginaire d’une consommation traditionnelle. Du vin en cubi, ce n’est pas comme de la bière en canette, c’est une boisson noble ramenée à son état de liquide vulgaire, un rouquin qui a perdu toute allure, de la piquette en boîte. L’image est là pour racheter cette déchéance, à grand coups de reflets et de filets dorés, plus bouteille que moi tu meurs, sur fond évidemment bordeaux.

Comme le visuel en forme de timbre sur nos logiciels de messagerie ou la sonnerie du téléphone reconstituée sur nos portables, la bouteille appartient-elle aux usages déclinants dont il ne restera bientôt que le souvenir en image?

Ce qui me frappe, c’est que si on achète le cubi, à chaque fois qu’on l’utilise, on ne pense pas à l’emballage en carton, mais bien au vin en bouteille. La présence de l’image suffit à mettre en marche l’imaginaire lié à l’objet. De là à dire que le rouge en boîte se consomme à peu de choses près comme l’eucharistie…

Le Monde confond photos et photos d'identité

Alertez les bébés! «A peine nés, et ils ont déjà une identité numérique. D’après une étude internationale, 81 % des enfants de moins de 2 ans sont déjà présents en ligne, que ce soit par le biais de photos ou de profils sur les réseaux sociaux.» Ou comment faire mousser la peur très franco-française des réseaux sociaux. Quand LeMonde.fr résume une pseudo-« étude internationale » d’une entreprise spécialisée dans la sécurité sur internet, il montre surtout qu’il a un train de retard.

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Création de récit (2): Le Point sonne la fin de la lepénisation visuelle

Ca faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Sarkozy souriant – du moins en couverture des magazines. Avec son n° du 7 octobre, Le Point sonne la fin de la séquence de « lepénisation visuelle » du président. Une belle image de couverture, composée par un portrait choisi avec soin pour son sourire teinté de gravité, qui fait ressortir les rides et les cheveux gris d’un président qu’on peut imaginer prématurément vieilli par les soubresauts de l’été (une image réalisée par Jean-Baptiste Vernier (JBV News) à l’occasion de la réception de Benjamin Natanyahou à l’Elysée le 27 mai 2010), mais qui présente la particularité d’avoir été détouré et collé sur un fond dont le dégradé automnal est une création du graphiste. Une retouche inhabituelle pour un portrait d’homme politique, qui apporte la preuve du caractère progagandiste de l’exercice.

Pas le temps de me lancer dans l’analyse iconographique de l’article « Comment il prépare sa revanche », co-signé Anna Caban, Saïd Mahrane et Sylvie-Pierre Brossolette, qui a visiblement beaucoup à se faire pardonner, mais il s’agit d’un cas d’école de construction éditoriale, dont l’iconographie n’est composée que d’images « positives » d’un président souriant, au travail, au contact des Français, etc. Une création de récit digne de l’ancienne RDA, qui manifeste que l’Elysée a décidé de refermer la longue parenthèse de l’été sécuritaire, pour repêcher un président enfoncé au plus bas des sondages par ce choix désastreux. Mais qui confirme aussi à quel point un récit se construit avec des images – ou plus exactement: des suggestions visuelles.

Création de récit (1): le Salon de l'automobile électrique

La plupart des médias – notamment télévisés – ont décidé d’un commun accord que le Salon de l’automobile 2010 serait décrit comme celui du lancement de la voiture électrique (ci-contre: vignette éditoriale sur LeMonde.fr).

Pourtant, mis à part une poignée d’hybrides, toujours largement plus chers que les thermiques, et quelques projets ou annonces, il n’existe qu’un modèle électrique disponible à la vente: la Citroën C-Zéro, clone de la Mitsubishi-Miev, qui sera commercialisée en décembre. Aux alentours de 34.000 euros pour une petite urbaine, soit plus du triple du prix de son équivalent thermique. Avec une autonomie qui n’atteindrait pas les 100 km, sans clim et sans chauffage, d’après les tests effectués par L’Automobile Magazine, et l’obligation de longues périodes de recharge (6 heures), en l’absence de disponibilité de bornes de charge rapide. Techniquement, ça marche. En termes d’usabilité et d’économie, on est encore loin du compte. Côté coût, les spécialistes espèrent une baisse des prix d’environ 50% des batteries d’ici 6 à 8 ans, et les projections les plus optimistes ne voient pas le marché des électriques dépasser les 5% des ventes avant 2020. Autant dire que le récit l’imminence de la voiture électrique est pour l’instant une pure fiction.

