La photo de la victoire est sur Twitter

Listant les stéréotypes de la photo de victoire en couverture des magazines, Grégory Divoux se faisait fort de prévoir à l’avance les choix illustratifs découlant de l’élection du nouveau président américain. C’était sans compter avec les réseaux sociaux, qui ont délivré tôt ce matin une autre image symbole: un baiser de Barack et Michelle Obama, se découpant seuls sur fond de ciel nuageux (voir ci-dessus).

Publiée sans nom d’auteur sur les comptes Twitter et Facebook du candidat avec la légende « Four more years« , cette photo a été exécutée le 15 août dernier lors d’un meeting à Dubuque, Iowa (voir ci-dessous, photo Scout Tufankjian, Obama for America).

Son accession au rang de symbole découle logiquement de son choix par les services du candidat pour illustrer le « tweet de la victoire », qui est une première, et de sa reprise par les internautes, qui bat tous les records. Appropriative, partagée, conversationnelle: la nouvelle Une a tous les caractères de l’image privée. Que va-t-il rester au journalisme si les réseaux sociaux lui ôtent jusqu’à ses fonctions les plus emblématiques?

Que vaut l'information distinguée?

Effet Streisand garanti pour l’Association de la presse d’information politique et générale (IPG), à l’origine du projet de « Lex Google » visant à taxer les liens hypertexte des moteurs de recherche au profit des éditeurs de presse. Au-delà des incohérences intellectuelles et juridiques de cette spéculation, au-delà de l’image désastreuse d’un gouvernement acquis aux thèses d’un lobby rétrograde, on retiendra surtout de cette discussion que l’information « de qualité » a au final moins de valeur réelle que symbolique.

Comme le confirment aussi bien les statistiques de requêtes (voir ci-dessus) que les stratagèmes douteux de co-branding des sites de presse, l’attention des internautes se porte en priorité sur des sources d’informations pratiques (météo, programmes télé, commerce d’occasion…) ou encyclopédiques (Wikipedia, YouTube…), les loisirs (jeux, sports…) ou la conversation des réseaux sociaux.

Que vaut l’information distinguée, celle produite par le travail journalistique, à laquelle ses auteurs attribuent la toute première place? Visiblement peu de chose. Destinée en priorité aux « décideurs » (cible privilégiée des chaînes d’info payantes), l’information politique et générale n’a pu être proposée au grand public qu’à la condition de bénéficier de puissants soutiens externes – hier, celui des industriels à travers la publicité; aujourd’hui, celui de la classe politique à travers les aides publiques, qui ont pris le relais (1,2 milliards de subventions pour l’ensemble de la presse).

Pourquoi soutenir une information dont personne ne voudrait s’il fallait payer son juste prix? Comme le montre clairement la collusion politico-médiatique de l’opération anti-Google, la classe politique est bien la principale bénéficiaire de la représentation du monde structurée par l' »info géné ». Croire à la puissance des décideurs est le résultat d’un long conditionnement culturel. Grâce à la « Lex Google », au moins comprend-on mieux quelle est l’utilité réelle de ce théâtre des privilèges, et pourquoi notre intérêt pour ce spectacle décline chaque jour un peu plus.