Depuis ce début septembre, je me suis fait embrigader par Caroline Broué pour son émission La Grande Table sur France-Culture (voir ma rubrique « radio« ). Ce qui fait que l’on me demande de temps à autres mon avis sur l’actualité culturelle. Ma dernière perplexité a été mise au menu de l’émission de vendredi prochain (12h55-13h30, avec Ollivier Pourriol et Mathieu Potte-Bonneville): les « aliens » du cinéma ont-ils encore quelque chose à nous dire?
La période récente a été particulièrement nourrie en films d’aliens et de soucoupes: de World Invasion. Battle Los Angeles (Jonathan Liebesman, mars) à Cowboys et Envahisseurs (Jon Favreau, août) en passant par Paul (Greg Mottola, mars), Transformers 3 (Michael Bay, juin) et surtout le très commenté Super 8 (J. J. Abrams, août). On attend également un remake de The Thing (Rob Bottin) en octobre et un The Darkest Hour (Chris Gorak) en décembre.
Dans plusieurs cas, notamment Battle Los Angeles et Super 8, la promotion s’est appuyée explicitement sur des références au folklore des Ovnis. Malgré une présence in fine très discutable des éléments de la tradition soucoupiste dans ces films, on a vu s’opérer une historicisation de cette mythologie, qui paraît désormais intégrée au patrimoine culturel américain, comme en atteste le balancement Cows-Boys/Envahisseurs du film de Favreau (adapté d’une bande dessinée de 2006).
La mythologie soucoupiste, qui naît en 1947 et a alimenté un nombre considérable de productions culturelles, est-elle encore vivante ou est-elle un chapitre clos? A la différence des formes identifiées comme rumorales ou conspirationnistes (la rumeur d’Orléans, on n’a pas marché sur la Lune, l’armée américaine a créée le sida, la CIA est l’auteur de l’assassinat de John Kennedy/du 11 septembre…), les visites d’extra-terrestres forment aujourd’hui un chapitre sur lequel il semble difficile de trancher autrement qu’en termes d’histoire culturelle.
Les productions récentes apportent-elles des éléments de réponse? Quelle signification est attribuée à la présence dans la fiction des aliens, à leur rapport à nous? Le bilan ne me paraît pas à la hauteur des attentes.
Mis à part le cas de Paul, film humoristique qui propose une aimable satire de la vulgate officielle (post-Roswell) et qui a peu attiré l’attention (alors qu’il était le plus fidèle à la mythologie), ce que nous avons vu sont pour l’essentiel des films de guerre (Battle Los Angeles) ou d’horreur (Super 8, Cowboys et Envahisseurs) recourant à la figure de l’extra-terrestre en lieu et place du monstre.
Très loin de l’inquiétude sourde façon « ils sont parmi nous » de la série télé Les Envahisseurs (Larry Cohen, 1967-1968) ou du conspirationnisme oppressant d’X-Files (Chris Carter, 1993-2002), l’alien apparaît dans les blockbusters récents comme un ennemi commode, lointain et bestial. A aucun moment comme une forme d’altérité avec laquelle il serait possible, intéressant ou souhaitable d’entretenir un dialogue. Plus loups-garous que petits hommes verts, ces aliens-là n’ont rien à nous dire: il faut s’en débarrasser comme d’une vermine, un point c’est tout. Comment interpréter ce glissement de la recherche d’une altérité à l’échelle du cosmos vers le jeu de massacre? A suivre à la Grande Table vendredi prochain…
Sans que cela remette en cause votre constat d’un glissement général de l’autre à l’ennemi, il y a un film récent qui me semble avoir profondément renouvelé le genre et faire exception : « District 9 ». Le véritable ennemi n’y est pas l’Alien – victime d’une ségrégation/ghettoïsation – mais la multinationale militaire privée qui l’exploite à des fin commerciales.
