La photo de la victoire est sur Twitter

Listant les stéréotypes de la photo de victoire en couverture des magazines, Grégory Divoux se faisait fort de prévoir à l’avance les choix illustratifs découlant de l’élection du nouveau président américain. C’était sans compter avec les réseaux sociaux, qui ont délivré tôt ce matin une autre image symbole: un baiser de Barack et Michelle Obama, se découpant seuls sur fond de ciel nuageux (voir ci-dessus).

Publiée sans nom d’auteur sur les comptes Twitter et Facebook du candidat avec la légende « Four more years« , cette photo a été exécutée le 15 août dernier lors d’un meeting à Dubuque, Iowa (voir ci-dessous, photo Scout Tufankjian, Obama for America).

Son accession au rang de symbole découle logiquement de son choix par les services du candidat pour illustrer le « tweet de la victoire », qui est une première, et de sa reprise par les internautes, qui bat tous les records. Appropriative, partagée, conversationnelle: la nouvelle Une a tous les caractères de l’image privée. Que va-t-il rester au journalisme si les réseaux sociaux lui ôtent jusqu’à ses fonctions les plus emblématiques?

De quoi le journalisme est-il le nom?

Cours de narratologie des médias. Répondre aux questions suivantes:

1) Parmi ces personnages (magazines de la semaine du 11/10/2012), identifiez celui ou celle qui n’a pas été invité au Grand Journal de Canal+.

2) Que pouvez-vous en déduire sur la nature du journalisme?

3) Parmi ces couvertures, laquelle trouvez-vous la plus réussie du point de vue graphique?

4) Que pouvez-vous en déduire sur le rôle du visuel dans l’espace médiatique?

Souvenons-nous du monde avant internet (suite)

Répliquant à mon billet « Souvenons-nous du monde avant internet« , qui relève une intensification de la curiosité produite par les outils en ligne, un commentateur affirme:

«Avant internet, on pouvait répondre à toutes ces questions… Seulement c’était moins immédiat, ça prenait plus de temps. On devait hiérarchiser et laisser tomber certaines questions ou problèmes jugés secondaires. Nombreux services internet existaient déjà sur le Minitel et avant on avait recours aux dictionnaires, encyclopédies, cartes, revues…
On n’a pas attendu Google maps et mappy pour se déplacer et parcourir le monde.
On n’a pas attendu accuweather pour savoir le temps du week-end.
On n’a pas attendu Wikipédia pour connaître le nom de l’oiseau du jardin.
»

Il y a deux erreurs de jugement dans cette affirmation. La première est que la disponibilité d’une information n’est pas indépendante de ses conditions d’accès: elle est au contraire définie par ces conditions. Mais il est tout aussi faux de croire qu’internet n’a fait que vulgariser un savoir existant, maîtrisé de longue date par les spécialistes de l’outil documentaire. Exemple.

En lisant un billet sur le blog de Patrick Valas, signalé par un contact Facebook, je remarque l’image qu’il a choisi en bandeau, qui représente des promeneurs au bord d’un fleuve (la promenade est un loisir très ancien qui m’intéresse beaucoup).

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Pour une archéologie de la conversation visuelle

L’observation des pratiques sur les réseaux sociaux a mis en exergue la capacité des images à générer la conversation. On peut trouver des précédents photographiques à ces usages, par exemple avec la carte postale, qui développe dès les années 1910 des formes de représentations prêtes-à-l’emploi, ancêtres de l’imagerie des banques d’illustrations, destinées à provoquer l’expression épistolaire (ci-dessus quelques exemples datant des années 1930, voir ici les rectos).

Les spécialistes de la carte postale ne se sont guère intéressés à ces supports de conversation, pourtant assez intrigants, car ils supposent, pour être utilisés, une capacité de projection et d’identification à des fictions standardisées qui ne va nullement de soi, et dont on observe le développement contemporain sur le terrain de la publicité (cf. Roland Marchand, Advertising The American Dream, 1920-1940, Berkeley, University of California Press, 1985).

Les cartes postales usagées fournissent des exemples précieux d’archéologie de la conversation visuelle. A première vue, on remarque le caractère relativement flottant ou ouvert des propositions iconographiques, mais aussi la grande variabilité ou plasticité de leurs appropriations, qui peuvent n’avoir qu’un rapport éloigné avec le support. Reste qu’il s’agit bien d’une iconographie du lien affectif, qui est au coeur des dynamiques de la communication privée.

Consécration du remix

Remarquable exemple de recyclage médiatique de conversation, les interprétations du mème « La France forte » par Libération (21 avril) et Le Nouvel Observateur (26 avril, Serge Ricco) témoignent de la productivité du détournement. Aucune autre affiche n’a produit une telle descendance. Tout se passe comme si le jeu appropriatif du mème avait ouvert l’expressivité de l’image initiale, devenue comme un puzzle à recomposer, une invitation au remix. La reprise en couverture de ces images, au sein d’organes dont le rapport à la culture de l’appropriation reste mesuré, atteste que la reconnaissance du mème est estimée suffisante pour constituer un motif légitime. Continuer la lecture de Consécration du remix

L'image aide à recycler la conversation

Micro-événement de la campagne: l’un des éditocrates les plus ridicules du PAF se vautre en direct sur France 2 (« Des paroles et des actes », 12 avril 2012, voir le compte rendu de Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts sur Libération.fr).

