Egypte: de la révolution dans les images

Traitement radicalement différent de l’insurrection égyptienne, qui a immédiatement donné lieu à une forte circulation d’images – images qui, précédent tunisien aidant, sont clairement présentées sous un angle révolutionnaire, même en l’absence de renversement du régime. On a accès à la fois à une couverture télévisée abondante par les JT français, les signalements de vidéos amateurs se multiplient sur les réseaux sociaux, et on aperçoit déjà des albums compilés de photos de presse (par exemple sur le Big Picture-like TotallyCoolPix)

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Comment entendons-nous le non-dit?

Il l’a dit. Enfin non, il ne l’a pas dit. Il l’a dit ou il l’a pas dit? Il a dit: « l’indicible ». Un terme qui renvoie à un implicite informulé mais présent à l’esprit de tous – sans quoi son emploi ne pourrait se justifier. Le dire sans le dire, le dire et ne pas le dire. Ça pourrait être une bonne définition de l’usage de l’image dans de nombreuses situations d’illustration, où le message principal ne peut être assumé explicitement, et où il est remplacé par cette forme de clin d’œil, de signe de connivence bien étudié par les spécialistes du lepénisme – où tout ce qui est indicible est entendu sans avoir été dit, avec la complicité des destinataires du message, qui procèdent à sa reconstitution in petto. Ce transfert de la responsabilité de la signification de l’émetteur au destinataire donne au premier la capacité de nier avoir formulé ce qui ne devait pas être énoncé. On peut donc comprendre le recours à l’implicite comme la construction sociale d’une fiction dont le bon fonctionnement repose sur la collaboration de tous les participants de la situation d’énonciation. (Merci à Céline pour son lien.)

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Big Brother est sympa

«Les dizaines, ça fait mal!» Me dit à brûle-pourpoint le contrôleur SNCF qui vient de scanner mon e-billet avec son appareil portable. «Vous inquiétez pas, moi je viens de passer les soixante, vous verrez, on s’y fait!», m’explique-t-il dans un grand sourire.

Pour apporter la réponse appropriée à cette proposition d’interaction sociale, j’ai environ une demi-seconde pour réaliser que le préposé vient d’avoir accès, via le flashcode de mon billet, à ma date de naissance (exigée lors de la réservation en ligne pour établir la catégorie de voyageur à laquelle j’appartiens). L’affichage du millésime 1961, qui annonce l’irrémédiabilité de mon cinquantième anniversaire, a réveillé chez lui le souvenir de son propre passage de décade, visiblement assez éprouvant pour qu’il tienne à me rassurer.

Pendant que la crainte du fichage se nourrit de l’hostilité pour Facebook, les pratiques réelles de circulation et d’archivage de nos données personnelles nous rendent chaque jour un peu plus transparents au regard des grands frères qui veillent sur nous.

Le populisme expliqué aux enfants

On aurait tort de minimiser l’affaire du dessin de Plantu (paru dans L’Express du 19/01/2011, voir ci-dessus). La lepénisation d’un responsable politique – son assimilation au personnage le plus méprisé de la vie publique française – est le plus sévère châtiment de l’establishment médiatique: elle correspond à une mise au ban dont on ne revient pas indemne.

Comme toujours, c’est une image qui est l’arme du crime. Non que l’association Marine Le Pen/Mélenchon n’ait pas fleuri ici où là, comme l’autre jour chez Demorand, qui sait comment chauffer son animal politique. Mais l’image – et plus encore la caricature – est ce vecteur d’un message à la fois parfaitement lisible et parfaitement hypocrite, car jamais assumé jusqu’au bout, autorisant le retrait derrière l’ambiguïté de l’interprétation ou la distance de l’humour.

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Les dégâts du frelon

Gondry est notre meilleur cinéaste actuel, celui qui a le mieux compris l’interaction avec la culture industrielle, tout en gardant sa part d’inventivité. Petit bijou qu’on a immédiatement envie de revoir en sortant de la salle, The Green Hornet fait partie des exercices de relecture au second degré typiques d’une actualité qui n’en finit pas de méditer ses classiques. Sortes de Bouvard et Pécuchet du super-héros, Britt et Kato en dévoilent le fond de sauce, qui est la jobardise. La réjouissante nullité d’ados attardés incapables de séduire ne serait-ce que la Milf du secrétariat est l’équivalent d’un coup de pied au cul à tout l’échafaudage mythologique soigneusement entretenu par Warner Bros. et Christopher Nolan.

Plus intéressant encore, le penchant qu’entretient le film pour la manipulation médiatique, discret fil rouge qui achève de miner les soubassements de l’idéal. Que ce soit du côté du justicier masqué ou du méchant procureur, un journal sert essentiellement à s’essuyer les pieds dessus et à fabriquer des campagnes d’auto-promotion parfaitement mensongères. La sauvegarde de l’honneur du Daily Sentinel passe d’ailleurs par une destruction physique quasi totale de l’immeuble (tout ça pour copier un fichier d’une clé USB finalement vide).

