La conversation entre dans la caméra

N’en déplaise à ceux qui m’expliquaient doctement qu’un smartphone et un appareil photo, ce n’est pas la même chose (voir mon billet: « Pourquoi l’iPhone est le meilleur appareil photo » et ses commentaires), Nikon vient d’annoncer aujourd’hui la commercialisation du modèle compact Coolpix S800c (16 Mpx, zoom 10x), doté en standard de capacités de transmission wifi (comme la gamme hybride NX et le compact expert EX2F de Samsung), mais surtout de l’OS Android, autrement dit le système de gestion de communication de Google, disponible jusqu’à présent sur les smartphones concurrents d’Apple, qui permet d’accéder rapidement et confortablement au web et de transmettre immédiatement une photo en ligne. Doté d’un écran de contrôle inhabituellement large (3.5″), l’appareil peut également transmettre ses images sans fil à un smartphone ou une tablette en l’absence de wifi (prix annoncé: env. 380 €).

Une telle proposition vient enfin fournir une réponse concrète, de la part des fabricants historiques, à l’évolution décisive des pratiques que je décrivais récemment à Arles (cf. « La révolution de la photographie vient de la conversation« ). Je ne doute pas qu’elle sera rapidement copiée.

L’alliance d’une qualité d’image supérieure à celle des smartphones, associée à des capacités communicantes, pourrait représenter une concurrence non négligeable pour les fonctions visuelles des mobiles. A tout le moins, cette nouvelle étape confirme la fusion de plus en plus en plus étroite du visuel et du communicable et préfigure la pente qui sera suivie par une part importante du marché.

Pour une archéologie de la conversation visuelle

L’observation des pratiques sur les réseaux sociaux a mis en exergue la capacité des images à générer la conversation. On peut trouver des précédents photographiques à ces usages, par exemple avec la carte postale, qui développe dès les années 1910 des formes de représentations prêtes-à-l’emploi, ancêtres de l’imagerie des banques d’illustrations, destinées à provoquer l’expression épistolaire (ci-dessus quelques exemples datant des années 1930, voir ici les rectos).

Les spécialistes de la carte postale ne se sont guère intéressés à ces supports de conversation, pourtant assez intrigants, car ils supposent, pour être utilisés, une capacité de projection et d’identification à des fictions standardisées qui ne va nullement de soi, et dont on observe le développement contemporain sur le terrain de la publicité (cf. Roland Marchand, Advertising The American Dream, 1920-1940, Berkeley, University of California Press, 1985).

Les cartes postales usagées fournissent des exemples précieux d’archéologie de la conversation visuelle. A première vue, on remarque le caractère relativement flottant ou ouvert des propositions iconographiques, mais aussi la grande variabilité ou plasticité de leurs appropriations, qui peuvent n’avoir qu’un rapport éloigné avec le support. Reste qu’il s’agit bien d’une iconographie du lien affectif, qui est au coeur des dynamiques de la communication privée.