L'image du bord des routes

Une image de retour de vacances. Le long des autoroutes, de loin en loin, cette ponctuation familière: les panneaux d’information touristique.

Le principe de ces panneaux s’inspire de la signalétique routière. Comme une indication toponymique, l’image légendée signale, sur un mode déictique, la proximité immédiate d’un site remarquable, l’entrée dans une région, voire une spécialité locale.

La proximité avec le langage du code de la route s’étend à l’iconographie. Tout comme les panneaux de signalisation s’ornent de signes génériques et simplifiés, ces dessins qui emploient les mêmes supports sont eux aussi stylisés et uniformisés, dans un monochrome orangé qui leur est propre.

Est-ce une idée que je me fais? J’ai l’impression que ce graphisme évolue et se complique progressivement, en même temps que se multiplient ces indications.

Qui prend la décision de créer ces emblèmes? Qui réalise ces dessins uniques, selon quel cahier des charges? Leur apparition crée à chaque fois une nouvelle réalité jusque là imperceptible (et qui reste souvent invisible si l’on ne quitte pas le réseau routier) – tel ce panneau qui me paraît récent et qui désigne cette entité étrange: « Les jardins de l’Essonne » (voir ci-dessus).

Au croisement improbable de l’iconographie touristique et de la signalétique routière, ces images du bord de route dessinent une cartographie augmentée, partition précieuse qui apporte à sa manière la confirmation du voyage et de ses promesses.

24 réflexions au sujet de « L'image du bord des routes »

  1. J’imagine que le camaïeu orangé vient du fait que ce sont des couleurs qui n’ont (si je me rappelle ma lecture du code de la route, mais je n’ai pas de permis) aucun sens précis, mais du coup il y a un petit côté sépia nostalgique et, puisque les formes sont assez stylisées, un côté fin seventies, un côté restoroute Jacques Borel… Design très étrange, oui.

  2. « Animation touristique des autoroutes

    En 1972, les sociétés d’autoroute commandent à Jean Widmer une signalétique culturelle pour les autoroutes du sud de la France pour rompre la monotonie des trajets en voiture tout en suscitant la curiosité de l’automobiliste pour l’espace naturel, le patrimoine artistique, architectural et urbain des région traversées. Pour cela il fallait :

    Créer un langage universel
    Permettre une lecture rapide
    Définir des messages distincts de la signalisation routière réglementaire
    et enfin rechercher un système ludique

    Jean Widmer s’inspire des hiéroglyphes égyptiens et fait des pictogrammes qui évoquent le patrimoine régional et culturel et qui sont réduits à l’essence même de leur forme et de leur signification. Ainsi le message est perçu instantanément et la lecture se présente comme un jeu.

    La question est posée par le pictogramme et la réponse est donnée par le texte qui sont espacés de 200 à 300 mètres. Pour renforcer la rapidité de lecture, Jean Widmer utilise le caractère Frutiger (voir Adrian Frutiger le typographe) qui est très adapté à la perception de la signalétique avec des minuscules très lisibles.

    Pour les différencier des autres panneaux de la route, Widmer décide de mettre les pictogrammes blancs sur un fond brun en aplat différent du bleu de la signalisation routière réglementaire.

    Tout d’abord, il réalise un reportage photo sur les bâtiments que Widmer veut faire figurer sur les panneaux. Ensuite, à partir des photos, ils ont épuré systématiquement les formes en jouant sur les rapports de masses blanc et noir pour dégager le symbolique du sujet. Parallèlement ils ont recherché l’épaisseur de trait minimal à distance. Ensuite ils ont travaillé les pictogramme séparément et ensemble avec des feutres, des collages et des photos. Tout a été traité en traits sans trames.

    En 7 ans, Jean Widmer et son agence auront créé 500 pictogrammes. »

    source Wikipédia, page sur Jean Widmer

  3. @Caroline Bougourd: Merci de réattribuer à leur créateur ces images mystérieuses! Il y a donc un peu de l’héritage du Bauhaus au bord des autoroutes…

    Le texte de Wikipédia n’est toutefois pas très clair: à quoi renvoient les « 7 ans » mentionnés? Faut-il comprendre que Widmer s’est arrêté en 1979? On aimerait aussi mieux connaître le détail du processus: qui décide de la désignation d’un site? Enfin, les panneaux semblent bien avoir connu une évolution par rapport à leur graphisme originel en deux tons (voir un exemple ici). Qui en est responsable et à partir de quand?

