A-t-il déjà perdu (son image)?

Un pas de plus dans la « lepénisation visuelle » qui affecte le personnage Sarkozy dans la presse depuis le discours de Grenoble. C’est cette fois Le Point qui s’y colle, dans son numéro du 26 août 2010 intitulé: “Présidentielle 2012. A-t-il déjà perdu?”, dont l’enquête est illustrée par un portrait en pied du président le bras levé à l’horizontale (non signée, agence Abaca Press), en une ébauche à peine atténuée de salut nazi (ci-dessus, cliquer pour agrandir).

L’association de Sarkozy et du salut hitlérien ne date pas d’hier: elle a notamment fait florès pendant la campagne de 2007 sur de nombreux sites et forums d’opposition radicaux, à partir de la reprise d’une photo due à Jim Watson (AFP), réalisée le 9 novembre 2004 à Birmingham à l’occasion d’un discours prononcé devant la Confédération de l’industrie britannique (CBI), transformée sur le net en mème diversement retouché (voir ci-dessous).

Faut-il le préciser, Sarkozy ne fait évidemment le salut nazi ni dans l’une ni dans l’autre photo. Il s’agit d’un effet fortuit, créé par l’arrêt sur image de l’instantané photographique. L’usage illustratif de ce clin d’oeil visuel à des fins de dénonciation politique n’était jusqu’à présent le fait que de supports en ligne confidentiels. Apercevoir cette allusion dans les colonnes d’un grand hebdomadaire, qui plus est l’un des soutiens les plus actifs du candidat de l’UMP en 2007, représente une étape significative de la dégradation de l’image du président.

Plus discrète que la photo de 2004, en raison d’une moindre élévation du bras, l’image du Point peut encore passer pour une mauvaise plaisanterie. Elle est néanmoins suffisamment explicite pour que son utilisation en contexte fasse naître le parallèle. En évoquant, fut-ce sur le mode du clin d’oeil, le précédent nazi, l’image va en tout cas beaucoup plus loin que le texte de l’article qui, s’il dresse la liste des faux-pas de l’été, conclut sur la perspective d’un rebond.

Nota Bene: Pour les amateurs de points Godwin, merci de se reporter à mon billet: « Comme Godwin en France« .


MàJ du 06/09/2010. Certains lecteurs, choqués par la brutalité du rapprochement, ont exprimé ci-dessous leur scepticisme face à mon interprétation de l’étrange posture du président comme rappel du salut nazi. Avec la deuxième occurrence du même gag, publié cette fois dans les colonnes du Nouvel Observateur (n° 2228 du 2 septembre 2010, photo: Martinat/MaxPPP), le doute n’est plus permis: il y a bien un démon qui pousse les iconographes à faire lever le bras à Nicolas Sarkozy…

Dans ce second cas comme dans le premier, il s’agit à l’évidence d’un clin d’œil – voire de ce qu’on pourrait appeler un jeu d’images, comme on dit un jeu de mot. De manière encore plus nette que dans Le Point, nous voyons bien que l’illustration joue sur un double sens: celui du salut effectif du président en direction du photographe, et celui qui se superpose à lui de l’insupportable symbole hitlérien. Malgré la dimension ludique censée désamorcer la violence de l’allusion, j’admets volontiers qu’une telle audace à l’égard d’un chef de l’Etat en exercice, dans le contexte d’un grand magazine, a de quoi laisser pantois.

19 réflexions au sujet de « A-t-il déjà perdu (son image)? »

  1. Peut-être que l’effet de suivisme peut expliquer la modération du texte… Le Point ne se permet-il pas ici Une, à son tour, ce que d’autres se sont autorisé avant lui, mais sans être complètement convaincu de la ligne à suivre …

    D’ailleurs, publier une image (même explicite) signée d’un photographe n’appartenant pas à la rédaction équivaut-il au même engagement qu’un édito sans ambiguïté ?

  2. Bonjour,

    Pour moi, l’allusion me semble capillotractée, je n’y vois qu’un geste d’apaisement ou de distance. Soit « ça va, ce n’est rien, j’arrive! » soit « tranquille le chien! ».

    Pour y voir un salut, faut chercher…

    Yannick

  3. @uthagey: « publier une image (même explicite) signée d’un photographe n’appartenant pas à la rédaction équivaut-il au même engagement qu’un édito sans ambiguïté? » Evidemment non. Le choix de l’expression par l’image permet de bénéficier de la marge d’ambiguïté de l’interprétation qui en fait tout le charme – et toute l’hypocrisie.

