Fiction et hypothèse (notes)

Dimanche matin, théorie.

Le récit de Théramène (Phèdre) est donné comme un exemple typique de narration, qui a pour fonction de décrire un événement (la mort d’Hippolyte) à ceux qui n’y ont pas assisté («J’ai vu, Seigneur, j’ai vu votre malheureux fils»). Cet événement est le référent du récit, qui produit une représentation qui s’y substitue.

Une manière simple de décrire la fiction, d’un point de vue sémiotique, est de considérer qu’il s’agit d’un exercice qui a les mêmes aspects formels que la description, mais que celle-ci est déliée de toute obligation référentielle. La fiction est aréférentielle: elle se déclare pour telle par convention (selon la formule rituelle: «Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite»). C’est sa nature aréférentielle qui permet de qualifier la fiction de « création » (ou de « poétique »). Continuer la lecture de Fiction et hypothèse (notes)

Album "Mythes, images, monstres"

Album du séminaire « Mythes, images, monstres », 2009-2012, INHA. Dinosaures, conquête spatiale, évolution de l’homme, soucoupes volantes, Beatles, peinture d’histoire, superhéros, mèmes…: résumé de 3 ans d’exploration en culture populaire, en 160 diapos (blog, icono).

[vimeo width= »540″ height= »420″]http://vimeo.com/43681294[/vimeo]

La preuve par les Télétubbies

Hier soir, au moment de se coucher, j’évoque je ne sais plus pourquoi le dessin animé Le manège enchanté. On se retrouve évidemment avec Charles et Louis devant YouTube, à surfer d’Aglaé (et Sidonie) à Zébulon en passant par Chapi Chapo (apapo). Et puis, en se laissant porter par le marabout-de-ficelle de la plate-forme, voilà que surgissent les Télétubbies. Ce n’est plus mon enfance qui s’anime à l’écran, mais la leur. Leur premier programme télé, consommé en VHS (qui doivent encore traîner dans la cave), vers l’âge de deux ans.

On les a aimé, en famille, Tinky Winky, Dipsy, Laa-Laa et Po, sautillantes peluches toujours ravies, qui ont fait partie des premiers mots articulés par nos bambins. Et puis nous les avons oubliées. Une douzaine d’années plus tard, c’était la première fois que nous rouvrions ensemble la boîte à souvenirs.

Chatouillés par le générique, un peu émus, Charles et Louis s’esclaffent rapidement. Ils ne dansent même pas en rythme! Louis dit: maintenant, je ne vois plus que des gens dans un costume, qui s’agitent de façon ridicule. Et moi aussi, à côté de lui, je ne vois en fait que ça: les marques qui trahissent les défauts des rembourrages, et qui désignent les acteurs engoncés dans leur déguisement. Ils doivent avoir chaud! dit Charles. Continuer la lecture de La preuve par les Télétubbies

Consécration du remix

Remarquable exemple de recyclage médiatique de conversation, les interprétations du mème « La France forte » par Libération (21 avril) et Le Nouvel Observateur (26 avril, Serge Ricco) témoignent de la productivité du détournement. Aucune autre affiche n’a produit une telle descendance. Tout se passe comme si le jeu appropriatif du mème avait ouvert l’expressivité de l’image initiale, devenue comme un puzzle à recomposer, une invitation au remix. La reprise en couverture de ces images, au sein d’organes dont le rapport à la culture de l’appropriation reste mesuré, atteste que la reconnaissance du mème est estimée suffisante pour constituer un motif légitime. Continuer la lecture de Consécration du remix

L'image aide à recycler la conversation

Micro-événement de la campagne: l’un des éditocrates les plus ridicules du PAF se vautre en direct sur France 2 (« Des paroles et des actes », 12 avril 2012, voir le compte rendu de Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts sur Libération.fr).

Revendiquant le non-conformisme de son sarkozysme, il anticipe une réplique négative et répète: «Je vais en prendre plein la gueule demain sur internet».

