Entretien productif hier avec Martin Quenehen, qui a juré depuis longtemps de me réveiller aux aurores en plein mois d’août pour discuter de blockbusters sur France Culture. Une invitation formulée au début de l’été, qui m’aura incité à accentuer ma consommation de films commerciaux US (je n’aurais sans doute pas été voir Transformers 3 sans cette opportunité).
Les Matins d’été, 16/08/2011 (19 min.).
C’est donc à Martin que je dois deux petites illuminations récentes: 1) la prise de conscience de la relativité de la fiction comme produit parmi d’autres de l’offre culturelle (un point important pour moi qui ait jusqu’à présent articulé mon investigation du phénomène culturel autour de la notion de récit), débouchant notamment sur l’opposition symétrique divertissement/culture et sur l’idée d’une (sur)valorisation de la signification en régime culturel; 2) la découverte (via l’expérience d’une exposition sur Rue89) que la virulence des commentaires des fans de blockbuster, et particulièrement leur disqualification de la signification, correspond à une véritable revendication culturelle, une opération de distinction paradoxale. Qui a dit que les circulations médiatiques n’étaient pas profitables?
Plusieurs points de l’entretien des Matins d’été me paraissent intéressants et devraient faire l’objet de réélaborations. Je note au passage l’idée que le blockbuster, en tant qu’il est construit (au moins à l’origine) comme un fait de réception, constitue bel et bien un symptôme majeur de l’économie culturelle de la période contemporaine, qui se développe essentiellement comme un commerce, mais associé à un système de valorisation par la critique lettrée, qui neutralise sa dimension économique. Or, parler d’un film comme d’un blockbuster, c’est l’envisager d’abord comme une production commerciale plutôt que comme une œuvre, donc prendre en compte la part de construction du marketing (un investissement qui peut représenter de la moitié à trois fois le coût de production d’un film), ainsi que la réponse du public.
J’enregistre également pour la route la question de Martin Quenehen sur le goût des blockbusters pour la représentation numérique de l’ennemi, à laquelle j’ai répondu un peu vite par le politiquement correct, ce qui est très insuffisant. La présence désormais « organique » de l’image de synthèse dans les films à grand spectacle est un problème magnifique et troublant. Pour le dire vite, quand l’ordinateur peint des dinosaures ou des Na’vis, on sait qu’on a sous les yeux des créatures artificielles, dont on admire le réalisme. Il est beaucoup plus malaisé de tracer cette frontière quand la palette graphique triture des pingouins ou des singes, animaux bien réels dont nous ne connaissons que très imparfaitement les comportements et les expressions. La question du réalisme cède ici le pas à celle de l’illusion, ce qui est une autre paire de manches.
Bonne question sur la réécriture de l’histoire par l’image, à laquelle j’ai répondu à côté parce que j’avais l’esprit parasité par l’idée de répétition. Je reviendrai en séminaire sur la bonne réponse, qui est que l’histoire (populaire) se construit pour l’essentiel par l’image. La naturalisation de ce processus depuis la peinture d’histoire explique pourquoi le surmoi de l’historien rejette avec vigueur l’idée même d’une prise en considération de l’image.
L’invitation des Matins d’été avait pour principal objet de revenir sur le sens que l’on peut donner aux évolutions des choix de récit des productions grand public US. J’ai joué le jeu et proposé une réponse autour de la difficulté de la société américaine à identifier son Autre. Cette piste interprétative, pas forcément très originale, mériterait de longs développements, entre histoire de la colonisation et psychanalyse. Je me bornerai ici à souligner qu’une représentation crédible de l’altérité me paraît un facteur essentiel à la fois de la construction identitaire d’une société et de la vraisemblance de ses fictions.