  4. J’avais zappé le code de la route, pour ma part, je trouve que l’orange se voit drôlement bien sur le fond vert. Et si je me rappelle bien, à la campagne il y a pas de mal de vert… sauf en hiver, mais l’orange sur du blanc, ça se voit aussi (ok, mes neurones ont du mal à se réveiller).

  5. Voici un extrait de l’arrêté du 30 mars 1992 :

    « …7. Panneaux d’information.
    a) Panneaux d’animation culturelle et touristique de type H 10 placés sur les autoroutes et les routes express pour donner des indications culturelles et touristiques d’intérêt général et permanent:
     
    Panneau H 11: indication par message littéral;
     
    Panneau H 12: indication par message graphique;
     
    Panneau H 13: indication par message littéral et graphique.
     
    Les panneaux de type H 10 sont de forme rectangulaire ou carrée. Ils sont à fond marron, listel et inscription blancs; le graphisme est de couleurs blanche et marron.
    … »
     
    Source avec développements sur la forme et l’historique des panneaux: « La signalisation routière en France de 1946 à nos jours » Marina Duhamel-Herz & Jacques Nouvier pages 181 à 200 – AMC Éditions

  6. En effet l’entité « jardins de l’Essonne » est mystérieuse, il s’agit plus d’évoquer une ambiance verdoyante et fleurie qui est peut-être propre à ce département assez vert, que de repérer un lieu précis… ça établit un rapport diffus et imaginaire au lieu traversé…

    Ce qui est intéressant avec ces panneaux c’est ainsi leur rapport au lieu… (et leur évolution graphique repose peut-être sur les enjeux de ce rapport) ils servent à connecter au lieu où l’on se trouve réellement, ce couloir abstrait et coupé du sol qu’est l’autoroute, en présentant une image qui donne une consistance particulière, une signification, au paysage anonyme qu’on traverse… les plats régionaux des stations services vont dans ce sens… ils repèrent le lieu…

    Je me demande aussi ce que ces panneaux ont à voir avec la carte routière… il me semble qu’ils établissent un lien avec elle, plus précisément avec les mentions parfois arrondies de départements ou de régions ou de parcs naturels sur les cartes, ce qui identifie une étendue… comme s’il s’agissait de se voir à la fois sur la carte et dans la réalité, puisque ces panneaux identifient le lieu…

    il arrive parfois qu’apparaisse le monument ou le lieu évoqué sur le panneau, et là il se passe quelque chose… l’autoroute touche le sol…

    Et d’ailleurs, dans cette perspective d’un rapport au lieu, ce qui me frappe dans l’image que tu as photographiée, c’est bien sûr son cadrage photographique qui place vite le spectateur furtif dans une position particulière, (accroupi ?) dans un jardin derrière un massif de fleurs qui s’interpose… à vérifier… mais j’ai l’impression qu’on se rapproche gentiment de la photo touristique, témoignage de la présence sur le lieu… ici pourtant imaginaire…

  7. La question qui m’intéresse : qui choisit, ou qui pousse à choisir, le thème à illustrer? qui valide les propositions? On se le demande particulièrement dans les régions très touristiques et riches en patrimoine, où l’éventail des possibilités est très large : on reste parfois pantois devant la mise en exergue d’un élément très marginal.
    Le rapport au lieu est loin de sauter aux yeux dans certains cas : la pancarte annonce en fait la prochaine sortie d’autoroute qui permettra d’accéder au site signalé, à plusieurs dizaines de kilomètres de là, et non un site visible de sa voiture.
    Les principes qui président à l’installation de ces panneaux paraissent différents selon les régions, même si un cadre réglementaire existe ; prudence donc dans les analyses …

  8. Si on parle d’héritage, avant Widmer et Le Bauhaus, prenons le premier qui fonde le titre : merci Rimbe donc !

  9. # ClaudeFL,

    1) Sur l’autoroute, le rapport au lieu est presque toujours imaginaire, le lieu réel n’apparaît que rarement, la plupart des sites ou des plats exposés sur les panneaux sont quelque part autour de l’endroit où on se trouve… il arrive même qu’ils soient très éloignés de l’autoroute et ‘lon a alors une idée de leur rayonnement. La sortie (la bretelle qui accroche l’autoroute au terroir) est justement cette ouverture vers le réel de ce qui représenté…

    L’analyse n’a pas uniquement pour but de reconstituer un processus concret ou ses principes afin de les décrire précisément, dans le cadre d’une esthétique de la réception, il s’agit de comprendre ce qui se passe quand on regarde ces panneaux…

  10. c’est bien de penser au code de la route, mais ces panneaux sont aussi faites pour les touristes étrangers, qui eux ont une autre code de la route, non ?

    moi je serai partante pour ce que Ksenija dit: l’orange se détache super bien sur le fond vert!

