Marinière et canapé

Je ne discuterai pas ici du conformisme français qui ne tolère un ministre qu’en costume-cravate. Dans ce contexte, il est en tout cas certain que la photo de Montebourg en marinière en couverture du Parisien magazine prête à sourire.

Mais ce qui m’intéresse ici est une autre signature, plus visible si on rapproche ce vêtement du canapé qui servait récemment de support illustratif à l’interview de Dominique Strauss-Kahn, dans Le Point du 10 octobre.

Comme le note David Abiker dans son commentaire de cette image: «Cette position couchée, aucun homme politique d’envergure ne l’offrirait, comme ça, au regard d’un photographe de presse». D’où il déduit correctement le message: «DSK est rangé de la politique».

Abiker n’arrive pas à déterminer si ce message est émis par l’ex-directeur du FMI ou par le dispositif éditorial. Mais la lecture de l’article ne laisse aucun doute: il s’agit évidemment d’une mise en scène imposée par le photographe à son sujet, conforme à l’angle qu’a choisi l’hebdomadaire.

La marinière de Montebourg illustre elle aussi la marge de manœuvre des narrateurs de l’information. Cette image qui sert le journal, en lui fournissant une affiche frappante, mais peut-être moins le ministre, transformé en homme-sandwich, fournit une réponse nette à la question toujours pendante de l’objectivité journalistique.

5 réflexions au sujet de « Marinière et canapé »

  1. La montre du ministre du redressement productif est-elle conforme à ce qu’on attend de lui… (on se souvient de la suisse du minuscule). J’ai des doutes (mais je me trompe sûrement, attaché comme il est à défendre son image – tout le monde peut se tromper, mais il en fait quand même des gigatonnes (françaises, certes)). Et par exemple j’aime à savoir que l’ex du DG du FMI se sert d’un stylet (d’un stylo ? d’une clope ? je ne distingue pas) pour (probablement) tourner les pages de ce qu’il lit sur sa tablette (bon, il ne lit pas, d’accord)… Mise en scène ou lapsus iconique ? (je ne lirais pas cet entretien, mais allongé comme ça, il y a du divan psychanalytique dans ses propos…) (ah ses rêves ont fait long feu…)

  2. André je ne vois pas trop comment tu fais le lien entre ces photos et « la question toujours pendante de l’objectivité journalistique. »

    La photo de Montebourg aurait-elle été plus objective, si elle avait respectée les conventions?
    Il se veut et se croit un homme politique différent. Pourquoi le photographier en respectant les normes sociales du conformisme français, sinon parce que l’on pense qu’il est en réalité conformiste? Ce qui n’aurait été ni plus ni moins « objectif » que de le portraiturer de façon non conventionnelle pour signaler qu’il ne l’était pas.

    Soit DSK nous dit dans l’article qu’il s’est rangé de la politique, et une photo symbolique de ce type est là pour illustrer l’interview, soit il nous dit le contraire mais le journaliste n’en croit pas un mot et la photo est un contrepoint qui vient signifier l’opinion du journaliste. Dans les deux cas, en quoi l’objectivité du journaliste est mise à mal?
    La seule chose que l’on pourrait reprocher au journaliste c’est de tirer sur une ambulance si l’on pense que cette photo va desservir DSK. C’est moralement condamnable, mais le manque d’objectivité me semble plus évident lorsque, à l’inverse, les journalistes servent la soupe.

  3. @Thierry: « La photo de Montebourg aurait-elle été plus objective, si elle avait respecté les conventions? » La réponse est dans la question, non? Mais avec un costume, ça ne se voit pas. Avec une marinière, si.

