La photo de la victoire est sur Twitter

Listant les stéréotypes de la photo de victoire en couverture des magazines, Grégory Divoux se faisait fort de prévoir à l’avance les choix illustratifs découlant de l’élection du nouveau président américain. C’était sans compter avec les réseaux sociaux, qui ont délivré tôt ce matin une autre image symbole: un baiser de Barack et Michelle Obama, se découpant seuls sur fond de ciel nuageux (voir ci-dessus).

Publiée sans nom d’auteur sur les comptes Twitter et Facebook du candidat avec la légende « Four more years« , cette photo a été exécutée le 15 août dernier lors d’un meeting à Dubuque, Iowa (voir ci-dessous, photo Scout Tufankjian, Obama for America).

Son accession au rang de symbole découle logiquement de son choix par les services du candidat pour illustrer le « tweet de la victoire », qui est une première, et de sa reprise par les internautes, qui bat tous les records. Appropriative, partagée, conversationnelle: la nouvelle Une a tous les caractères de l’image privée. Que va-t-il rester au journalisme si les réseaux sociaux lui ôtent jusqu’à ses fonctions les plus emblématiques?

Le Hollande-bashing, en attendant l'antihollandisme

Au fur et à mesure que se précisent et se concrétisent les mesures du nouveau gouvernement, la déception s’installe, le mécontentement grandit. Pour Edwy Plenel, peu suspect de complaisance envers l’opposition de droite, sarkozysme et hollandisme prennent désormais des chemins dangereusement proches.

Plutôt que de s’interroger sur le bien-fondé de la critique, les avocats du régime ont choisi de souligner son unanimisme, sous le nom de « Hollande-bashing« . Air connu: chaque fois que les diatribes pleuvaient sur Sarkozy, ses soutiens dégainaient l’arme de l’antisarkozysme, destinée à neutraliser toute forme de désapprobation, renvoyée à une opposition atavique, une négation réflexe.

Le critique montre la lune? On est prié de regarder le doigt! Désignant les livraisons récentes des hebdos, les pro-Hollande révèlent le fond de l’affaire: il s’agit bien sûr d’exploiter un « filon ». Le burlesque de cette ligne de défense s’accroît d’un argument particulièrement bouffon: après cinq années d’hystérie sarkozyste, les médias serait en état de manque!

Etant donné la récession prochaine, le mécontentement actuel n’est encore qu’un aimable badinage. On devrait donc voir se propager le néologisme d’antihollandisme, déjà testé ici et là, pour contrer le futur tsunami de plaintes. Peut-on rappeler à ceux qui tentent d’ériger ce piteux rempart que l’accusation d’antisarkozysme n’a nullement suffi à protéger l’ancien président de la défaite?

Actor's studio

Une image, un jeu. Pas trop difficile: le titre est donné, la citation visuelle aussi – mais il est vrai que la référence ne doit pas être trop lointaine pour être efficace, et le film de Scorsese de 1990 est peut-être déjà à la limite du champ mémoriel d’un lectorat assoupi par les premiers jours de l’été.

Et une leçon de narratologie journalistique. Pendant que certains tentent de décrire «l’action collective consistant à fabriquer une information jugée « objective »», le jeu de la référence dévoile surtout le biais narratif retenu dans les rédactions pour rendre plus intéressante la guéguerre de succession à droite. Le match Copé-Fillon risquant d’être soporifique, il faut une bonne louche de feuilleton pour redonner un peu d’allure au produit à l’étal.

Carnet de campagne

Consécration du remix

Remarquable exemple de recyclage médiatique de conversation, les interprétations du mème « La France forte » par Libération (21 avril) et Le Nouvel Observateur (26 avril, Serge Ricco) témoignent de la productivité du détournement. Aucune autre affiche n’a produit une telle descendance. Tout se passe comme si le jeu appropriatif du mème avait ouvert l’expressivité de l’image initiale, devenue comme un puzzle à recomposer, une invitation au remix. La reprise en couverture de ces images, au sein d’organes dont le rapport à la culture de l’appropriation reste mesuré, atteste que la reconnaissance du mème est estimée suffisante pour constituer un motif légitime. Continuer la lecture de Consécration du remix

Le suicide de l'UMP fait les affaires du FN

J’entends depuis hier soir un concert de voix affolées d’amis stupéfaits de voir Marine Le Pen réaliser le même score que son père il y a dix ans (17,79% au second tour de l’élection présidentielle de 2002). Mais peut-on me dire quel miracle aurait entretemps effacé l’électorat frontiste du paysage? La crise a-t-elle été enrayée? Les élites ont-elles corrigé leurs penchants oligarchiques? A-t-on entrepris une action pédagogique pour éclairer ces brebis égarées?

Ah, j’oubliais! C’est Sarkozy qui aurait fait disparaître comme par enchantement le FN, en créant le ministère de l’Identité nationale et en renvoyant les immigrés chez eux. Mais le scrutin de 2012 montre bien que siphonner n’est pas la même chose qu’éliminer. Contrairement à ce que la propagande UMP voulait faire accroire, Sarkozy n’a rien fait disparaître du tout: il n’a fait que déplacer temporairement une fraction de cet électorat, dont les voix ont permis sa victoire en 2007. Continuer la lecture de Le suicide de l'UMP fait les affaires du FN

L'ombre de vidéogag

A quelques jours de la fin de l’ère sarkozyste, l’impression s’impose d’une accélération de la désintégration. Au réveil de ce cauchemar, la première question sera: comment ont-ils pu? A la crédulité et au cynisme, il sera évident aux yeux de tous que s’ajoute la complicité médiatique.

