Le mariage de Kate et William n'a pas eu lieu

Selon une croyance répandue, l’exercice du journalisme est intimement lié à l’événement – phénomène qui peut prendre des contours variés, mais qui suppose à tout le moins d’avoir eu lieu pour qu’on le décrive.

La beauté de la croyance est que le démenti quotidien de la loi ne la contredit d’aucune manière. Soit le mariage de Kate et William, événement qui, à l’heure où j’écris ces lignes, n’a pas encore eu lieu. Ce détail n’a pas empêché notre bonne presse de délivrer à l’avance des kilomètres de teasing – articles, couvertures, dossiers spéciaux voire numéros entiers consacrés à cet épisode mondain de la culture britannique.

On dira qu’un événement de ce type est si prévisible qu’il n’est nul besoin de l’avoir constaté pour en parler. Cette réponse philosophique méconnait grandement l’économie médiatique, qui ne se borne pas à annoncer le rendez-vous, mais dont les efforts pour alimenter le filon peuvent se mesurer à l’inventivité débordante des angles imaginés pour en prolonger le récit. Toujours prompte à se recycler elle-même, la presse va jusqu’à faire de l’évocation de la « frénésie médiatique » une autre façon de rallonger la sauce.

Au contraire de la sémiologie, qui justifie l’affairement médiatique en apercevant au cœur de l’épisode princier quelques leçons de vie fondamentales, je crois que Kate et William nous montrent surtout comment la presse peut faire d’à peu près n’importe quoi un événement d’importance planétaire, par la simple mobilisation de l’appareil médiatique, la répétition et la survalorisation de l’annonce. C’est ce qui est finalement le plus intéressant dans la tradition de couverture de l’événementialité monarchique britannique: qu’elle démontre le fonctionnement « à blanc » de l’œuvre médiatique, machine à focaliser l’attention, pouponnière de l’événement – ou élevage de poussière

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La fourchette de Colette

Début célèbre de La Chambre Claire: «Un jour, il y a bien longtemps, je tombai sur une photographie du dernier frère de Napoléon, Jérôme (1852). Je me dis alors, avec un étonnement que depuis je n’ai jamais pu réduire: «Je vois les yeux qui ont vu l’Empereur» (Roland Barthes, Œuvres complètes, t. 3, p. 1111).

Ce matin, sur France-Inter, j’entends le journaliste Bernard Pivot, membre depuis 2004 de l’académie Goncourt, confier son émotion à l’idée de manger avec la fourchette et le couteau de Colette chez Drouant.

Que ces couverts soient en vermeil permet-il de croire à quelque lien mystérieux avec le photographique? Une fourchette peut-elle enregistrer l’émanation vitale de son usager? Y-a-t’il dans le portrait de Jérôme Bonaparte quelque trace que ce soit de la gloire de l’Empire? Ou bien doit-on plus simplement admettre que l’émoi de la relique n’existe que dans l’esprit de celui qui mobilise ce souvenir?

Performance des images contre image modeste

Sur Culture Visuelle, nous avons eu maintes fois l’occasion d’examiner les variations signifiantes produites par la combinaison des images, de la titraille et des articles dans le contexte presse.

Il faut aussi savoir reconnaître les occurrences où ces distinctions n’ont aucun effet. La destruction de l’œuvre Piss Christ d’Andres Serrano au musée d’Avignon par des catholistes (équivalent du terme « islamiste » dont la création s’impose par respect de la laïcité) a été répercutée par de nombreux sites de presse hier, dimanche 17 avril. Si la plupart d’entre eux ont fidèlement suivi le canevas fourni par la dépêche AFP qui leur servait de guide, on a pu en revanche observer l’expression de positionnements divers à travers la rédaction des titres.

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L'image ventriloque

Et hop, encore une belle pour ma collection! A la Une du Point du 7 avril 2011, une trogne particulièrement sinistre, emprunt recadré et détouré à Eric Feferberg (AFP), en illustration d’un titre qui semble désigner la descente aux enfers du futur ex-président Sarkozy: « La malédiction ».

Le cas est plus complexe qu’il n’y paraît, puisque cette couverture, qui semble traduire l’ambiance de la semaine écoulée (marquée notamment par la publication du programme socialiste ou le départ de l’UMP de l’ancien ministre centriste Jean-Louis Borloo), constitue en réalité une accroche publicitaire pour présenter les bonnes feuilles du bouquin récemment paru de Franz-Olivier Giesbert (M. Le Président. Scènes de la vie politique, 2005-2011, Flammarion). L’auteur de l’ouvrage étant accessoirement directeur du Point, cette opération d’autopromotion sans vergogne est justement épinglée par Arrêt sur images.

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Le jour où la narratologie ne sert à rien

1er avril, jour où l’on lit les médias l’œil aux aguets, le soupçon en bandoulière. Pour dénicher la bonne blague – ou ne pas se laisser avoir par l’astuce trop bien cachée. Au risque de voir des poissons même là où il n’y en a pas. Comment, Endémol aurait un « comité de déontologie« ? Ce n’est pas un peu trop gros, là?

Le 1er avril est le jour où l’on peut vérifier que Genette s’est bel et bien planté. Il est vain d’essayer de repérer des différences formelles qui marqueraient la frontière entre récit factuel et récit fictionnel. Les différents genres du discours, outre qu’ils échangent constamment figures et tours, ne sont que des cadres expressifs qui ne fournissent aucune garantie a priori sur la qualité du contenu. Le caractère de vérité ou de fausseté de tout ou partie du récit n’est jamais une information interne, mais toujours un jugement issu de connaissances ou de croyances externes – et qui peut se modifier indépendamment de l’énoncé.

Le repérage du poisson s’effectue en contexte en s’appuyant sur les compétences encyclopédique et logico-déductive du lecteur. Outre la date du jour, information qui permet d’orienter la lecture (à noter que la relecture de n’importe quel article le 1er avril le colore immédiatement d’une certaine irréalité), il fait partie des usages de glisser un indice qui facilite la découverte de la fraude. De quoi rassurer sur le caractère exceptionnel de la transgression et la solidité de la frontière entre fait et fiction – faudrait quand même pas laisser accroire qu’il est si facile de prendre des vessies pour des lanternes