    @ Yannick Patois: Mon analyse a pour cadre le journalisme visuel, où la signification de l’image s’établit en rapport étroit avec le texte qu’elle illustre. Etant donné qu’il n’existe pas d’interprétation fermée de l’image, on peut tout à fait lui donner les significations que vous indiquez (mais aussi bien, par exemple: « Laisse, c’est moi qui vais descendre la poubelle! »). Le seul problème, c’est que ces interprétations n’ont aucun sens en contexte ni aucun rapport avec l’article, que le lecteur du Point découvre en regard de l’image.

    L’image n’a pas de sens en soi: son sens est construit par l’ensemble des indications issues de la lecture et du contexte. Il faut donc lire le texte pour comprendre pourquoi les éditeurs ont choisi cette image, dans un numéro intitulé « A-t-il déjà perdu? », et dans un contexte où l’analogie avec le Front national ou le nazisme a déjà été maintes fois énoncée (voir les billets cités). Certes, si l’on associait au hasard des images aux articles dans les organes de presse, on pourrait avoir une interprétation ouverte de cette photo, et lui associer le sens: “tranquille le chien”. Mais ce n’est pas ainsi que fonctionne le journalisme. L’image est souvent utilisée pour ajouter une couche sémantique supplémentaire à l’énoncé textuel. Avec une différence importante entre texte et image: le message visuel permet de mobiliser des dimensions implicites. Comme une plaisanterie ou une allusion, il s’agit d’un message légèrement voilé, qu’on peut ou non percevoir, en fonction de la compétence du destinataire. Ce caractère implicite protège l’émetteur, qui a toujours la capacité de prétendre qu’il n’a pas voulu exprimer telle signification. On peut faire la comparaison avec les jeux de mots d’un Le Pen, style Durafour-crématoire – en notant que celui-ci a gagné plusieurs des procès qui lui ont été intentés en raison même du caractère indécidable des énoncés. On a pu montrer avec clarté que ce caractère codé faisait partie d’une tactique délibérée de l’extrême-droite, qui adresse volontiers ses messages les plus violents sous la forme d’un clin d’oeil à l’intention de son électorat. On pourrait faire une démonstration similaire avec les jeux du journalisme visuel, qui ont une dimension créative incontestable, mais dont le caractère ambigu n’est pas exempt de risques.

  4. Sarkozy est en marche, menaçant, tout en hauteur, il descend sur nous, le pied levé comme pour marcher sur quelque chose… Et sa démarche contre les Roms devient, si l’on regarde du côté de son pied gauche, et de sa main droite en plein coming out, une marche sur Rome…

  5. @Patrick Peccatte: Référence bienvenue!

    @Del Debbio: Merci pour le rappel! Je l’avais lu, mais je n’arrivais plus à remettre la main dessus. Sur l’interprétation générale du parallèle avec la période nazie, voir mon billet “Comme Godwin en France“. Dénoncer globalement l’usage de cette analogie historique est à mon avis un contresens. Cela fait 3 ans que Sarkozy est président: il est clair que le recours soudain à ce registre, ou encore à la comparaison lepéniste, n’a de sens qu’en tant que réaction à un épisode ponctuel. Il ne s’agit donc nullement d’une entreprise de disqualification ad personam, comme aimeraient nous en convaincre les amis du président, mais bien de l’expression forte d’un signal, que j’interprète comme la réponse au franchissement d’une limite politique et morale.

  6. Il s’agit de cette photo Life datée de janvier 1937:
    http://www.life.com/image/50650556
    « German fuhrer Adolf Hitler saluting as he leads phalanx of Nazi officials down stairs (including Rudolf Hess behind him) during official visit to Zeppelin field. »
    Je ne sais pas si elle a été publiée par le magazine, je ne l’ai pas retrouvée. Elle est aussi sur GettyImages que connaissent fort bien les iconos (qui ont une bonne culture de l’image). Je suggérais seulement que celui du Point a pu choisir la photo de Sarkozy en référence implicite à celle-ci.

  7. L’image du Point peut se lire aussi « on se calme » ou « pas de panique » d’un président/candidat s’adressant à ses fidèles.
    La comparaison avec la photo de Life ne me semble guère pertinente, car ce qui fait sa force n’est non pas le geste de Hitler, mais l’effet de groupe (oppressant) des dignitaires nazi descendant derrière lui selon une pyramide ordonnée, ou si l’on préfère un triangle qui va s’élargissant et dont on ne voit pas la fin, ce qui renforce encore la notion de « force ordonnée et menaçante » qui se dégage de cette photo.
    Je ne lis rien de tel dans la photo publiée par Le Point.

