Portrait de candidat en vainqueur

Un discours peut-il tout changer? Magie des campagnes, ce moment où le verbe semble doté d’un pouvoir performatif sur les choses – si différent du cours habituel de l’exercice politique, où la volonté a tant de mal à se traduire en actes. Cinq ans après le discours du 14 janvier 2007, par lequel Nicolas Sarkozy donnait le coup d’envoi d’une dynamique victorieuse, le discours du Bourget de François Hollande lui répond mot pour mot.

On dit le candidat socialiste calé sur le modèle mitterrandien. Pourtant, son image qui se détachait sur fond bleu, cette combinaison des drapeaux européen et français, les allers-retours de Louma dignes d’une finale de la Nouvelle Star à Baltard, les perspectives sur la houle des banderoles et des fanions rappelaient surtout le précédent des grandes mises en scènes sarkoziennes.

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MegaUpload: comment se perdent les guerres culturelles

Mégaramdam autour de la fermeture manu militari d’une plate-forme d’échange de fichiers coupable du délit de contrefaçon. Comme l’explique Jérémie Zimmermann, on peut n’avoir aucune sympathie pour ces pratiques et s’étonner de la disproportion de la réaction judiciaire (et j’ajoute: de la réponse médiatique).

Cette disproportion été interprétée comme un signal adressé aux industries du copyright. Elle est aussi la manifestation la plus tangible d’une guerre culturelle perdue.

Dans ses réflexions sur la formation de l’imaginaire des sociétés modernes (Imagined Communities, 1983), Benedict Anderson rappelle le rôle joué par l’imprimerie à la Renaissance dans la reconfiguration des hiérarchies culturelles. En favorisant une « révolution du vernaculaire », cette nouvelle technologie devient le canal privilégié de la diffusion des idées de la Réforme.

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Douce France (qu'est-ce que la culture générale?)

Sciences-po a annoncé en décembre la suppression de l’épreuve de culture générale à l’écrit (mais pas à l’oral) de son concours d’entrée à partir de 2013.

S’ensuit une polémique, alimentée surtout à droite, dont les participants eux-mêmes reconnaissent qu’elle est très franco-française. Sciences Po est une institution symbole de la formation des élites. La culture générale est perçue comme menacée. Sur Causeur, la réactionnaire Elisabeth Lévy relie cet abandon à la conquête des places par les jeunes issus de l’immigration ou les étudiants étrangers. La messe est dite: en supprimant l’examen de culture gé, c’est à la France que Sciences Po donne un coup de poignard dans le dos.

A quoi sert la CG? Ce matin, sur France Inter, Pascale Clark a jugé bon de réveiller un fossile vivant de ce patrimoine géologique: Philippe Sollers. Qui bredouille une réponse incompréhensible en imitant vaguement le phrasé de Mitterrand. Tout est dit. On ne sait pas ce qu’est la culture gé, ni à quoi elle peut bien servir – sauf à reconnaître ceux qui n’en sont pas.

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L'art n'a pas de prix (mais le musée d'Orsay doit boucler son budget)

Je les ai manquées… J’étais dernièrement au musée d’Orsay – mais malheureusement pas le jour du tournage de la pub Etam… Dommage que Christophe Girard, le préposé municipal à la culture adjointe (et accessoirement ennemi de la photo au musée), ne nous ait pas donné son sentiment sur cette forme de distraction industrielle.

J’allais plus platement visiter l’exposition « Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde« , de Stephen Calloway, Lynn Federle Orr et Yves Badetz, qui ferme ses portes le 15 janvier. Belle proposition muséale, qui présente l’intérêt de reconstituer l’esprit d’une époque et d’une société, à travers un ensemble cohérent d’œuvres des beaux-arts mais aussi des arts décoratifs. Une association qui manifeste l’empreinte de classe de l' »aesthetic movement« , divertissement réservé à une élite de privilégiés. Plutôt qu’un musée, l’exposition donne l’impression de visiter un magasin d’antiquités, où il ne manque que l’étiquette du prix aux objets présentés. Un fauteuil, un buffet, une assiette, tous les objets du quotidien portent de manière inévitable la connotation de leur valeur économique, que l’on estime au doigt mouillé à comparaison de son propre équipement mobilier.