Revendiquant le non-conformisme de son sarkozysme, il anticipe une réplique négative et répète: «Je vais en prendre plein la gueule demain sur internet».

Je n’ai pas suivi les réactions en ligne à ces déclarations. Mais je peux lire le lendemain les comptes rendus de l’événement sur Le Lab d’Europe 1, Arrêt sur images, NouvelObs.com, LeMonde.fr ou LeParisien.fr, qui intègrent plusieurs éléments de la conversation: sélection de tweets (repérés à partir des hashtags #dpda et #FOG), interventions sur la page Facebook de l’animateur, commentaires en ligne sur Facebook ou L’Express.fr (cités par LeMonde.fr). Continuer la lecture de L'image aide à recycler la conversation

Si Sarkozy m'était conté (2007-2012)

Petite compilation de couvertures mettant en scène le personnage Sarkozy, de 2007 à nos jours (cliquer pour agrandir). On observera ici qu’un seul et même visage peut raconter toutes les histoires, selon les choix de la rédaction. Du sourire à pleines dents à la colère, en passant par le doute, l’embarras ou la fatigue, les mines de l’acteur se conforment à la gamme des titres, qui lui imposent leur scénario. Le journalisme est aussi un art de la physionomie et de l’apparence.

De haut en bas et de gauche à droite: 1) L’Express, 23/08/2007; 2) Libération, 18/10/2007; 3) Paris-Match, 20/12/2007; 4) Paris-Match, 06/02/2008; 5) Le Point, 07/02/2008; 6) L’Express, 07/02/2008; 7) Libération, 21/04/2008; 8) Le Point, 17/06/2010; 9) Le Nouvel Observateur, 15/07/2010; 10) Le Nouvel Observateur, 09/09/2010; 11) L’Express, 03/10/2010; 12) L’Express, 29/10/2010; 13) Le Nouvel Observateur, 10/03/2011; 14) Le Point, 07/04/2011; 15) Paris-Match, 13/07/2011; 16) Marianne, 07/10/2011; 17) Le Point, 12/01/2012; 18) Libération, 30/01/2012; 19) Le Point, 16/02/2012; 20) Paris-Match, 29/03/2012.

Adieu Nicolas, bonjour François?

Peut-on transmettre un message caché dans l’image? Cette idée est familière dans les analyses de la publicité depuis The Hidden Persuaders de Vance Packard (1957). Mais le principe de la manipulation subliminale me semble fortement limité par la variabilité de l’interprétation des formes visuelles. Une notion qui me paraît plus robuste est celle de signification implicite, qui repose sur un partage ou une complicité objective entre l’émetteur et le destinataire. Cela dit, il est des cas où l’impression s’impose qu’on joue de l’ambiguïté native de l’image pour délivrer des messages en contrebande, sans qu’il soit toujours possible d’assigner de manière claire leur degré d’intentionnalité. Continuer la lecture de Adieu Nicolas, bonjour François?

Avec en cadeau, la photo de Bourdieu…

Soit la parution, dix ans après la mort de Pierre Bourdieu, de l’édition de son cours au collège de France, Sur l’Etat, au Seuil. Deux journaux événementialisent cette parution: Mediapart publie une enquête en 3 volets sur l’héritage du sociologue, Libération affiche en couverture le portrait de la star (édition du 5 janvier). Comme de coutume en pareil cas, l’annonce par Sylvain Bourmeau d’«une jolie surprise à la Une de Libération» sur son compte Facebook est saluée par de nombreux « like » et reprises. Ce qui m’intéresse ici est ce que révèle la capacité à susciter l’attention d’une Une esthétique, illustrée d’un beau portrait, comparée à sa version « hard« , décorée seulement de la couverture de l’ouvrage, en vignette.

Quoique les deux contenus éditoriaux occupent dans chaque journal la première place dans la hiérarchie de l’information, la Une-affiche semble susciter plus facilement les commentaires et l’appropriation que les articles de Mediapart. « Classe! », s’exclame par exemple Dominique Cardon devant le signalement de la Une de Libé sur Facebook – réaction qui porte visiblement sur la reproduction de l’image. Comme si la photo de Bourdieu – ou plutôt le choix éditorial de Libé – était en lui-même une forme d’hommage. (Re)voir Bourdieu, pour ceux qui l’ont connu et aimé, à la Une du quotidien, est évidemment une joie. Mais il y a aussi le soupçon que c’est ici l’image qui fonctionne comme un cadeau, comme la vignette Panini, l’image pieuse offerte aux enfants sages, la couverture d’un disque…

En comparaison de la mise en valeur de Mediapart, la Une illustrée l’emporte. Elle n’est pas seulement une manière d’organiser l’information, un véhicule éditorial, un message. Elle a quelque chose de plus: d’être une image, un quasi-objet, qu’on peut partager, apprécier en tant que tel. Quelque chose qui s’offre ou s’achète, un objet du désir, une jolie surprise…