Mais le problème que Martin Quenehen n’a peut-être pas aperçu, c’est que derrière l' »adieu à la fiction » se cache une interrogation plus fondamentale des jeux interprétatifs de la critique. La fiction peut-elle être vraiment considérée comme le « miroir » d’une société? Qu’est-ce que suppose une telle hypothèse? Je ne suis plus tout à fait sûr de la pertinence de ces explications « sociétales » qui ont fait les beaux jours de la critique littéraire puis cinéphilique – et auxquelles je me suis moi-même livré avec délices. Si ces théories peuvent avoir un pouvoir explicatif, il faut admettre leur caractère de spéculation personnelle. Il me semble aujourd’hui plus intéressant de considérer l’ensemble de ces jeux interprétatifs comme un élément fondamental de la construction culturelle elle-même: une machine à produire des significations – qui est encore une autre façon de se raconter des histoires.
On le constate: mon esprit d’escalier fait de moi un mauvais candidat à l’interview. Dans mon cas, le mieux serait de m’envoyer les questions quinze jours à l’avance pour que je puisse y réfléchir à tête reposée. Je doute d’arriver à imposer cette formule aux journalistes de France-Culture. Merci en tout cas à Martin pour sa lecture attentive et ses questions subtiles, qui ont produit des rebonds inattendus et des perplexités fécondes.
Plutôt que «miroir», le terme de symptôme est approprié ; même si je tendrais à un plus neutre «signe», qui permet en outre de renvoyer à un sens. Qui réside à mon avis dans une analyse politique : la production culturelle d’une époque montre comment cette époque perçoit sa production culturelle, et donc son rapport avec elle-même. ‘Ça’ dit des choses, pas dans son discours propre, mais par sa présence et sa portée.
Il semble que depuis quelques temps, les films de cinéma populaires négligent la construction frictionnelle des scénarios, pour privilégier des développements de situation : on définit des caractères et on voit comment ils se débrouillent dans différentes situations. C’était déjà un peu le cas avec Jurassic Park, non ? Le gros du travail scénaristique est dans l’écriture des ‘bibles’, où sont consignés les traits et histoires des différents personnages. Est-ce une réelle nouveauté ? Je ne sais pas : après tout, c’est le cas de nombre de westerns, je pense ; il se trouve que ce ne sont pas ceux qui sont devenus des paradigmes du genre, la masse produite s’est décantée.
C’est comme l’intrusion des effets spéciaux numériques : à des degrés de capacité de lecture/décodage différents, liés à l’époque, à l’habitude et à la répétition, sommes-nous dans une problématique différente qu’à l’époque de Méliès ou de Murnau ? Nous savons décoder aujourd’hui les trucages utilisés, mais le public de l’époque ?
@b, en passant: J’emprunte « miroir » à Martin Quenehen (qui le tient lui-même de Stendhal). Ce n’est pas un si mauvais terme, si l’on songe que c’est celui qui tient le miroir qui contrôle l’image qui s’y forme.
A mon avis, c’est donc toujours un « qui » (plutôt qu’un « ça ») qui parle – ou plus exactement qui fait parler les fictions, marionnettes dociles, qui sont faites pour être ainsi soumises aux jeux de miroir de l’interprétation. Attention, je ne dis pas que ces lectures sont sans valeur ni intérêt, au contraire: l’élaboration d’hypothèses pertinentes est bien une clé de notre compréhension du social, sans laquelle celui-ci resterait un chaos inintelligible.
Vous avez raison de souligner l’historicité de la perception des effets spéciaux. Néanmoins, à propos des effets numériques, il me semble que nous sommes en train de changer de problématique. Dans « Planète des singes, les origines », je ne suis plus capable de discerner ce qui relève du trucage et ce relève de l’enregistrement. L’impression est vraiment différente de celle produite par Jurassic Park, où l’on n’a jamais le moindre doute sur la nature de ce qu’on voit. Cet indiscernable produit un doute étrange qu’on promène sur toutes les images (c’est d’autant plus intéressant que le propos du film est bien de jouer sur le brouillage de la frontière entre humanité et animalité).
Il y a le même type de méconnaissance, ou de doute, lorsqu’on voit « La Féline » de Jacques Tourneur ? (j’aime bien aussi, au cinéma, lorsque les stars deviennent des monstres, et il y a peut-être bien là aussi la pertinence des jeux d’acteurs-qu’est-ce que c’est un acteur, un humain ou un faux ?)