@ Emilien: Tout à fait d’accord. District 9, mais aussi Avatar, ont en commun de mettre l’homme du mauvais côté (voir mon billet « Quand l’humanité a fui…« ) – mais ce sont des productions 2009.
Les films de 2011, qui sont ici l’objet du débat, ne semblent pas tenir compte de cette antériorité, et reviennent à la lignée inaugurée par The Thing (Christian Nyby, 1951) et brillamment relancée par Alien (Ridley Scott, 1979) de l’extra-terrestre bestial et prédateur.
Il faut s’en débarrasser, ou bien c’est de l’homme qu’il faut se débarrasser (Avatar, et son presque miroir sombre District 9 : l’un et l’autre pointent l’humain du doigt, mais dans le premier la condition d’E.T. est enviable tandis que le second garde l’idée de l’injustice mais pas spécialement celle de l’envie d’être à la place de l’autre)
Ce débat – cinématographique – a déjà eu lieu dans la littérature. Il est frappant de constater que pour les auteurs de pure souche américain, l’autre, l’étranger (alien, en anglais) est toujours un être dangereux, avec lequel on ne peut pas communiquer. « Alien » est tiré d’une nouvelle de Van Vogt, de nombreux films d’horreur ont puisé à la source de Lovecraft, etc…
Par opposition, des auteurs de culture plus européenne – ou plus « mondialiste » – envisagent l’autre comme une rencontre, plus ou moins facile : Arthur Clarke, Asimov, Matheson… Il est frappant de constater que leurs adaptations cinématographiques sont réussies dès lors que la réalisation et la production s’éloignent des canons Hollywoodiens : « I, Robot » est bien éloigné de l’esprit de la saga des robots d’Asimov !
@Guillaume : tu vas un peu vite en disant qu’Asimov est de culture européenne ! Pour moi la littérature SF est surtout infiniment plus raffinée que le cinéma SF, et s’adresse d’ailleurs à un public bien plus restreint. Il y a plein de SF américaine où l’alien n’est pas l’ennemi – ni la question, parfois.
Ce qui me frappe toujours dans l’alien, c’est qu’on parle d’un pays construit par une invasion (un pays « construit sur un cimetière indien » comme dans du Stephen King, ou d’une autre manière, comme chez Loevecraft où le cauchemar est souterrain et ancien…), un pays qui accueille chaque année (encore) de nouveaux immigrants, donc il y a dans ce mythe quelque chose de profondément complexe.
Dans Rencontres du 3e type ou dans E.T. (Spielberg, 1979, 1982), l’extra-terrestre n’est pas un ennemi. De façon générale, une grande partie de la mythologie soucoupiste entretient l’idée d’une proximité de l’alien, souvent représenté sous des traits humanoïdes, avec les humains – ne serait-ce que parce que celui-ci est censé représenter une étape plus avancée de la civilisation (qu’incarnent les vaisseaux spatiaux interplanétaires, à un moment où les pays développés cherchent à maîtriser cette technologie).
Une partie importante de la littérature SF depuis John Carter (version cinématographique prévue en 2012) construit ses intrigues sur les relations entre extra-terrestres et humains. Dans ce contexte général, c’est la lignée de l’alien-monstre (The Thing/Alien) qui représente l’exception et non la règle.
Aujourd’hui, la proportion s’est clairement inversée: pour un Paul, alien intelligent, doté d’une psychologie, s’exprimant en anglais et portant un pantalon (détail crucial de l’humanisation dans le cinéma hollywoodien ;), combien de prédateurs muets qui n’ont en tête que de tuer ou dévorer les humains… Le comble étant atteint dans Cows-Boys et Envahisseurs, où des aliens supposés intelligents, maîtrisant des technologies sophistiquées, se déplacent plus ou moins nus, à quatre pattes, et se battent en se jetant sur les humains comme des fauves, en grognant et en les mordant au cou…
Tout ça me donne une furieuse envie de revoir L’homme qui venait d’ailleurs, avec David Bowie, qui m’a subjugué ado (un peu jeune pour le voir, d’ailleurs) mais dont mon petit doigt me dit que j’y ai tout raté, notamment le rapport à l’immigration.