  8. @Marc Mentré: « Je ne lis rien de tel dans la photo publiée par Le Point »: Une image n’est jamais univoque, chacun y lit donc ce qu’il veut – et moi aussi 😉

    Pour bien comprendre le billet ci-dessus, il faut savoir qu’il remplit le rôle d’un simple relevé, sans proposer d’analyse détaillée. Il renvoie à plusieurs autres articles où j’élabore l’hypothèse d’une « lepénisation visuelle » du chef de l’Etat, contrecoup du discours de Grenoble. Dans mon esprit, il s’agit donc d’examiner les exemples d’une série qui n’est pas fermée, et qui ne prendra tout son sens qu’après coup – du moins si l’hypothèse s’avère fondée.

    Pour interpréter une image dans ce contexte, il faut partir de quelques règles simples. La photo que nous discutons est dotée par le dispositif d’un effet d’échelle considérable: il s’agit de la seule image illustrant, en pleine page, l’article lead du numéro, annoncé en titre de couverture. Il ne peut donc s’agir d’une image insignifiante, elle a été choisie avec soin pour remplir ce rôle. Dans ce cas de figure, la règle de base du journalisme visuel veut que l’image doit avoir un rapport marqué avec le texte, le titre ou la légende à laquelle elle est associée.

    Je ne vois nulle part d’énoncé évoquant un quelconque appel au calme, qui ne correspond certainement pas à la tonalité majeure de l’article, résumé par son titre. En réalité, le problème est que cette image n’a pas de lien évident avec le texte: elle ne correspond pas stricto sensu à une légende explicite, elle n’illustre pas l’énoncé mis en gras, comme on aurait pu s’y attendre (« Pas un jour ne passe, au cap Nègre, sans que Nicolas Sarkozy appelle Brice Hortefeux… », texte qui aurait dû logiquement être illustré par un Sarkozy manipulant un combiné téléphonique). Un autre caractère remarquable de cette image, qui tendrait à confirmer ma lecture, est l’absence de signature (alors qu’elle émane d’une agence tout à fait respectable). Si cette photo n’était qu’un banal portrait du chef de l’Etat, pourquoi omettre le nom du photographe?

    Je l’ai dit: l’allusion au salut nazi dans cette image est discrète. Elle peut très bien passer inaperçue, et je serais tenté de dire qu’elle sera plus volontiers éveillée dans l’esprit d’opposants à la politique du président (c’est effectivement mon cas 😉 En y réfléchissant, je serai surpris que Sylvie-Pierre Brossolette, l’auteur de l’article, qui a toujours été très favorable aux thèses gouvernementales, ait pu admettre une quelconque analogie avec le référent hitlérien pour illustrer son papier. Il pourrait donc s’agir (spéculation de ma part) d’un clin d’oeil de l’iconographe passé inaperçu de la direction de la rédaction en raison de son ambiguïté – ce qui, avouons-le, serait assez savoureux.

    Je propose donc de transformer cette image en test politique: celui qui n’y voit pas le salut nazi peut dès à présent commencer une cure de désintoxication anti-sarkozyste, par exemple en lisant régulièrement Totem et l’Atelier des icônes… 😉

  9. En effet tout est « discret » dans cette image. Plusieurs autres éléments tissent un petit réseau avec l’article, en deçà du geste et de ses échos possibles.
    La figure du Président se trouve ensérrée dans un recadrage dont les limites sont définies par celles de son corps. Sarkozy de pied en cape en quelque sorte. Mais le recadrage, loin de se limiter à coincer le corps de NS, déborde sur une zone
    sombre paraissant dispropotionnée, occupant presque la moitié de l’image : le mur de droite, si l’on peut dire.
    Inutile d’insister sur l’effet de blocage que cet élément
    supplémentaire tend à susciter, sur lequel s’imprime en
    lettres rouges les résultats négatifs du sondage.
    De plus, alors que l’arrière plan se trouve ensoleillé, inondé d’une lumière d’été réfléchie par les plantes vertes, par les murs de couleur claire, dessinant les arêtes des escaliers, NS est passé dans l’ombre. Les arêtes des escaliers soulignent graphiquement cette progression.
    Mais NS est aussi en train de descendre. Il descendra encore, au moins pendant un certain temps.Comme il descend dans les sondages. « Sûr de lui » peut-être, mais la glissade ne saurait tarder. En nous toisant d’un peu trop près, il risque de manquer une marche. Le recadrage inférieur dramatise la situation, son pied gauche se pose virtuellement sur du vide.
    Bref, ces éléments semble conspirer, par contraste avec une attitude déterminée, à traduire, sinon l’éventualité d’une chute, du moins une descente bien réelle.