  11. Bonjour.
    Je me suis plusieurs fois fait la réflexion que certains de ces panneaux sont de vrais publicité lorsque le sujet est un lieu touristique dont l’accès et la visite sont payants.
    Certes certains châteaux ou autre monuments sont des emblèmes de la région mais c’est plus discutable lorsqu’il s’agit de « la ferme des crocodiles » ou « le zoo de la Barben ».

    On pourra toujours dire que ça dynamise l’économie local…

    @gabyd et @Ksenija : Orange sur fond vert ? Je crois que ça peut poser un problème à certains daltoniens ou à d’autres personnes atteintes de petites déficiences visuelles mais pouvant conduire.

  12. Je me suis demandée si le choix de contraste, du blanc sur le brun, de Widmer faisait parti d’un système international de signalisation dans ce cas. Une petite recherche sur Flickr révèle que ces panneaux touristiques, dans la plupart des pays, suivent ce code de couleur,en Angleterre aussi bien qu’en Singapour http://bit.ly/owyMQy

  13. Je n’avais pas d’avis sur ces panneaux, qui me semblaient étranges, en effet.

    Mais après avoir traversé une partie de la Belgique, qui arbore des panneaux sur le même principe touristique, j’ai plutôt apprécié le schématisme : les panneaux belges sont d’affreuses photos couleurs pixellisées-verdâtres des lieux évoqués qui ne donnent pas du tout envie de faire un détour (mais peut-être est-ce voulu ?).

    Les panneaux touristiques allemands sont semblables aux nôtres.

  14. Bonjour
    c’est mon premier commentaire
    Caroline précise que les panneaux étaient conçus pour être aisément perceptible, mais à chaque fois que j’ai voulu détailler le panneau que j’allais rencontrer , il me fallait tellement d’attention pour comprendre la signalétique qu’il y a un risque d’accident . On regardes ces images en roulant à 100km/h et l’efficacité de la pictographie devrait être mieux pensée
    Un de ces panneaux montrent des 2 oies en plein vol au milieu d’arbres pour indiquer la baie de somme et son espace préservé; je confondais les oies très profilées avec des avions type « Stuca » de la seconde guerre et Il faudrait être quasiment arrêté devant le panneau pour y voir les oies.
    A cette vitesse , il y a trop de pictogramme pour que la lisibilité se fasse

  15. Le code couleur pour ce qui a trait au patrimoine semble être le brun et l’orangé. Vous observerez que les panneaux métalliques (sortes de sucettes) signalant les monuments (ou apportant une explication à proximité immédiate de ceux-ci), sont également marron (qui tire même sur le kaki…). Faut-il voir dans cette gamme chromatique réduite une certaine austérité, un sérieux assumé ? (Un peu comme les ordinateurs qui ont longtemps été « mastic » avant qu’Apple sorte des couleurs bonbon…)

  16. Alors tout d’abord, il faut rendre hommage au travail de Widmer, qui a réalisé un système de pictogrammes fort et riche, qui fut longtemps le rare plaisir visuel que l’on pouvait avoir en sillonnant les autoroutes ; et il faut ensuite déplorer l’abandon de son système pour ces nouveaux panneaux absolument inappropriés qui l’ont remplacé. En effet, le panneau photographié par André Gunthert n’a rien à voir avec le travail de Widmer, ce type de panneau a remplacé depuis quelques années sa signalétique, pour le pire il faut bien le dire… Comme l’indique le commentaire de Nicolas Lespagnol, le dessin compliqué de ces nouveaux panneaux les rends quasiment illisibles (à moins d’une concentration forcenée ou d’un dangereux ralentissement) depuis une voiture roulant à plus de 100 km/h. C’est un exemple retentissant de la disparition en France d’une commande publique éclairée dans le domaine du graphisme. Je ne sais pas comment a été programmé et décidé cette nouvelle et déplorable signalétique, il semble en tout cas que sa réalisation s’est faite par des commandes locales, sans vue d’ensemble (sinon l’imposition de quelques principes graphiques), puisque j’ai découvert certains panneaux dans les portfolio de différents graphistes (souvent jeunes, car moins chers et plus aptes à accepter ces commandes décousues j’imagine). Je serais intéressé d’en savoir plus. En tout cas cette dommageable transformation s’est faite malheureusement sans bruit et sans réaction (à ma connaissance) de la profession. C’est d’autant plus surprenant quand on se souvient de la mobilisation qu’avait soulevée chez les graphistes le possible abandon du logo du Centre Pompidou, logo dessiné… par Jean Widmer !
    Pour finir, je signalerai qu’outre les panneaux dessinés par Widmer, ont également disparus ceux créés spécifiquement pour les autoroutes des Alpes par l’Atelier de création graphique (notamment Fokke Draajer), signalétique au fonctionnement différent de celle de Widmer, mais tout aussi pertinente :
    http://www.acgparis.com/index.php?id=34
    http://www.acgparis.com/index.php?id=209