Au cinéma d’accord, mais il y a aussi à la télévision.
Le remake de la série V s’est arrêtée à la fin de sa seconde saison en mars dernier, non renouvelée faute d’audience.
Par contre la série « à gros budget » Falling Skies, produite par Spielberg, qui elle s’est très bien portée niveau téléspectateurs, retraçant la survie d’êtres humains face à une invasion extra-terrestre (achevée avant le début de l’épisode pilote). Elle est ambitieuse techniquement, mais son écriture ou ses personnages un peu trop classiques dans ce type de fiction ne sont pas à la hauteur pour ma part.
j’aime bien penser que l’alien type est le monolithe de 2001 l’odyssée de l’espace (1968)
La planète cerveau de Solaris, c’est pas mal non plus…
Je sais bien qu’on peut aussi discuter de l’actualité culturelle, mais différencier les films de 2009 de ceux de 2011 me paraît un peu court temporellement pour en tirer quelque conclusion que ce soit, si ce n’est qu’un mouvement de balancier fait passer d’un discours social à un discours guerrier. Les modes (au sens de fashion) hollywoodiennes existent aussi en production, mais à deux ans près, il me paraît difficile d’exprimer une tendance profonde. D’autant qu’il suffit souvent d’un film phare pour que la tendance s’inverse fortement.
Peut-être alors peut-on penser que l’adaptation d’Asimov par Spielberg a inauguré le retour vers l’alien envahisseur et ennemi dans laquelle s’inscrit la tendance 2011 (ou du moins, a réinscrit la thématique dans le champ des possibles cinématographiques)?
Ne faut-il pas prendre également en compte les films sur la mutation, qui discutent du rapport de l’homme à sa propre étrangeté, et qui prennent à la forme de l’alien une part de sa substance? Si c’est le cas, la crainte écologique est aujourd’hui bien plus forte que celle d’une présence extra-terrestre, et oui, du coup, la manipulation génético-biologique inspire beaucoup plus le cinéma, sa fantasmatique est plus forte et permet plus de développement allégorique. Alors, peut-être, les aliens n’ont plus rien à nous dire et dérivent vers cette esthétique de série B aux développements dramatiques ultra balisés.
@ PCH: Comme le résume excellement Boulet dans l’illustration ci-dessus, la figure de l’alien n’a rien de …monolithique (voir aussi la célèbre Alien Time Line de Joe Nickell, publiée en 1997:
http://www.flickr.com/photos/gunthert/6136274713/sizes/l/ ).
@ PMD: Idem, Boulet ci-dessus fait très justement la distinction entre les peurs qui renvoient à des menaces réelles et le caractère fondamentalement fantasmatique de l’alien, autrement dit son caractère de pure projection. C’est ce même caractère qui légitime l’interrogation de son évolution dans la fiction, puisque c’est en quelque sorte un miroir qui nous est tendu: notre façon d’imaginer l’Autre renvoie nécessairement à la façon dont nous nous percevons (ou projetons) à un moment donné.
Mon questionnement des films récents n’est pas du tout achevé, mais Abrams est un réalisateur important et significatif (qui revendique sa filiation avec l’univers de Spielberg), et Favreau n’est pas non plus n’importe qui. Ce qui me frappe pour l’instant est l’historicisation de la figure de l’alien (renvoyé aux années 70 dans Super 8, à la période du Far-West dans Cows-Boys et envahisseurs), soit l’exact inverse du paradigme traditionnel de projection vers l’avenir qui structure la science-fiction (et qui fonctionnait encore dans District 9 ou Avatar).
