Voici le sein que je ne saurais voir

Très joli coup photographique de Voici, qui pour répliquer à l’exclu de Closer, a annoncé jeudi soir la publication de photos de Kate et William entièrement nus dans son numéro du lendemain.

Il s’agit évidemment d’une autre Kate et d’un autre William (Kate Moss et William Carnimolla), Voici n’ayant à aucun moment précisé qu’il s’agissait des membres de la famille royale. Mais pendant une heure, le magazine a affolé toutes les rédactions grâce au floutage intégral de ses photos (voir ci-dessus), dont le visage n’a été révélé que vers 17h.

Une blague en forme de canular photographique, qui nous vaut la reproduction sur plusieurs blogs people, dont l’inévitable Jean-Marc Morandini, d’un paysage de pixels des plus abstraits, censé préserver comme par magie le pouvoir de preuve que lui confère le dispositif photographique…

Fiction et hypothèse (notes)

Dimanche matin, théorie.

Le récit de Théramène (Phèdre) est donné comme un exemple typique de narration, qui a pour fonction de décrire un événement (la mort d’Hippolyte) à ceux qui n’y ont pas assisté («J’ai vu, Seigneur, j’ai vu votre malheureux fils»). Cet événement est le référent du récit, qui produit une représentation qui s’y substitue.

Une manière simple de décrire la fiction, d’un point de vue sémiotique, est de considérer qu’il s’agit d’un exercice qui a les mêmes aspects formels que la description, mais que celle-ci est déliée de toute obligation référentielle. La fiction est aréférentielle: elle se déclare pour telle par convention (selon la formule rituelle: «Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite»). C’est sa nature aréférentielle qui permet de qualifier la fiction de « création » (ou de « poétique »). Continuer la lecture de Fiction et hypothèse (notes)

L'image aide à recycler la conversation

Micro-événement de la campagne: l’un des éditocrates les plus ridicules du PAF se vautre en direct sur France 2 (« Des paroles et des actes », 12 avril 2012, voir le compte rendu de Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts sur Libération.fr).

Revendiquant le non-conformisme de son sarkozysme, il anticipe une réplique négative et répète: «Je vais en prendre plein la gueule demain sur internet».

Je n’ai pas suivi les réactions en ligne à ces déclarations. Mais je peux lire le lendemain les comptes rendus de l’événement sur Le Lab d’Europe 1, Arrêt sur images, NouvelObs.com, LeMonde.fr ou LeParisien.fr, qui intègrent plusieurs éléments de la conversation: sélection de tweets (repérés à partir des hashtags #dpda et #FOG), interventions sur la page Facebook de l’animateur, commentaires en ligne sur Facebook ou L’Express.fr (cités par LeMonde.fr). Continuer la lecture de L'image aide à recycler la conversation

La photo ne voit que les apparences

Roland Barthes démenti par la progagande. Dans La Chambre claire, le sémiologue écrivait: «Dans la photographie, je ne peux jamais nier que la chose a été là». Ce qui est manifestement une approximation logique: selon Europe 1, les services de l’Elysée ont requis la présence de figurants pour mettre en scène une assistance plus fournie lors d’une visite de chantier du président-candidat.

[youtube width= »500″ height= »330″]http://www.youtube.com/watch?v=BwfYSR7HttA[/youtube]

Confondre le visible et la vérité est une erreur constante des défenseurs de l’authenticité photographique. Pas plus que l’oeil, la photo ne sait distinguer le vrai du faux: ce qu’elle enregistre, ce sont les apparences. Comme le montre un exemple récent où le mécanisme de protection d’un smartphone  (évoqué par Sylvain Maresca) est facilement dupé (voir ci-dessus), un outil d’enregistrement visuel ne peut pas faire la différence entre un village Potemkine et une vraie agglomération.

On peut donc proposer de réécrire la sentence de Barthes. «Dans la photographie, je ne peux jamais nier qu’on veut me faire croire à l’authenticité de ce que je vois» me paraît une formule plus adaptée à la description des usages sociaux du médium.

L'art n'a pas de prix (mais le musée d'Orsay doit boucler son budget)

Je les ai manquées… J’étais dernièrement au musée d’Orsay – mais malheureusement pas le jour du tournage de la pub Etam… Dommage que Christophe Girard, le préposé municipal à la culture adjointe (et accessoirement ennemi de la photo au musée), ne nous ait pas donné son sentiment sur cette forme de distraction industrielle.

J’allais plus platement visiter l’exposition « Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde« , de Stephen Calloway, Lynn Federle Orr et Yves Badetz, qui ferme ses portes le 15 janvier. Belle proposition muséale, qui présente l’intérêt de reconstituer l’esprit d’une époque et d’une société, à travers un ensemble cohérent d’œuvres des beaux-arts mais aussi des arts décoratifs. Une association qui manifeste l’empreinte de classe de l' »aesthetic movement« , divertissement réservé à une élite de privilégiés. Plutôt qu’un musée, l’exposition donne l’impression de visiter un magasin d’antiquités, où il ne manque que l’étiquette du prix aux objets présentés. Un fauteuil, un buffet, une assiette, tous les objets du quotidien portent de manière inévitable la connotation de leur valeur économique, que l’on estime au doigt mouillé à comparaison de son propre équipement mobilier.