Joli debriefing. Bonne surprise, cette matinale rondement menée, les questions étaient vraiment intéressantes. La suite avec MQ en séminaire?
Je ne crois pas non plus que le numérique fasse changer la problématique des effets spéciaux fondamentalement, en tout cas sur des effets aussi massifs que ceux de la planète des singes. Au passage, la planète des singes me semble une anti-thèse de votre position sur les blockbusters, qui me semble reposer sur une absence de définition: la planète des singes est-il un blockbuster, et auquel cas, son scénario tient-il de « l’adieu à la fiction »? Je ne le crois pas. Je pense, en plus, qu’on observe une tendance à l’historicisation des fictions, qui proposent un univers de plus en plus temporalisé avec les sequels et les préquels développés massivement (dont procède « Rise of the planet of the Apes », dont le titre français accuse encore plus cette dimension en utilisant le devenu générique: « origins »).
D’autre part, plusieurs « blockbusters » (entre guillemet, en l’absence d’une clarification) sont des reprises qui favorisent la lecture auteuriste d’une franchise (les Batman de Christophe Nolan, la reprise de la franchise Spiderman, qui vise à mon sens, du moins au vu des bandes-annonces, à renouveller l’approche « adolescente » de la précédente trilogie – sans doute avec aussi l’objectif commercial de raccrocher la génération des premiers spectateurs avec une version plus « adulte » (comprendre: plus sombre).
Pour revenir à la question des effets spéciaux, ils ne sont pas non plus à prendre comme un ensemble homogène et unifié. On sait qu’ils existent – voire qu’ils font partie de l’appréciation – dans certains genres (fantastique, SF, Fantasy et anticipation) où leur présence ne fait pas problème (de ce point de vue, je mettrais la planète des singes dans le même sac qu’Avatar: le spectateur même moyen se doute – et la communication autour du film ne cesse de l’indiquer – que les singes ont été produits numériquement, peu importe à partir de quelle technique, le motion cap ayant la côte). Leur valeur consistant dans le fait qu’on les oublie au fur et à mesure que le film se déroule – et qu’ainsi on puisse les qualifier de « réaliste », sans doute avec abus de langage, le terme « vraisemblable » étant peut-être plus juste.
Mais même au sein de ces productions attendues, la question du remplacement numérique de l’acteur reste celle qui inquiète: pourra-t-on un jour faire jouer un acteur mort? Créer un acteur complètement « virtuel » (entendons par là, entièrement en images et sons de synthèse) mais réaliste – qu’on pourrait prendre pour un vrai acteur?
La question est au fond, toujours la même: peut-on créer une illusion parfaite de la réalité?
La réponse est, me semble-t-il, toujours hors-champ, c’est-à-dire en dehors du lieu où la question est posée.
En effet, si les univers audiovisuels fictionnels la posent, c’est toujours in fine comme question esthétique, reposant sur l’acceptation initiale du principe de fictionnalité. Là où ça se complique, c’est lorsque la prétention réaliste vise à faire croire vraie, authentique, une illusion fictionnelle, c’est-à-dire quand l’illusion technique n’est plus qu’un moyen parmi d’autres pour faire adhérer à un discours sur la réalité, servant d’autres objectifs (politiques, commerciaux, etc.). Les différentes images (et refus d’images) de Ben Laden le montrent, les vraies/fausses interviews fustigées par le milieu de la presse aussi, certaines campagnes publicitaires insistant sur l’excès de trucages (DOVE) d’une autre manière: ce qui se joue, c’est la croyance en la vérité de l’image, et la fiction ne fait que l’interroger aimablement (même si certaines fictions poussent plus loin cette interrogation, en font leur moteur narratif, comme Inception, Matrix, Existenz, etc.), ce avec quoi tout spectateur de fiction est d’accord, par convention.
Sur le numérique, c’est une interrogation. J’attends de collecter d’autres observations pour mieux comprendre le phénomène. Sur le principe, la figure du dinosaure représente selon moi l’exemple-type d’un jeu délibéré sur les pouvoirs de la figuration comme performance (voir par ici) – performance qui disparait logiquement dès lors que l’apport figuratif devient indiscernable.