  10. A gauche : « a-t-il déjà perdu ? »
    A droite : eh, la, on se calme, c’est pas fini, attendez-voir…

    N’est-ce pas aussi pertinent (et contextuel) que d’y voir un jeu sur le salut nazi de la part du photographe ? Et plus en phase avec la ligne éditoriale ? Et plus intelligent, aussi ?

    A vous lire, on dirait que vous voulez absolument plier les faits (du moins celui-ci) à votre hypothèse d’une lepénisation de l’image de Sarkozy…

    Sans animosité aucune ! je suis un lecteur régulier et admiratif de vos analyses…

  11. La dernière Une de Marianne : M. le Président, vous êtes formidable

    sur le blog de Dominique Hasselman (Le Chasse clou):
    http://dominiquehasselmann.blog.lemonde.fr/2010/09/08/sondage-anti-sarkozyste-%C2%AB-in-vivo-%C2%BB/#xtor=RSS-32280322

    Comme réponse à ces toutes ces images « lepennisées » et contrer ainsi l’ambiguïté des codes ou symboles mobilisés qui interdisent la lecture plus qu’elle ne transmettent un message (on reste interdit devant ces images, et celle discuté ici en un bel exemple sinon une preuve…) la dernière Une de Marianne indique une autre voie possible, en jouant de l’ironie et du décalage.

    Même si ça reste un choix de rédacteur, un exemple de plus de journalisme visuel..

  12. Image perdu pour qui ?

    Et si ces images de NS, se référant à un passé monstrueux et aux-pires-heures, etc…, n’étaient que le reflet d’un pressentiment, d’un intuition à propos de ce qu’il se passe, mais sans pouvoir encore le nommer ?

    A en croire cet interview de Raffaele Simone, et à l’inverse d’une dégringolade de NS dans les urnes après le discours de Grenoble, la droite aurait plutôt de beaux jours devant elle, face à un gauche qui n’aurait rien compris à l’individualisme contemporain sur lequel prospère la droite. Une « droite conquérante [qui] s’est associée aux chefs d’entreprise comme aux hommes des médias pour promouvoir une société de divertissement et de défense des intérêts de court terme, tout en promettant la sécurité et la lutte contre l’immigration ».

    A observer les belles âmes de la manif’ de samedi dernier, on peut lui faire crédit.

    Le Monstre doux. L’Occident vire-t-il à droite ?, de Raffaele Simone,  » Le Débat « , Gallimard, 17,50 €. En librairie le 16 septembre.

    http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/09/12/pourquoi-l-europe-s-enracine-a-droite_1409667_823448.html

  13. @ uthagey : il est vrai que la couverture de Marianne (merci pour l’allusion au Chasse-clou) était particulièrement bien trouvée, après celle qui fit polémique, et les articles de cet hebdo à la hauteur de l’ironie à la « une ».

    On ne peut pas en dire autant du dernier « Nouvel Observateur » (du 9 au 15 septembre) où la photo de Sarkozy (en noir et blanc, type Bertillon) avec la mention en blanc sur fond rouge : « Cet homme est-il dangereux ? » tombe dans la démagogie de bas niveau.

    @ Dominique Gauthey : votre expression « les belles âmes de la manif de samedi dernier » fait fâcheusement penser aux récentes déclarations de Hortefeux et consorts. Il ne manque plus que le couplet sur les « intellectuels germano-pratins ».

    J’étais à cette manifestation à Paris, et je vous prie de croire que les salariés, les jeunes, les cadres, les retraités… (que François-Marie Banier était venu, sans complexe, photographier) qui avaient fait l’effort d’y participer – comme dans toute la France – ne ressemblaient pas à votre « observation » quelque peu méprisante.

    L’avenir dira (s’il en est besoin) de quel côté se trouvent les défenseurs des droits de l’Homme et des conquêtes sociales historiques.

    Contre le « monstre doux », il faudrait peut-être interdire aussi les manifestations sans doute inutiles ?

    « La droite conquérante »… mais rien n’est joué ! L’exemple de la politique italienne est justement là pour servir de repoussoir.

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