Je n’ai pas suivi les réactions en ligne à ces déclarations. Mais je peux lire le lendemain les comptes rendus de l’événement sur Le Lab d’Europe 1, Arrêt sur images, NouvelObs.com, LeMonde.fr ou LeParisien.fr, qui intègrent plusieurs éléments de la conversation: sélection de tweets (repérés à partir des hashtags #dpda et #FOG), interventions sur la page Facebook de l’animateur, commentaires en ligne sur Facebook ou L’Express.fr (cités par LeMonde.fr). Continuer la lecture de L'image aide à recycler la conversation

Si Sarkozy m'était conté (2007-2012)

Petite compilation de couvertures mettant en scène le personnage Sarkozy, de 2007 à nos jours (cliquer pour agrandir). On observera ici qu’un seul et même visage peut raconter toutes les histoires, selon les choix de la rédaction. Du sourire à pleines dents à la colère, en passant par le doute, l’embarras ou la fatigue, les mines de l’acteur se conforment à la gamme des titres, qui lui imposent leur scénario. Le journalisme est aussi un art de la physionomie et de l’apparence.

De haut en bas et de gauche à droite: 1) L’Express, 23/08/2007; 2) Libération, 18/10/2007; 3) Paris-Match, 20/12/2007; 4) Paris-Match, 06/02/2008; 5) Le Point, 07/02/2008; 6) L’Express, 07/02/2008; 7) Libération, 21/04/2008; 8) Le Point, 17/06/2010; 9) Le Nouvel Observateur, 15/07/2010; 10) Le Nouvel Observateur, 09/09/2010; 11) L’Express, 03/10/2010; 12) L’Express, 29/10/2010; 13) Le Nouvel Observateur, 10/03/2011; 14) Le Point, 07/04/2011; 15) Paris-Match, 13/07/2011; 16) Marianne, 07/10/2011; 17) Le Point, 12/01/2012; 18) Libération, 30/01/2012; 19) Le Point, 16/02/2012; 20) Paris-Match, 29/03/2012.

Se faire un film

A l’occasion de la sortie du film Sur la piste du Marsupilami d’Alain Chabat, qui suscite des avis divergents, je remarque cette introduction par Guillaume Defare sur le Plus. Qu’un film soit rêvé avant d’être vu est un ressort crucial de sa prosécogénie, mais il est rare qu’on raconte sa représentation intime, effacée par la confrontation avec l’œuvre. La formule de clôture résume magnifiquement le but du travail imaginaire de la promotion cinématographique. Accessoirement, ce témoignage montre l’inadéquation du terme de « réception », puisqu’il s’agit bien ici d’anticipation, et plus encore, de participation au travail du film (tout ce à côté de quoi Jacques Aumont est systématiquement passé).

«Ça fait longtemps que j’attendais ce « Marsupilami » par Alain Chabat. J’en ai pensé un peu tout et son contraire avant sa sortie: d’abord, j’ai eu peur du syndrome « Astérix au jeux Olympiques », puis je me suis rassuré en me disant que Chabat avait tout de même réalisé la meilleur adaptation de BD franco-belge avec « Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre » (le « Tintin » de Spielberg ne compte pas, n’étant pas vraiment un film live).

Puis, j’ai frémi d’angoisse en repensant à « Rrrrrrr » qui était quand même sacrément nul, et je me suis rassuré en me disant que ce n’était qu’un accident de parcours. Ensuite, je me suis demandé pourquoi ne pas plutôt adapter « Spirou et Fantasio », la BD d’origine du Marsupilami. Enfin, j’ai eu peur pour le visuel du Marsupilami en lui-même, avant d’être rassuré par les petits génies de BUF, la société qui a pris en charge les effets spéciaux du film. Bref, je ne savais pas trop ce que j’allais voir, mais j’avais sacrément envie de le voir.»

