Fiction et hypothèse (notes)

Dimanche matin, théorie.

Le récit de Théramène (Phèdre) est donné comme un exemple typique de narration, qui a pour fonction de décrire un événement (la mort d’Hippolyte) à ceux qui n’y ont pas assisté («J’ai vu, Seigneur, j’ai vu votre malheureux fils»). Cet événement est le référent du récit, qui produit une représentation qui s’y substitue.

Une manière simple de décrire la fiction, d’un point de vue sémiotique, est de considérer qu’il s’agit d’un exercice qui a les mêmes aspects formels que la description, mais que celle-ci est déliée de toute obligation référentielle. La fiction est aréférentielle: elle se déclare pour telle par convention (selon la formule rituelle: «Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite»). C’est sa nature aréférentielle qui permet de qualifier la fiction de « création » (ou de « poétique »). Continuer la lecture de Fiction et hypothèse (notes)

La conversation il y a cinquante ans

Je n’avais pas encore eu l’occasion de voir le documentaire de Jean Rouch et Edgar Morin, Chronique d’un été (1961). Deux choses surtout m’ont frappé. La première est la précision, presque la préciosité de l’élocution de la plupart des intervenants. L’élocution, la façon de prononcer, est peut-être la part la moins contrôlée, et pourtant l’une des plus indicatives de notre habitus social. Tous les personnages de Chronique d’un été, même les prolétaires, s’expriment comme on parle aujourd’hui dans les familles bourgeoises du XVIe arrondissement.

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Les Aliens sont fatigués

Depuis ce début septembre, je me suis fait embrigader par Caroline Broué pour son émission La Grande Table sur France-Culture (voir ma rubrique « radio« ). Ce qui fait que l’on me demande de temps à autres mon avis sur l’actualité culturelle. Ma dernière perplexité a été mise au menu de l’émission de vendredi prochain (12h55-13h30, avec Ollivier Pourriol et Mathieu Potte-Bonneville): les « aliens » du cinéma ont-ils encore quelque chose à nous dire?

La période récente a été particulièrement nourrie en films d’aliens et de soucoupes: de World Invasion. Battle Los Angeles (Jonathan Liebesman, mars) à Cowboys et Envahisseurs (Jon Favreau, août) en passant par Paul (Greg Mottola, mars), Transformers 3 (Michael Bay, juin) et surtout le très commenté Super 8 (J. J. Abrams, août). On attend également un remake de The Thing (Rob Bottin) en octobre et un The Darkest Hour (Chris Gorak) en décembre.

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Aliénante fiction (retour sur entretien)

Entretien productif hier avec Martin Quenehen, qui a juré depuis longtemps de me réveiller aux aurores en plein mois d’août pour discuter de blockbusters sur France Culture. Une invitation formulée au début de l’été, qui m’aura incité à accentuer ma consommation de films commerciaux US (je n’aurais sans doute pas été voir Transformers 3 sans cette opportunité).

Les Matins d’été, 16/08/2011 (19 min.).

C’est donc à Martin que je dois deux petites illuminations récentes: 1) la prise de conscience de la relativité de la fiction comme produit parmi d’autres de l’offre culturelle (un point important pour moi qui ait jusqu’à présent articulé mon investigation du phénomène culturel autour de la notion de récit), débouchant notamment sur l’opposition symétrique divertissement/culture et sur l’idée d’une (sur)valorisation de la signification en régime culturel; 2) la découverte (via l’expérience d’une exposition sur Rue89) que la virulence des commentaires des fans de blockbuster, et particulièrement leur disqualification de la signification, correspond à une véritable revendication culturelle, une opération de distinction paradoxale. Qui a dit que les circulations médiatiques n’étaient pas profitables?

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