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L'aprésident

Ça y est, c’est fini. Le soi-disant président pas encore candidat est en réalité tout entier candidat et déjà plus président. TVA sociale, taxe Tobin, commémoration de Jeanne d’Arc…: avec le mélange typique d’accélération du rythme, de signaux clientélistes et d’effets de contre-pied qui font l’ordinaire du Sarkozy en campagne, le Clausewitz de l’Elysée met clairement les outils de la présidence au service de sa réélection. Plutôt que sur un bilan qu’il sait calamiteux, plutôt que sur l’annonce improbable de projets inexistants, le candidat de la majorité a choisi de tout miser sur un activisme instantané, étrange programme qui a l’avantage de le présenter sous son meilleur jour devant les caméras – mais le gros défaut de postuler un électorat doté d’une mémoire de poisson rouge.

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Jeanne, juste une image…

C’est Michelet qui invente en 1841 la Jeanne d’Arc qui nous est familière. Pour Voltaire, ce personnage de légende n’est que le signe de la crédulité populaire et un objet de moqueries paillardes. Mais au XIXe siècle, la construction du nationalisme puise dans l’histoire le répertoire de ses figures. La Jeanne mère de la France lui fournit une icône de choix, déclinée en d’innombrables produits d’édition. Issue d’un Moyen-Age de pacotille, elle tire en partie son énergie symbolique d’un croisement avec la Marianne révolutionnaire, sa cousine en romantisme. Solliciter aujourd’hui le souvenir lointain de cette figure héroïque, c’est rappeler le temps où l’Etat avait pouvoir sur la marche des choses, et particulièrement celui d’édicter les symboles et les récits d’un peuple. Le branle de ces vieilles icônes ne souligne que plus cruellement la vacuité aujourd’hui du lieu politique, qui n’a plus ni modèle à désigner ni rêve à nourrir, qui a perdu la confiance d’un peuple qu’il a cessé de représenter, qui ne sait plus que jouer avec des images qui ne veulent plus rien dire…

Avec en cadeau, la photo de Bourdieu…

Soit la parution, dix ans après la mort de Pierre Bourdieu, de l’édition de son cours au collège de France, Sur l’Etat, au Seuil. Deux journaux événementialisent cette parution: Mediapart publie une enquête en 3 volets sur l’héritage du sociologue, Libération affiche en couverture le portrait de la star (édition du 5 janvier). Comme de coutume en pareil cas, l’annonce par Sylvain Bourmeau d’«une jolie surprise à la Une de Libération» sur son compte Facebook est saluée par de nombreux « like » et reprises. Ce qui m’intéresse ici est ce que révèle la capacité à susciter l’attention d’une Une esthétique, illustrée d’un beau portrait, comparée à sa version « hard« , décorée seulement de la couverture de l’ouvrage, en vignette.

Quoique les deux contenus éditoriaux occupent dans chaque journal la première place dans la hiérarchie de l’information, la Une-affiche semble susciter plus facilement les commentaires et l’appropriation que les articles de Mediapart. « Classe! », s’exclame par exemple Dominique Cardon devant le signalement de la Une de Libé sur Facebook – réaction qui porte visiblement sur la reproduction de l’image. Comme si la photo de Bourdieu – ou plutôt le choix éditorial de Libé – était en lui-même une forme d’hommage. (Re)voir Bourdieu, pour ceux qui l’ont connu et aimé, à la Une du quotidien, est évidemment une joie. Mais il y a aussi le soupçon que c’est ici l’image qui fonctionne comme un cadeau, comme la vignette Panini, l’image pieuse offerte aux enfants sages, la couverture d’un disque…

En comparaison de la mise en valeur de Mediapart, la Une illustrée l’emporte. Elle n’est pas seulement une manière d’organiser l’information, un véhicule éditorial, un message. Elle a quelque chose de plus: d’être une image, un quasi-objet, qu’on peut partager, apprécier en tant que tel. Quelque chose qui s’offre ou s’achète, un objet du désir, une jolie surprise…