Guillaume Defare, « Sur la piste du Marsupilami: à laisser aux tout petits! » 07/04/2012.

La conversation il y a cinquante ans

Je n’avais pas encore eu l’occasion de voir le documentaire de Jean Rouch et Edgar Morin, Chronique d’un été (1961). Deux choses surtout m’ont frappé. La première est la précision, presque la préciosité de l’élocution de la plupart des intervenants. L’élocution, la façon de prononcer, est peut-être la part la moins contrôlée, et pourtant l’une des plus indicatives de notre habitus social. Tous les personnages de Chronique d’un été, même les prolétaires, s’expriment comme on parle aujourd’hui dans les familles bourgeoises du XVIe arrondissement.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=dhmAVJ4_x0Y[/youtube]
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Puritanisme visuel vs érotisme de contrebande

Prolongement de la discussion d’hier à La Grande Table avec Geneviève Brisac et Pascal Ory, qui tenait absolument à nous convaincre de « l’érotisation de la Saint-Valentin« , avec un souvenir ému pour les amoureux de Peynet.

A quoi je répondais qu’il me semblait plutôt distinguer un écart grandissant entre:

1) une érotisation de contrebande, dans les produits culturels ciblant le marché jeune et masculin – clips musicaux, blockbusters, jeux vidéos, comics –,  caractérisée par une forte présence de bimbos hypersexuées, mais toujours suffisamment vêtues pour passer entre les gouttes de la censure, soit une vision plutôt adolescente d’une sexualité cachée ou sous-entendue;

2) une impossibilité à mettre une image sur les sujets du sexe-loisir, pratique récréative légitime du couple qui fait l’ordinaire des féminins et, depuis moins longtemps, des mag sociétaux branchés.

Ci-dessus deux exemples piochés au hasard dans les derniers articles de Slate.fr, un pure player qui s’intéresse à nos divertissements privés, et qui associent typiquement à des titres des plus explicites (« Chez l’homme, éjaculer c’est jouir?« , « Sexe: mon manifeste pour le mal baiser« …) de gentilles vignettes d’une étrange discrétion.

Sorti du territoire de la pornographie, cadenassé par l’interdit moral et sociétal, on peut parler sexualité, mais toujours pas la montrer… Voilà qui me paraît un sujet d’enquête approprié pour analyser les distorsions entre l’image et son référent, qui témoigne d’un puritanisme visuel plus marqué que ne le pense Pascal Ory.

Influence de la fréquentation sur le consensus critique

Discussion l’autre jour à La Grande Table (France-Culture) avec Alain Kruger et Pascal Ory, consacrée au succès d’Intouchables. La comparaison avec le Tintin de Spielberg, diffusé simultanément, s’impose d’elle même dans la conversation. Sans qu’aucun des participants ne s’appesantisse sur le sujet, il me semble que le consensus critique sur Le Secret de la Licorne, qui ne me paraissait pas encore établi il y a 3 semaines, est maintenant fixé – de façon négative.

Les mêmes intervenants ayant participé à une émission de commentaire du Spielberg peu après son lancement, on pourra utilement comparer les avis exprimés. Quoique cet échantillon n’ait aucune valeur représentative, il paraît logique de déduire de l’évolution du jugement critique l’influence primordiale de la fréquentation du film – qui s’est définitivement effondrée en 5e semaine, tombant à 138.000 spectateurs, chute spectaculaire pour un film ayant débuté à 3.158.318 entrées (927.520 en 2e semaine, 650.052 en 3e semaine, 271.343 en 4e semaine). L’hypothèse conclusive peut donc être formulée comme suit: pour un film populaire, le consensus critique s’établit principalement à partir de l’observation a posteriori de sa réception publique. L’évolution de la discussion critique à propos d’Intouchables, dont la courbe de fréquentation est inverse, corrobore d’une autre façon le même constat (lire à ce sujet la réflexion développée d’Olivier Beuvelet).