La définition du BB a bougé depuis 1975, et son application à Jaws (Spielberg) comme phénomène du box-office (1er film à franchir la barre des 100 millions $), qui suppose à la fois une technique de commercialisation particulière (lancement simultané dans le plus grand nombre de salles), mais aussi et surtout une réponse positive du public, ainsi qu’une viralité particulière en termes de produits dérivés, effets médiatiques ou reprises diverses. Confirmé par le succès de Star Wars en 1977, le BB s’impose comme la recette du succès et devient rapidement la norme du cinéma commercial. Aujourd’hui, l’expression est devenue à peu près synonyme de « film commercial à gros budget », son sens originel étant désormais transmis au terme « tentpole » (mot à mot: pilier de tente), qui désigne LE succès du moment, le film dont tout le monde parle.
« L’adieu à la fiction » est une formule supposée caractériser T3, que j’englobais dans un phénomène plus général de « secondarisation de la fiction qui caractérise la production hollywoodienne depuis l’émergence du système du blockbuster, où la puissance de l’attraction de foire a pris le pas sur la séduction du récit ». Pour être plus précis, le problème est moins celui des effets spéciaux que celui de leur prosécogénie, ou pour le dire plus simplement: dans le fait d’axer le discours promotionnel d’un film sur la promesse du plaisir des effets (voir ce qu’en dit Variety pour un exemple en contexte).
De mon point de vue, la question est moins celle de la création d’une « illusion parfaite » que celle de ce qui vous fait venir au cinéma (autrefois: le récit, aujourd’hui: l’effet spécial). C’est une question de marketing (ou de réception) plus qu’une question d’esthétique – c’est bien cette dimension qu’engage la notion de BB, ce qui en fait selon moi tout l’intérêt.
« Bonne question sur la réécriture de l’histoire par l’image, à laquelle j’ai répondu à côté parce que j’avais l’esprit parasité par l’idée de répétition. Je reviendrai en séminaire sur la bonne réponse, qui est que l’histoire (populaire) se construit pour l’essentiel par l’image. La naturalisation de ce processus depuis la peinture d’histoire explique pourquoi le surmoi de l’historien rejette avec vigueur l’idée même d’une prise en considération de l’image. »
Passionnant ! Je me demande si ce n’est pas là un apport capital du cinéma, que de nous conduire à penser cela. C’est tout à fait observable dans le cinéma des premiers temps, me semble-t-il, notamment dans le schème de la poursuite qui me semble être constitutif de la pensée du montage.
«De mon point de vue, la question est moins celle de la création d’une “illusion parfaite” que celle de ce qui vous fait venir au cinéma (autrefois: le récit, aujourd’hui: l’effet spécial). C’est une question de marketing (ou de réception) plus qu’une question d’esthétique – c’est bien cette dimension qu’engage la notion de BB, ce qui en fait selon moi tout l’intérêt.»
Ainsi formulé, je comprends mieux; toutefois, la question marketing n’oblitère pas la question de la représentation: ce qui nous fait venir au cinéma, c’est toujours un certain rapport à la représentation audiovisuelle, dans ce qu’elle a de profond et d’essentiel pour notre rapport au monde (puisque ce qui est en jeu, c’est la mise en relation de nos principaux sens à distance). Les prouesses visuelles (et auditifs, mais cela est bien plus… sourd, dans notre civilisation dite « de l’image ») des films à grand public sont autant d’éléments apportés à la question ouverte de la perception et des représentations qui lui sont associées (que vois-je, qu’en déduis-je).
Pour revenir à la question de l’Adieu à la fiction, je me demande vraiment si le récit a été moteur principal de l’intérêt pour le cinéma. Outre que les récits des films à grand succès est souvent peu élaboré (tout au moins dans sa trame narrative principale), le cinéma est également le lieu privilégié de l’adaptation de récit populaire, déjà connus, au moins en tant que patrimoine culturel. De plus, quand ce ne sont pas des récits que le cinéma recycle, ce sont des motifs (au sens ethnoculturel du terme). En bref, l’intérêt du cinéma, à mon sens, est primordialement celle de la mise en image et en son, du point de vue spectatoriel, ce qu’à la réflexion même la cinéphilie la plus dogmatique atteste, dans la mesure où elle n’accorde d’intérêt qu’à la mise en forme.