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Spielberg a bien créé un nouveau Tintin

Au hasard d’un tour en ville, je tombe sur la nouvelle gamme de figurines  accompagnant la sortie du Secret de la Licorne. Surprise! Les jouets ne copient pas les personnages de la BD, mais reproduisent ceux du film de Spielberg, qui créé donc une nouvelle référence – une première dans l’univers hergéen!

A noter, sur le plan théorique, que c’est bien l’image (la reproduction sous forme de figurine) qui fournit la preuve de la création d’un nouveau modèle: ce n’est que parce que celui-ci est à son tour copié qu’il peut être perçu comme une nouvelle référence, et non comme une version dérivée de la bande dessinée originale.

Aliénante fiction (retour sur entretien)

Entretien productif hier avec Martin Quenehen, qui a juré depuis longtemps de me réveiller aux aurores en plein mois d’août pour discuter de blockbusters sur France Culture. Une invitation formulée au début de l’été, qui m’aura incité à accentuer ma consommation de films commerciaux US (je n’aurais sans doute pas été voir Transformers 3 sans cette opportunité).

Les Matins d’été, 16/08/2011 (19 min.).

C’est donc à Martin que je dois deux petites illuminations récentes: 1) la prise de conscience de la relativité de la fiction comme produit parmi d’autres de l’offre culturelle (un point important pour moi qui ait jusqu’à présent articulé mon investigation du phénomène culturel autour de la notion de récit), débouchant notamment sur l’opposition symétrique divertissement/culture et sur l’idée d’une (sur)valorisation de la signification en régime culturel; 2) la découverte (via l’expérience d’une exposition sur Rue89) que la virulence des commentaires des fans de blockbuster, et particulièrement leur disqualification de la signification, correspond à une véritable revendication culturelle, une opération de distinction paradoxale. Qui a dit que les circulations médiatiques n’étaient pas profitables?

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Je demande la Joconde

Christian Bouche-Villeneuve, dit Chris Marker, expose en Arles un ensemble de photos prises dans le métro parisien pour un album intitulé Passengers (tout est toujours plus chic en anglais)… Dans cette série assez monotone, quatre images ont été mises en exergue, accouplées à des vignettes qui reproduisent des tableaux plus ou moins célèbres (voir album pour les vues détaillées).

A une jeune fille pensive qui le regarde droit dans les yeux, Marker associe le portrait de Mlle Rivière par Ingres (1805). Une brune à la coiffure serpentine se voit accoler le profil de la dame du Lac par Edward Burne-Jones (1874). Une femme endormie aux bras croisés a pour pendant la Joconde (Léonard, 1506). Une jeune maman qui tourne la tête en arrière est comparée à l’Orpheline au cimetière de Delacroix (1824). Continuer la lecture de Je demande la Joconde

L'attente du cinéma, c'est déjà du cinéma

Sur le périphérique parisien, à proximité de la porte d’Italie, on peut voir cette publicité sous forme de peinture murale pour le prochain épisode de Harry Potter (Harry Potter et les reliques de la mort, 2e partie), assortie d’un afficheur qui annonce le décompte avant la sortie du film: – 40 jours, 6 heures, 23 minutes (photo prise le 3 juin).

On peut éprouver des émotions intenses au cinéma. Mais le meilleur film est toujours celui qu’on n’a pas encore vu, celui qu’on attend, celui qu’on rêve. L’installation de cette attente est devenue l’un des principaux volets de l’œuvre cinématographique, une œuvre parallèle parfois aussi importante que le film, du point de vue de son organisation, de son budget, mais aussi de son pouvoir imaginaire. On ne va pas voir le même film selon la qualité de l’attente qui a précédé sa sortie. L’attente du cinéma est déjà du cinéma. Il est regrettable que la recherche accorde si peu d’attention à cette dimension constitutive de la construction culturelle.

Sarkozy contredit Chomsky

On s’en doute, la panique qui gagne la droite devant la perspective de la déroute aux prochaines présidentielles, obstinément confirmée par les sondages, n’est pas pour m’attrister. Mais cette circonstance électorale me pose un problème théorique. Selon la thèse naguère défendue par Noam Chomsky et Edward Herman dans La Fabrication du consentement (1988/2008, Agone), largement partagée à gauche, les puissants ont la capacité d’imposer au peuple les représentations qu’ils souhaitent par l’intermédiaire des institutions et des médias qu’ils contrôlent. Or, comme la chute du Mur ou les révolutions arabes, en cas de non-réélection, le cas Sarkozy apportera un sérieux démenti à cette thèse.

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