Politique de la mémoire

Méditation à partir du billet de François Bon: « mémoire vive contre mémoire vide« , qui réagit à un article de Pierre Assouline dénonçant, pour aller vite, « la désinvolture de l’époque vis-à-vis de sa mémoire », en pointant du doigt l’outil numérique. Je ne résume pas ici la discussion du Tiers Livre, elle est à tiroirs, puisque Assouline cite de Biasi, le « généticien » des textes, qui regrette évidemment la disparition des brouillons – à quoi Bon répond très justement sur le caractère daté de son modèle. Un chercheur qui dit a un auteur comment écrire pour pouvoir préserver sa méthode me paraît en effet signer sa faillite.

Mais la question ne se limite pas à la mémoire de la littérature. Quels que soient les biais ou les erreurs de raisonnement des Assouline/de Biasi, je crois que leur diagnostic est globalement plutôt exact.

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Toute ressemblance avec des faits réels, etc…

«Le ministère de la Vérité – Miniver, en novlangue – frappait par sa différence avec les objets environnants. C’était une gigantesque construction pyramidale de béton d’un blanc éclatant. Elle étageait ses terrasses jusqu’à trois cents mètres de hauteur. De son poste d’observation, Winston pouvait encore déchiffrer sur la façade l’inscription artistique des trois slogans du Parti:

LA GUERRE C’EST LA PAIX

LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE

L’IGNORANCE C’EST LA FORCE»

(George Orwell, 1984)

Que protègent les droits d'auteur?

Gallimard a menacé hier d’une procédure en dommages et intérêts les éditions électroniques Publie.net, pour la traduction non autorisée par François Bon du Vieil homme et la mer d’Hemingway. L’affaire n’est pas un conflit juridique. C’est un conflit commercial et un abus de position dominante, ce qui explique mieux la tonalité des échanges.

Comme toujours, ceux qui brandissent les règles du droit connaissent bien peu la réalité de l’édition. Les droits exclusifs de traduction sont une drôle de coutume, puisqu’ils ne portent pas sur un texte publié, mais sur toute traduction possible du texte original dans une langue donnée. Que cette règle unanimement pratiquée, qui vise à éviter toute concurrence future au premier acheteur, soit jugée conforme à la loi dit assez à quel point celle-ci est distincte du bon droit.

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Puritanisme visuel vs érotisme de contrebande

Prolongement de la discussion d’hier à La Grande Table avec Geneviève Brisac et Pascal Ory, qui tenait absolument à nous convaincre de « l’érotisation de la Saint-Valentin« , avec un souvenir ému pour les amoureux de Peynet.

A quoi je répondais qu’il me semblait plutôt distinguer un écart grandissant entre:

1) une érotisation de contrebande, dans les produits culturels ciblant le marché jeune et masculin – clips musicaux, blockbusters, jeux vidéos, comics –,  caractérisée par une forte présence de bimbos hypersexuées, mais toujours suffisamment vêtues pour passer entre les gouttes de la censure, soit une vision plutôt adolescente d’une sexualité cachée ou sous-entendue;

2) une impossibilité à mettre une image sur les sujets du sexe-loisir, pratique récréative légitime du couple qui fait l’ordinaire des féminins et, depuis moins longtemps, des mag sociétaux branchés.

Ci-dessus deux exemples piochés au hasard dans les derniers articles de Slate.fr, un pure player qui s’intéresse à nos divertissements privés, et qui associent typiquement à des titres des plus explicites (« Chez l’homme, éjaculer c’est jouir?« , « Sexe: mon manifeste pour le mal baiser« …) de gentilles vignettes d’une étrange discrétion.

Sorti du territoire de la pornographie, cadenassé par l’interdit moral et sociétal, on peut parler sexualité, mais toujours pas la montrer… Voilà qui me paraît un sujet d’enquête approprié pour analyser les distorsions entre l’image et son référent, qui témoigne d’un puritanisme visuel plus marqué que ne le pense Pascal Ory.

Guéant, ouvrier de l'implicite

Alors, Guéant, raciste ou pas? Le plus intéressant dans cette affaire qui ne fait pas un pli, ce sont les hésitations et les doutes à gauche. Qu’est-ce qu’une civilisation? Vérifions dans le Robert. Ou pire: renvoyons dos à dos Guéant et Letchimy, comme si le point Godwin était devenu l’alpha et l’oméga de la pensée critique.

Si l’on en croit les laborieuses justifications du ministre, encore répétées aux Antilles, celui-ci se bornait à exprimer l’idée que la démocratie, c’est mieux que la tyrannie. Ben voyons. Et pourquoi pas qu’il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade? Du coup, on s’explique mal pourquoi les hiérarques accourus à son secours tenaient tant à préciser que «Claude Guéant n’est pas raciste» ou que «Claude Guéant est un républicain». Ça vous viendrait à l’esprit d’évoquer le racisme à propos d’un éloge des droits de l’homme? Continuer la lecture de Guéant, ouvrier de l'implicite

Antiquité du point Godwin

Selon de nouveaux documents d’archives (voir ci-dessus), Atlantico a découvert que le point Godwin existait avant la Deuxième guerre mondiale – sinon de toute éternité. La référence à la tragédie nazie serait une caractéristique anthropologique primitive, un réflexe cognitif élémentaire.

C’est du moins la démonstration que me propose d’effectuer ce site archéologique bien connu, pour demain matin, en échange de la publication de ma photo et de la promotion par hyperliens de mes derniers ouvrages. Tu voudrais pas en plus qu’on te paye pour écrire l’article qu’on te commande?
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La photo ne voit que les apparences

Roland Barthes démenti par la progagande. Dans La Chambre claire, le sémiologue écrivait: «Dans la photographie, je ne peux jamais nier que la chose a été là». Ce qui est manifestement une approximation logique: selon Europe 1, les services de l’Elysée ont requis la présence de figurants pour mettre en scène une assistance plus fournie lors d’une visite de chantier du président-candidat.

[youtube width= »500″ height= »330″]http://www.youtube.com/watch?v=BwfYSR7HttA[/youtube]

Confondre le visible et la vérité est une erreur constante des défenseurs de l’authenticité photographique. Pas plus que l’oeil, la photo ne sait distinguer le vrai du faux: ce qu’elle enregistre, ce sont les apparences. Comme le montre un exemple récent où le mécanisme de protection d’un smartphone  (évoqué par Sylvain Maresca) est facilement dupé (voir ci-dessus), un outil d’enregistrement visuel ne peut pas faire la différence entre un village Potemkine et une vraie agglomération.

On peut donc proposer de réécrire la sentence de Barthes. «Dans la photographie, je ne peux jamais nier qu’on veut me faire croire à l’authenticité de ce que je vois» me paraît une formule plus adaptée à la description des usages sociaux du médium.