Mais le passage du récit au spectacle me paraît mieux décrire l’évolution de la production cinématographique, qui, on peut en émettre l’hypothèse, intègre là une évolution spectatorielle liée à l’avènement et au développement du jeu vidéo, qui réduit le récit, à la limite, à la fonction énonciative de changement de tableau (je dis bien à la limite, et il faudrait préciser de quels types de jeu on parle).
J’en viens à me demander si l’évolution des films commerciaux à gros budget vers plus de spectacularisation (là, je vous suis) ne procède pas essentiellement de deux facteurs:
1) la concurrence avec les autres loisirs médiatiques de masse, principalement le jeu vidéo et la télévision, dans ses deux genres majeurs (au sens de leur importance spectatorielle) que sont les séries télévisées et la télé-réalité, chacun de ces trois types médiatiques ayant ses propres atouts (le plus interactif des jeux vidéo, le plus narratifs des séries télévisées, le plus communicatif de la télé-réalité [on échange autour, on se raconte en racontant son point de vue sur l’évolution des relations entres les protagonistes]), sans compter internet et son plus participatif.
Le cinéma doit donc surenchérir sur ce qui est son principal atout, la spectacularisation (grandes images, gros sons, pour de plus en plus de gros effets), dans la mesure où malgré les grands écrans et les systèmes 5.1 ou 7.1 qui ont augmenté l’équipement des ménages, la sensation d’englobement par le son et l’image au cinéma est toujours inégalée (et, en ce sens, la 3D est un renchérissement prometteur), car, pour tout le reste, il est en concurrence avec tous les autres écrans domestiques, personnels, nomades.
2) qui découle de 1), que le cinéma demeure le parangon de notre rapport à l’image animée sonore (il faudrait entériner le terme, une fois pour toute, notamment dans la recherche en culture visuelle, mais c’est une autre discussion), malgré l’immersion 3D permises par le jeu vidéo, mais toujours frustrante (à mon sens, beaucoup à cause de la phase d’émersion, mal négociée par le jeu). De ce fait, l’évolution technique, de plus en plus rapidement déclinée en diverses modalités domestiques (système « home cinéma », écran 3D, vidéoprojecteur), se doit d’être mise en valeur par des productions au contenu conçu pour être, entre autres, des démonstrations.
J’oubliais de vous remercier d’avoir mis au point cet espace de réflexion « à ciel ouvert » (je retiens la joliesse de l’expression) – je parle de Culture Visuelle, au-delà de Totem; c’est extrêmement stimulant…
Juste une petite remarque/question technique: pourquoi n’est-il pas possible d’éditer ses commentaires? Ci-dessus, par exemple, j’ai oublié de fermer une mise en gras, qui du coup se décline sur tout le paragraphe (ce qui est bien dommage); j’aurais bien aimé pouvoir corriger cette coquille inconvenante…
@semiopat: Ces grandes catégories ne sont pas pratiques à manipuler, mais elles aident à situer les enjeux. L’histoire du cinéma, qui naît du côté de la foire, aurait pu être différente, placée sous le signe exclusif de l’effet visuel et du spectacle. Je m’inscris ici dans le droit fil de la réflexion inaugurée par André Gaudreault (Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinématographe, 2008), qui propose l’antithèse attraction/narration, et en développe l’opposition sous la forme d’une succession historique, en soulignant ce que l’institutionnalisation – on pourrait dire la « culturalisation » – du cinéma doit à sa pente fictionnelle, elle-même largement nourrie par l’adaptation littéraire. Comme Gaudreault le fait lui-même remarquer, si attraction et narration forment une antithèse structurale, les deux composants se retrouvent nécessairement au sein de la plupart des oeuvres audiovisuelles.
