L'image ventriloque

Et hop, encore une belle pour ma collection! A la Une du Point du 7 avril 2011, une trogne particulièrement sinistre, emprunt recadré et détouré à Eric Feferberg (AFP), en illustration d’un titre qui semble désigner la descente aux enfers du futur ex-président Sarkozy: « La malédiction ».

Le cas est plus complexe qu’il n’y paraît, puisque cette couverture, qui semble traduire l’ambiance de la semaine écoulée (marquée notamment par la publication du programme socialiste ou le départ de l’UMP de l’ancien ministre centriste Jean-Louis Borloo), constitue en réalité une accroche publicitaire pour présenter les bonnes feuilles du bouquin récemment paru de Franz-Olivier Giesbert (M. Le Président. Scènes de la vie politique, 2005-2011, Flammarion). L’auteur de l’ouvrage étant accessoirement directeur du Point, cette opération d’autopromotion sans vergogne est justement épinglée par Arrêt sur images.

Mais la couverture joue précisément sur l’ambiguïté entre promo du livre (« Le récit secret de quatre années à l’Elysée ») et commentaire d’actualité, grâce à l’article de synthèse signé par Sylvie Pierre-Brossolette, sous le titre « La malédiction » repris en Une. Ce tour de passe-passe permet de choisir une image plus en phase avec l’actu («Jamais un chef d’Etat n’a connu pareille descente aux enfers…», dixit SPB), qu’avec le portrait au fil de la plume de FOG, qui n’est lui-même pas très sûr de la tournure qu’il lui donne, et hésite constamment entre lard et cochon.

L’air fermé et sombre du président semble donner toute la mesure de la chute à venir. Si le Nouvel Observateur a déjà à son actif quelques Unes assassines à l’égard du chef de l’Etat, Le Point atteint avec cette couverture le degré maximal de l’expression de sa réprobation visuelle. De la part du magazine qui a été le plus fervent soutien du sarkozysme, cette inflexion constitue assurément un message inquiétant pour le fan-club du régime.

Plus généralement, on peut souligner que l’iconographie de cette présidence aura plus qu’aucune autre documenté la totale plasticité du portrait politique, mis au service d’énoncés les plus divers au fur et à mesure des tournants de l’actualité. Plutôt qu’un visage, Sarkozy aura fourni à la presse une galerie de masques emblématiques, choisis à chaque fois pour donner au récit l’appui concret de l’image – la fausse preuve de la vérité photographique.

8 réflexions au sujet de « L'image ventriloque »

  1. « Plus généralement, on peut souligner que l’iconographie de cette présidence aura plus qu’aucune autre documenté la totale plasticité du portrait politique, mis au service d’énoncés les plus divers au fur et à mesure des tournants de l’actualité. »
    Tu l’expliques comment? La personnalité du Président,une concurrence entre les différents médias qui les conduit à utiliser l’image autrement, un renoncement assumé de la preuve de la vérité photographique 🙂 ?

  2. Je vois au moins 4 facteurs principaux:

    1) Dès avant l’élection, le personnage du candidat-président s’impose comme une valeur médiatique sûre qui fait vendre, ce qui encourage à utiliser son image (durant le quinquennat précédent, Chirac occupe beaucoup moins la Une que Sarkozy).

    2) Souvent comparé à de Funès, Sarkozy est doté d’une large gamme expressive, à laquelle il a pris l’habitude de donner libre cours en public, « rupture » oblige.

    3) L’acculturation aux moyens numériques (prise de vue et bases de données), qui encourage les professionnels à multiplier les « gueules », expressions bizarres ou malvenues, qui étaient auparavant l’exception, et dont la disponibilité est augmentée par l’indexation par mots-clés.

    4) L’affaissement de la fonction présidentielle, conséquence du style Sarkozy, qui autorise à recourir plus volontiers à des images caricaturales du chef de l’Etat, banalisant un mode d’expression auparavant cantonné aux organes satiriques.

  3. Le Point n’a pas assumé visuellement toutes les implications d’une analyse politique basée sur la malédiction. Parler de malédiction implique l’existence d’un sort et d’une victime qui n’est plus responsable des conséquences de ses actes. Surtout quand une opposante « impose sa marque ».

  4. @Loïs: Bien vu! Mais la « malédiction » n’est pas une thèse très solide ni très développée, juste une façon un peu sommaire qu’a trouvé Sylvie Pierre-Brossolette pour éviter d’attribuer à leur véritable responsable la série catastrophique de faux-pas et d’erreurs qui ont affecté la présidence Sarkozy.

  5. Je trouve intéressant d’observer de quelle manière très physiquement sur cette dernière couverture, NS rapetisse. Il est visuellement écrasé par le titre « La malédiction ». L’affaissement de la fonction présidentielle évoquée en commentaire par André trouve sa traduction avec cette une du Point.

  6. @Lyonel: Oui, c’est une observation très juste, le portrait est véritablement rétréci par le titre. Une autre interprétation pourrait être que ce rétrécissement (dont on trouve un autre cas avec le Nouvel Obs) prélude à la disparition de l’image de Sarkozy. Je suis frappé par exemple que la jolie Une de Libé, avec la couronne de fleurs, n’utilise même plus le portrait de Sarko, comme si c’était déjà fini, comme si son image s’était déjà effacée… On va pouvoir vérifier, dans les mois qui viennent, si sa présence s’estompe, et d’abord en Une. Dans la logique médiatique, l’élection du candidat socialiste désignera le nouveau personnage de la campagne. Je ne serai pas surpris que celui-ci mange toute la place.

  7. A noter, également, que le numéro précédent annonçait déjà le retournement politique du magazine, qui semble prendre ses distances avec, je cite, « la droite Zemmour » et « les paris scabreux de Sarkozy ».

  8. Sur le même sujet, la plasticité du portrait politique au service de l’illustration de la sortie du livre de FOG, soit une actualité plutôt négative pour le Président, on pourra noter la couverture du numéro de VSD du 7 avril : http://flic.kr/p/9xCEQB. Avec en sus cette dimension d’outrance, d’exagération, qui caractérise la presse people…

Les commentaires sont fermés.