    « Soit DSK nous dit dans l’article qu’il s’est rangé de la politique, et une photo symbolique de ce type est là pour illustrer l’interview, soit il nous dit le contraire mais le journaliste n’en croit pas un mot et la photo est un contrepoint qui vient signifier l’opinion du journaliste. » C’est comme toujours un petit peu plus subtil… Dans l’interview, DSK dit: « Je n’ai plus de responsabilités publiques, je ne suis plus candidat à rien (…) Par conséquent, rien ne justifie que je sois devenu l’objet d’une traque médiatique qui, certains jours, ressemble à une chasse à l’homme. (…) Qu’on me laisse tranquille! » Ça m’étonnerait beaucoup que DSK se soit allongé tout seul dans le canapé en attendant qu’on lui tire le portrait en plongée. Je pense plutôt que cette photo relève 1) d’une proposition du photographe et 2) d’un choix de l’éditeur, qui l’un et l’autre concourent à élaborer une suggestion dont on peut vérifier avec la réaction d’Abiker quelle signification elle véhicule…

    Aude de Bondy: Plus simplement de l’usage illustratif… http://culturevisuelle.org/icones/1147

  4. @AG oui merci. Les images, j’y pensais beaucoup ces jours.
    J’ai voulu, une fois, changer de département. En cours, par exemple, un prof ouvrait son PC, le branchait dans l’amphi et, projetée, apparaissait alors une illustration montrant une femme positionnée comme celle de Courbet dans ‘L’Origine du monde’, mais on voyait cette femme en entier, pas très bien dessinée d’ailleurs, si je me souviens.
    Pas un dessin qui vous trouble comme une gravure de Dürer… De plus, cette position permettait au dessinateur de montrer le train qui la traversait. Je crois qu’il devait bien avoir les rails. En tous cas, les wagons étaient bien alignés en une courbe régulière, montant à l’assault de l’origine justement… Je ne crois pas qu’il y avait un canapé, je crois qu’il y avait des montagnes, pour le train sans doute.

    J’ai demandé: « D’où vient cette image? ». J’attendais d’un enseignant qui enseigne dans des lieux prestigieux une réponse du genre: « C’est une gravure de telle ou telle artiste, faite dans un moment de grande dépression » ou autre sentiment de perte du monde. Mais il a répondu « Oh… un ami… je ne sais plus… » Ensuite, sans doute, avons-nous passé au coeur du sujet, un exposé – par problème – sur la planéité de la peinture, le all-over ou autre. Ou le roll-over pourquoi pas aussi….

    Les étudiant(e)s n’ont rien dit, je crois. Cette image projetée l’est restée un bon moment dans mon souvenir. J’avais noté aussi sa remarque sur Sophie Calle. Que, au fond, c’était une femme à hommes, je crois me souvenir. Je ne sais pas si cette image a fait signe, si c’était une illustration. Je pensais aussi que sans Sophie Calle, Dürer ou autre artiste, mais pas le dessinateur – mais je peux me tromper, il faut toujours modérer son commentaire si on n’a pas les sources – cet enseignant d’histoire de l’art aurait eu bien du mal à trouver du travail. Je vais donc lire attentivement justement demain votre article.

    Une autre fois, je parlerai peut-être d’un cours d’une prof de civilisation slave. Je me souviens, de séquences qui ont fait signe peut-être, je lirai demain… Elles m’ont fait signe en tous cas:
    Deux heures intenses de vidéo piquées sur Internet et projetées sans discontinuité et sans références, avec en plus la remarque, en fin de séance: « Vous en voulez encore? »
    Il s’agissait des images sur les problématiques des viols collectifs en Bosnie. J’y ai vu des femmes âgées serbes, avec leur foulards à fleurs comme on les voyait dans toute la partie Est de l’Europe en 1990 encore: je voyais ces foulards et même ces jupes froncées courtes et si colorées dans les champs, depuis le train près de Prague, par ex. Mais ces femmes serbes disaient à quel point elles était victime de cette « simple propagande » sur les viols, que rien n’était vrai, que les images mentaient…. nous répétaient encore cette lectrice nationaliste. Je suis resortie vidée. Un cours d’anti-civilisatoin donc. Une fin du monde. Et je vais aussi acheter le livre de @jean_no pour y réfléchir.

    En fait, dans tous ces cas, CV me sert d’anti-cours officiel. Merci.

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