Je vous suis sur les effets de concurrence avec d’autres médias, en particulier les jeux vidéos, qui constituent un nouveau modèle de l’attraction, dont l’influence est à l’évidence capitale pour le cinéma. Il faudrait insister aussi sur la dimension économique et sur la différence de budget qu’impliquent les différents projets: le spectacle coûte cher, la narration, beaucoup moins (raison pour laquelle on la retrouve plus volontiers du côté des séries télé, dont les budgets sont sans commune mesure avec les BB). C’est ici qu’on retrouve la question du marketing, que pour ma part je ne sépare pas de la narratologie du film. Jurassik Park est doté d’un scénario remarquable, il n’en reste pas moins que la publicité du film a reposé essentiellement sur les effets spéciaux et la reconstitution par l’image de synthèse (largement exagérée, puisque la majeure partie des séquences de dinos étaient en animatronique). La promesse du spectacle fait venir les foules, je ne sors pas de là… 😉
Merci pour votre appréciation sur CV! Concernant les commentaires, il est possible de les éditer a posteriori, en vous inscrivant sur la plate-forme (sauf que ces jours-ci, la fonction d’inscription est temporairement désactivée parce que nous subissons des attaques de robots-spammeurs). Si la formule vous intéresse, contactez-moi en privé.
Ma question est peut-être un peu naïve, mais que va-t-il rester de la fonction idéologique du cinéma américain avec l’adieu à la fiction? Ce rôle serait-il dévolu désormais aux seules séries américaines, et le cinéma hollywoodien ne serait-il plus qu’une machine destinée à rentabiliser des capitaux?
Merci de formuler mieux que moi l’interrogation conclusive de ce débat – à laquelle je n’ai bien sûr pas d’autre réponse que ma perplexité. La question permet en tout cas de mieux distinguer que la fonction « idéologique » est liée à la narration plutôt qu’au genre cinématographique – et que rien n’empêche celui-ci, s’il abandonne ses fonctions fictionnelles, de glisser dans l’insignifiance qui est aujourd’hui celle de divertissements comme le cirque ou l’attraction de foire. Fiction=signification est l’équation fondamentale que je retiens de cette discussion.
Il y a en fait une autre question sous-tendue par l’hypothèse de l’Adieu à la fiction, qui est celle de la perte de la prosécogénie des fictions. Si les producteurs ne misent plus sur l’histoire pour nous faire venir au cinéma, cela peut aussi signifier qu’ils pensent que le public n’a plus envie de récits, qu’il n’est plus intéressé par la causalité narrative, par les modèles de compréhension globale qu’elle offre… Je crois qu’on retrouve une idée similaire quelque part chez Gibbon à propos de la chute de Rome et du goût de cette civilisation finissante pour les jeux du crique…
Correction: «Le luxe et le relâchement des moeurs justifiaient commodément le sentiment que la grande époque de l’art était révolue (…). C’est l’Antiquité elle-même qui a transmis à la postérité le mythe du déclin consécutif à la perte du sens moral. L’idée que les Romains de la décadence cédaient à leurs penchants tandis que les vigoureuses tribus teutonnes s’apprêtaient à conquiérir le monde est née sous la plume de moralistes romains.» (Ernst Gombrich, La préférence pour le primitif, Gallimard, 2004)
Comme TD, dit mes questions sont peut-être un peu naïves… mais, si la production de films qui se basent sur des faits/événements historiques a pour bout donc de « construire l’histoire (populaire) » pour quoi (populaire) est entre parenthèse ? et puis, si l’équation est Fiction=signification, donc ne pourrait t-il pas aussi être : Fiction=signification=histoire ?
La formule « l’histoire (populaire) se construit pour l’essentiel par l’image » ne renvoyait pas qu’au cinéma, mais aussi à la peinture (d’histoire évidemment), à l’illustration (de manuels d’histoire par exemple) ou encore à la presse (voir du côté d’Audrey 😉 L’histoire savante, elle, s’élabore avec d’autres outils (sauf l’histoire visuelle)…
Ce qui donnerait fiction=histoire? C’est une formule provocante, même si je suis loin d’être totalement en désaccord. Disons, là encore pour simplifier, que fiction = subjectivité; histoire (ou document, ou discours scientifique) = objectivité (voir Daston/Galison).