La saison change-t-elle la nature du travail journalistique? Le sérieux de l’information est-il fonction de l’ensoleillement? Parmi les sujets qu’un journaliste dédaigne l’hiver et redécouvre l’été, les soucoupes volantes occupent une place de choix. Début août, ça n’a pas manqué, de TF1 au Monde en passant par Rue89, la presse nous a rapporté un scoop d’ampleur, issu d’archives nouvellement divulguées par les archives nationales anglaises: un équipage de la Royal Air Force aurait aperçu un OVNI pendant la guerre, témoignage si inquiétant que Churchill en personne aurait décidé de le mettre au secret pendant cinquante ans pour éviter la panique.
Pour quiconque a quelques notions d’ufologie, un tel récit est à mourir de rire. «Aujourd’hui, on parle de soucoupes comme si tout le monde s’entendait sur ce dont il s’agit, explique Pierre Lagrange. Pour nous, s’ils existent, les ovnis viennent d’autres mondes: après 50 ans de controverse dans la presse et la télévision, de films décrivant des invasions « extraterrestres » et quelques centaines d’ouvrages d’experts, l’identité des soucoupes est fixée» (La Rumeur de Roswell, La Découverte, 1996, p. 25).
Tel n’est évidemment pas le cas au début des années 1940, au moment où est censé avoir eu lieu la rencontre, en pleine deuxième guerre mondiale. La notion même de « soucoupe volante » n’existe pas avant l’été 1947, date de publication du premier témoignage par la presse américaine, celui de Kenneth Arnold. A ce moment, au début de la guerre froide, on ne pense pas encore aux extraterrestres pour expliquer ces phénomènes, mais plutôt à des armes secrètes américaines ou soviétiques. Ce n’est qu’à partir de 1950, avec les ouvrages de Daniel Keyhoe (Flying Saucers are real) ou de Frank Scully (Behind the Flying Saucers), puis avec le film The Day the Earth stood still (Robert Wise, 1951) que l’idée s’impose de la présence de mystérieux visiteurs extraterrestres.
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