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Votez Carla!

Fidèle à sa vocation d’organe de propagande du régime en place, Paris-Match a publié dans sa dernière livraison une magnifique image qui résume la stratégie de la future campagne pour la réélection de Nicolas Sarkozy. Effectuée le 7 janvier à l’occasion du déplacement du couple présidentiel aux Antilles, la photo d’Elodie Grégoire associe habilement le romantisme de Love Story à la connotation de la puissance élyséenne, avec ces deux profils mêlés regardant dans la même direction à travers le hublot d’un hélicoptère (cliquer pour agrandir).

«Le geste de Carla est tendre et protecteur. Le chef de l’Etat sait qu’il pourra compter sur elle dans les moments décisifs. (…) Le président de la République a donc entrepris une opération séduction. Avec Carla comme carte maîtresse», nous explique Virginie Le Guay.

Traduisons. Totalement décrédibilisé dans l’opinion, à court d’idées et de ressort programmatique, l’hôte de l’Elysée n’a plus pour seule ressource politique que l’affichage de Madame, qui par chance est super-canon. Habile calcul: au cas où ce serait Martine qui porterait les couleurs du PS, le cochon qui sommeille en tout électeur mâle n’hésitera pas longtemps. Quant à DSK, l’âge de ses artères ferait peser un sérieux risque d’accident coronarien sur la campagne. Qui ne s’annonce pas triste.

Ce qui ne va pas avec la culture

Une association de développement culturel me fait parvenir un courrier invitant à une journée de réflexion sur les liens unissant adolescents et culture dans le contexte scolaire.

L’argument est libellé comme suit:

«Les jeunes d’aujourd’hui sont-ils brouillés avec la culture? Les adolescents ont-ils de nouvelles façons de se cultiver? Comment faire naître le désir de culture et de découverte artistique chez les adolescents? Comment les amener à croiser la matière culturelle? Y-a-t-il des oeuvres spécifiques pour les adolescents?»

Malgré le caractère bien intentionné de l’initiative, quelque chose me gêne profondément dans cette manière d’aborder la relation au fait culturel. La formule: «Les jeunes d’aujourd’hui sont-ils brouillés avec la culture?» ne semble pas envisager une seule seconde que les « jeunes » possèdent déjà un bagage culturel qui leur est propre, construit par leur expérience cinématographique, télévisuelle, vidéoludique ou web, qui structure leurs échanges et génère des postures d’expertise ou des mécanismes d’apprentissages et de transmission complexes.

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15 secondes pour France 5

Lorsqu’Andy Warhol énonce en 1968 l’aphorisme fameux selon lequel chacun aura droit à ses 15 minutes de célébrité (« In the future everyone will be famous for 15 minutes« ), la mention d’une durée si brève a pour fonction de ridiculiser cette gloire factice. Quelque quarante ans plus tard, « Médias, le magazine » (France 5) réduit à 15 secondes la durée moyenne d’expression de ses invités. On n’a pas intérêt à bafouiller.[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=G8Izpm_9n_w[/youtube]

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"Mitterrand est à la une de Match"

« Mitterrand est à la Une de Match« , énonce le journaliste d’une émission radiophonique matinale, sur le ton de l’évidence, pour faire réagir son invité. Pour le 15e anniversaire de sa mort, le magazine consacre en effet un dossier fourni à l’ancien président.

Pourtant, dans la façon dont ce choix est décrit, on a l’impression qu’il s’agit d’un fait objectif plutôt que d’une option éditoriale. « Mitterrand est à la Une de Match« , plutôt que « Match met Mitterrand à la Une ». L’implicite que recouvre cette tournure impersonnelle est la conviction que les choix éditoriaux ont en effet vocation à s’imposer comme des faits objectifs.

Si Match est Match, c’est parce que sa rédaction s’efforce de rendre compte de manière impartiale des affaires du monde. Les options retenues au terme du processus éditorial, mystérieuse alchimie collective dont le public ne connaît que le résultat, l’ont été en raison même de leur caractère de généralité et de leur représentativité supposés. En d’autres termes, quand une image s’élève jusqu’à ce sommet de l’énonciation qu’est la Une, l’ensemble du système médiatique la désigne comme dotée d’une valeur éminente et d’une signification supérieure.

Fait aussi indéniable que le constat d’un phénomène naturel, « Mitterrand est à la Une de Match » est un énoncé d’un registre équivalent à « il a neigé » ou « Il y a eu une éclipse de soleil ». Puissance du dispositif (et non de l’image), parfaite circularité du système (où le journalisme entérine ce que le journalisme a produit), génie de l’objectivation.