Marrant, je n’approche pas du tout l’alien en littérature comme au cinéma. J’aborde un bouquin avec des aliens de façon sérieuse et concentrée, j’aime la SF et je pense qu’elle n’est pas accessible à tous. Alors que le cinéma d’aliens me parait toujours être du cinéma hollywoodien grand public, pas vraiment le fruit d’une imagination et d’une projection de talent.
Or dernièrement le cinéma avec des aliens est globalement assez bon, pourtant comme il a été dit l’alien est une excuse, il pourrait être remplacé par n’importe quel étranger humain (ou des fantômes ou des zombies ou des fourmis), que ce soit dans le futur ou dans le passé (quoique je n’ai pas vu toutes les références citées ici).
Je suis trop jeune pour avoir connu la version initiale de doctor Who, mais j’ai pas mal regardé la nouvelle adaptation, et j’ai été surprise de trouver une vision de l’alien qui n’etait pas (toujours) une projection humaine. Et ça m’a fait penser à Star Wars. A partir de là je me suis demandée si on ne pouvait pas plus se rapprocher de la littérature avec des extra terrestres par le biais d’une série (voire d’une longue saga) plutôt qu’avec le format (en fin de compte trop court) du long métrage.
(Après l’émission…) Discussion intéressante avec mes deux co-débatteurs (même si le dispositif de « la brigade » se contredit en voulant mimer une conversation alors que c’est la production qui choisit les interlocuteurs). Qui prouve que l’alien reste un motif fictionnel puissant et largement sémiogénique (tac, un nouveau concept, dans la lignée de la prosécogénie, soit la propriété de favoriser la production de significations, vous allez voir qu’il va bien servir dans les discussions sur la fiction).
A noter tout particulièrement l’idée de Mathieu Potte-Bonneville selon laquelle l’image de synthèse fait disparaître l’altérité (ou peut-être plutôt l’hybridité?).
De mon côté, j’entrevois mieux ce dont l’alien (avec le superhéros) est aujourd’hui le symptôme: moins un retour du refoulé qu’une nouvelle écriture de l’histoire, une intégration délibérée du chapitre des croyances et des fictions populaires des années 1950-1960, aujourd’hui terriblement vintage, au sein de l’histoire américaine, dont Cows-Boys et Envahisseurs fournit une illustration limpide. Toute cette séquence, marquée par le recyclage mythologique, n’est pas (ou pas seulement) le signe d’un épuisement narratif. C’est aussi un travail de remémoration, de tri, de réécriture et d’emblématisation – qui n’est rien d’autre que la fabrique de l’histoire. Comme la Jeanne d’Arc de Michelet, le blockbuster réécrit en plus beau, en plus grand, les fictions un peu minables des comics et des séries B des années 1950. Ce faisant, il les transforment en un matériel plus présentable, tandis que la répétition du motif atteste de sa signification historique (oui, la répétition est sémiogène – quand je disais que ce concept allait servir… 😉
Accessoirement, le cinéma US, en décidant que les aliens appartiennent au passé, livre une réponse, peut-être la meilleure (celle de l’histoire culturelle) à la question de l’existence des soucoupes…
@André : Je reste épaté de l’énergique mauvaise foi que tu dépenses, depuis deux semaines au moins, pour justifier les euros que tu as dépensé pour aller voir Cow-Boys et Envahisseurs 🙂
Oui, c’est pathétique, si l’on se souvient qu’avant, il y avait eu déjà Transformers 3. Ça rappelle un peu Sainte-Beuve sur Alexandre Dumas… En même temps, est-ce que tu n’aurais pas juste la trouille que je ponde une plus belle théorie que ta théorie des rêves? 😉
@André : si on y regarde de près, je pense que je bats tout le monde, côté mauvais films. Et je ne parle pas que de ceux dont je cause mais aussi ceux que je m’inflige. Et là il y a un mystère.
Tiens, à part ça il y a un film d’ET « parmi nous » que j’adore, c’est le They Live de John Carpenter, qui est aussi un pamphlet politique magnifique.