  17. Ici un petit aperçu des quelque 500 pictogrammes créés par l’agence de Widmer pour les autoroutes :
    http://designerdesign.files.wordpress.com/2010/12/2010-12-11-1446533.jpg
    (à noter que les originaux sont sur fond brun).
    Je me souviens que lors de ma première année d’études, en 1997, c’est avec de système de pictogramme que l’on nous a enseigné ce qu’était un picto et un système signalétique ; et que j’ai pour la première fois commencé à voir la beauté de ces signes…

  18. Merci à tous pour votre réactivité et pour la qualité de la discussion sur un sujet qui, comme tous les usages publics du graphisme, se révèle riche et complexe.

    La furtivité, qui mobilise le style pictographique, apparaît bien comme un trait à creuser. Cette propriété est en effet renforcée par les contraintes du réseau autoroutier (qui suppose une vitesse élevée, ne permet pas facilement de rebrousser chemin, ou dont les distances parcourues réservent au riverains et aux professionnels la possibilité de revoir un même site), contraintes qui augmentent le caractère fugitif de la vision de ces images, et en font des icônes paradoxales.

  19. Ces panneaux font partie intégrante du voyage autoroutier, passe souvent inaperçu, mais c’est vrai que parfois, il se passe un truc.

    Etant souvent allé à Toulouse en voiture, lorsque j’étais plus jeune. Je veille à ne pas rater ce panneau « château du XVème siècle », situé entre Bordeaux et Toulouse, dont le côté droit est une flèche pointant un objectif situé à droite, sur un angle de 45° vers le haut.
    A un moment très précis, ce château apparaît, sur un mont, exactement dans l’axe de la fameuse flèche : je ne saurais dire pour quoi, mais cet instant a quelque chose de magique.

    A Rennes, en 1998, un artiste a détourné ce type de panneau, dans une oeuvre où les sujets ne sont plus les lieux touristiques ou les spécialités gastronomiques, mais les habitant d’un quartier : Cleuany.
    Les images sont visibles sur le Wiki-Rennes : http://www.wiki-rennes.fr/Cleunay_:_ses_gens

  20. Merci André de mettre ainsi dans le débat ces panneaux qui nous questionnent tous lors de nos transhumances à travers l’Europe. Je réagis avec un peu de retard mais beaucoup d’intérêt pour cette représentation stylisée du territoire traversé. Mes observations se fondent là notamment sur un trajet récurrent sur l’A4, reliant Paris à Château-Thierry. Quelle est la logique d’évolution de cette signalétique? Il me semble que si ces panneaux figuraient en premier lieu les monuments (construction culturelle du XIXe), ils ont évolué au fil des années. Doit-on y voir l’influence de l’élargissement de la notion de patrimoine, à travers l’ajout de représentations stylisées des sites naturels et du patrimoine immatériel?

    Quel est le lien entre cette iconographie et celle portée par les cartes postales? Elles semblent l’une comme l’autre se fonder sur une tentative de représentation du territoire à travers ce que j’aurai envie de désigner comme des « points de vues prégnants », ou des clichés.

    Plus récemment, le panneau signalant les mémoriaux américains s’est vu affublé de deux autres, sorte de contextualisation historique: «1918, du chemin des dames… au cessez-le-feu». L’ensemble s’organise ainsi comme une véritable séquence visuelle, avec un message qui se répartit en 3 panneaux ( http://www.flickr.com/photos/67059834@N04/ ) Voilà qui résoud le souci posé par la perception à très grande vitesse. L’ensemble laisse une impression étrange…

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