La création de récit par les médias est un exercice aussi banal que difficile à prendre sur le fait. On en a ici un exemple manifeste. Prendre de l’avance par rapport au réel est un choix qui relève de logiques narratives et commerciales, et nullement du régime de l’information.

Une planète de rêve

Alarmé par la sombre perspective du changement climatique et autres catastrophes écologiques, mon fils de douze ans a eu l’autre jour une idée lumineuse. Et si on quittait la Terre? Il suffirait de trouver une autre planète pour accueillir l’humanité et repartir à zéro. Désolé, mon chéri, mais tu vois, cette idée-là, elle n’est pas toute neuve. Pendant longtemps, la planète à coloniser s’est appelée Mars. Et puis on s’est aperçu que ça ne marcherait pas. Trop inhospitalier, trop loin, trop cher. Pas possible cette fois-là de rejouer le scénario du far-west. Il a fallu se faire à l’idée qu’on allait rester sur notre bonne vieille Terre, et qu’il faudrait en prendre soin.

Ce qui ne faisait pas l’affaire de la machine à rêves. Mars n’était pas sitôt sortie du jeu qu’on a inventé l’exoplanète. Entendons une planète, de préférence tellurique, située hors du système solaire. Personne ne dit plus qu’on pourrait y aller un jour, même lointain. Mais dans les recoins du néocortex, des connexions s’effectuent en dépit du bon sens. Le désir d’un asile cosmique est trop fort pour qu’on refuse de lui donner forme – fut-ce celle du rêve.

Et c’est ainsi que je trouve ce matin, en illustration de l’article de Sylvestre Huet « Gliese-581-G, exoplanète habitable? » ce qui s’appelle une « vue d’artiste », et qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la planète bleue.

Un bon journaliste sait mettre en scène l’information: «Les astrophysiciens ont-il trouvé leur première exo-planète habitable? C’est à dire où l’eau pourrait être liquide… Peut-être, et il faudra de longues années avant de lever le doute.» Pourtant, quelques lignes plus bas, le doute est vite balayé: trop proche de l’étoile, Gliese-581-G lui montrerait toujours la même face, ce qui n’est pas un pronostic favorable. Qu’importe! Moyennant un titre assorti d’un point d’interrogation, par la grâce d’une « vue d’artiste » improbable, le lecteur aura eu quelques secondes de rêve, et c’est tout ce qui compte.

TF1 ne fait plus peur

La lettre d’Arnaud Montebourg au PDG de TF1 est un excellent signe. Non pas parce qu’il y dénonce le culte du beaufisme de la chaîne de Jean-Pierre Pernaut. Mais parce qu’un responsable d’un grand parti refuse pour la première fois de se coucher devant l’arrogance du média télévisé, qui réclamait des excuses. Ce brusque réveil indique que la nouvelle de son influence déclinante est arrivée jusqu’aux oreilles des politiques. Pour qu’un socialiste ose renvoyer TF1 dans les cordes, c’est que la première chaîne ne fait plus peur.

Celle-ci fait face à un vrai désastre industriel. Concurrence de la TNT, crise éditoriale, managériale et stratégique, chute des ressources publicitaires: la débâcle de la Une a poussé l’ami de Martin Bouygues, Nicolas Sarkozy, à vouloir supprimer la réclame sur les chaines publiques. Mais rien n’y fait. Passée de 42% de part d’audience en 1991 à 26% en 2009, elle suit une pente régulière qui permet de prévoir qu’elle devrait descendre sous les 20% avant 2015.

Premier à subir les dégâts de cet affaiblissement: l’hôte de l’Elysée lui-même, pour qui TF1 avait cousu une émission sur mesure en janvier, afin de lui rendre un peu de son crédit. On a pu vérifier dès les élections régionales l’échec de cette manœuvre. Comme autrefois celui des princes, le pouvoir des médias dominants est fait du poids des habitudes et d’un conformisme poltron. Il suffit d’un impertinent pour découvrir que le roi est nu.