Combien de Unes, combien de décryptages qui n’analysent rien, combien de manières de faire de la musique avec du vent? Admiré ou honni, Sarkozy sera resté jusqu’au bout la bouée de sauvetage d’une presse qui se noie, le meilleur argument de vente de canards qui, comme le Grand Journal, ne savent plus exhiber que leur propre caricature.

C’est un long sevrage qui s’engage dès à présent, et laisse les médias orphelins. Les plus malins comprendront que la page qui se tourne est celle de la superficialité – que l’attente est immense d’analyses dignes de ce nom. Ce n’est pas avec les vedettes du quinquennat passé qu’on fera un journalisme qui mérite son salaire.

Qu’adviendra-t-il de lui? Le triste destin de DSK, devenu pâte molle pour amuseurs après avoir figé toute la France éditoriale, est une assez bonne préfiguration du sort qui l’attend. Il est savoureux que l’ancien homme fort du PS ait précédé le caïd de l’UMP sur le chemin qui mène au jeu de massacre: ils seront bientôt réunis par le sarcasme et la détestation qui attend les puissants déchus, d’autant plus moqués qu’ils ont été craints. De l’hystérique président ne restera à terme que l’ombre reflétée par vidéogag: la série des dérapages, lapsus et autres accidents indéfiniment reproduits sur Youtube.

Les leçons de cette débâcle peuvent être profitables. Si l’échec flagrant du césarisme comme méthode de gouvernement et du clientélisme comme outil de gestion politique pouvait vacciner la démocratie française, cette mandature n’aurait pas été complètement vaine.

Une certaine inattention

2007-2012, calendrier électoral identique. En haut, une photo des panneaux électoraux de mon bureau de vote, en banlieue parisienne, le 11 avril 2007, 4 jours après le début de la campagne officielle. J’habite un quartier résidentiel: les altérations des affiches restent modestes (voir l’enquête du Lhivic en 2007). Pas d’arrachage ou de lacération violente, mais une présence marquée de graffitis, qui montrent un certain degré d’interaction (cliquer pour agrandir).

En bas, même lieu, cinq ans plus tard, le 17 avril. On est presque une semaine plus loin dans le processus électoral, à cinq jours du premier tour. Pourtant, les affiches sont presque intactes. Un seul tract a été arraché. Difficile bien sûr de transformer en échantillon ces actes individuels non représentatifs. La météo est bien plus fraiche. Mais on ne peut s’empêcher de se demander si cette indifférence pour le matériel électoral n’est pas le symptôme d’une inattention pour le rendez-vous politique.

Si Sarkozy m'était conté (2007-2012)

Petite compilation de couvertures mettant en scène le personnage Sarkozy, de 2007 à nos jours (cliquer pour agrandir). On observera ici qu’un seul et même visage peut raconter toutes les histoires, selon les choix de la rédaction. Du sourire à pleines dents à la colère, en passant par le doute, l’embarras ou la fatigue, les mines de l’acteur se conforment à la gamme des titres, qui lui imposent leur scénario. Le journalisme est aussi un art de la physionomie et de l’apparence.

De haut en bas et de gauche à droite: 1) L’Express, 23/08/2007; 2) Libération, 18/10/2007; 3) Paris-Match, 20/12/2007; 4) Paris-Match, 06/02/2008; 5) Le Point, 07/02/2008; 6) L’Express, 07/02/2008; 7) Libération, 21/04/2008; 8) Le Point, 17/06/2010; 9) Le Nouvel Observateur, 15/07/2010; 10) Le Nouvel Observateur, 09/09/2010; 11) L’Express, 03/10/2010; 12) L’Express, 29/10/2010; 13) Le Nouvel Observateur, 10/03/2011; 14) Le Point, 07/04/2011; 15) Paris-Match, 13/07/2011; 16) Marianne, 07/10/2011; 17) Le Point, 12/01/2012; 18) Libération, 30/01/2012; 19) Le Point, 16/02/2012; 20) Paris-Match, 29/03/2012.

Adieu Nicolas, bonjour François?

Peut-on transmettre un message caché dans l’image? Cette idée est familière dans les analyses de la publicité depuis The Hidden Persuaders de Vance Packard (1957). Mais le principe de la manipulation subliminale me semble fortement limité par la variabilité de l’interprétation des formes visuelles. Une notion qui me paraît plus robuste est celle de signification implicite, qui repose sur un partage ou une complicité objective entre l’émetteur et le destinataire. Cela dit, il est des cas où l’impression s’impose qu’on joue de l’ambiguïté native de l’image pour délivrer des messages en contrebande, sans qu’il soit toujours possible d’assigner de manière claire leur degré d’intentionnalité. Continuer la lecture de Adieu Nicolas, bonjour François?