J’entends depuis hier soir un concert de voix affolées d’amis stupéfaits de voir Marine Le Pen réaliser le même score que son père il y a dix ans (17,79% au second tour de l’élection présidentielle de 2002). Mais peut-on me dire quel miracle aurait entretemps effacé l’électorat frontiste du paysage? La crise a-t-elle été enrayée? Les élites ont-elles corrigé leurs penchants oligarchiques? A-t-on entrepris une action pédagogique pour éclairer ces brebis égarées?
Ah, j’oubliais! C’est Sarkozy qui aurait fait disparaître comme par enchantement le FN, en créant le ministère de l’Identité nationale et en renvoyant les immigrés chez eux. Mais le scrutin de 2012 montre bien que siphonner n’est pas la même chose qu’éliminer. Contrairement à ce que la propagande UMP voulait faire accroire, Sarkozy n’a rien fait disparaître du tout: il n’a fait que déplacer temporairement une fraction de cet électorat, dont les voix ont permis sa victoire en 2007.
Sa résurgence aujourd’hui montre que cette tactique était un fusil à un coup. Voire une arme dont le tir se retourne contre son auteur. Car non seulement l’électeur frontiste n’a pas été convaincu par les gesticulations, déclarations et autres débats sur l’identité nationale non suivis d’effets, et s’est empressé de revenir au bercail. Mais c’est l’UMP tout entière qui a été contaminée par la rage xénophobe et a perdu son âme.
Le résultat de ce naufrage est résumé par les chiffres du premier tour. Le FN, dont la vision néo-coloniale a été banalisée au sommet de l’Etat, sort renforcé de la séquence. L’UMP, construite en additionnant le RPR et l’UDF pour former un parti durablement majoritaire, est désormais en état de mort clinique.
Depuis 2009, Sarkozy a réduit la gamme de ses outils politiques au siphonnage de Patrick Buisson – une tactique qui a logiquement démontré ses limites, car le FN n’est pas le bord politique extrême de l’UMP, mais un espace de refus et de contestation des pouvoirs. Il n’y a pas de réserves de voix du côté du FN pour la droite, il n’y a qu’un trou noir.
Dépourvue de toute stratégie de rechange, la droite républicaine va bientôt perdre son chef, qui assure traditionnellement la fonction de colonne vertébrale. L’aventurier qui voulait gagner à tout prix n’aura pas fait disparaître le Front national, mais bien l’UMP. Si le pire est à venir, ce n’est pas la faute de Marine Le Pen, mais de la droite française, qui s’est bouché le nez, les yeux et les oreilles dans le seul but de garder le pouvoir. Le temps est venu de payer l’addition.
On pourrait aussi ajouter que c’est la fin de la tactique de dérive du continent de la droite républicaine vers les thèmes du FN puisque la soudure va probalement se faire après le 7 mai. Chirac, aidé par certains médias et le suivisme des autres avait largement fait campagne sur ces terres (insécurité, immigration, peur de la mondialisation) en 2002, si bien qu’il avait ouvert un champ à Le Pen père. En 2007, Sarkozy n’a pas écarté Le Pen, il n’a pas siphoné son électorat au profit d’une droite républicaine légèrement autoritaire, il s’est fait carrément passer pour lui en se plaçant comme un rebelle de droite (la rupture) et en bénéficiant d’une image de protestataire transgressif. En 2012, il a refait le coup sans se rendre compte qu’il incarnait le pouvoir… il n’a donc fait que de la pub à Marine Le Pen qui n’a pas eu à se fatiguer pour engranger les suffrages que lui confectionnaient Sarkozy et Buisson…
Avec la recomposition de la droite et le probable grand parti de droite populaire (elle envisage paraît-il de changer le nom du FN) qu’elle se prépare à faire avec les membres de la Droite populaire qui vont se retrouver orphelins de leur caïd, le 7 mai, et qui décideront peut-être de la rejoindre dans un parti neuf et moins typé que le FN, elle va devenir centrale à droite et ressouder les continents autour du pétainisme transcendantal que Chirac (l’innocent aux mains et aux poches pleines) et Sarkozy ont si bien su réveiller pour garder le pouvoir après les années Jospin…
UMP et FN finiront par disparaître pour laisser place à un nouveau parti… et pourquoi pas le PPF, au moins, ce serait plus clair…
En attendant la gauche a cinq ans pour diffuser ses valeurs et inventer une formule politique assez radicale et assez juste, qui rappelle les français à leur humanité ou tout au moins à leur tradition humaniste.
Reste que Hollande aura besoin d’une partie des voix du FN. Reste que Hollande, qu’il le veuille ou non, devra, directement ou indirectement s’adresser à l’électorat de ce parti.
Un seul message que la gauche doit adresser au FN : l’encourager à prendre le pouvoir à droite, ou du moins, lui donner l’illusion que le pouvoir est à prendre (alors que ce parti est juste une variable d’ajustement, l’équivalent en économie… du chômage) tout en sachant que… pour y parvenir, le FN aura besoin de se débarrasser de Sarko et de contribuer à sa chute.
Il faut travailler à l’abstention massive de l’électorat du FN ou bien à son vote tactique : renverser Sarko et l’UMP, l’ouvrir en grand, saigner ce parti qui n’est plus, aujourd’hui, entre les mains de Sarkozy qu’une fosse à purin -, et ainsi, contribuer à élire Hollande.
Autre chemin à emprunter : culpabiliser tous ceux qui, hommes et femmes, têtes d’affiche de l’UMP issues de l’immigration…. récente ou pas, se sont rangés derrière Sarkozy alors même qu’ils savent que leur champion un peu moins champion maintenant devra se vautrer dans la boue du FN et d’un discours sur l’étranger bouc émissaire, punching-ball et défouloir : Dati, Yade, Kosciusko-Morizet… (même Copé qui est né en Algérie)…
Tous ces hyènes de la raison xénophobe et raciste (dès dimanche soir, ils étaient déjà à l’ouvrage !) comme moyen aux fins d’une cause, celle d’un parti, l’UMP, dont Sarkozy, après l’avoir violé, a rabaissé au rang de putain de la politique sans principes, et dont il portera la responsabilité… responsabilité historique.
@Olivier Beuvelet: La voie de Marine Le Pen n’est pas beaucoup plus large que celle de la droite régimaire. Elle perdra son potentiel protestataire dès lors qu’elle s’inscrira dans une dynamique de gouvernement…
Je ne crois pas à une recomposition de la droite à partir de sa branche extrême, ne serait-ce que parce qu’il y manque l’intelligence tactique et l’ambition politique. On constate qu’aux USA, berceau de toutes les révisions du logiciel libéral, il n’y a pour l’instant guère de propositions susceptibles de relancer le jeu. On ne voit pas non plus de leader capable de s’imposer à court terme (Copé sombrera dans le tourbillon du sarkozysme…). Je pense que de l’eau coulera sous les ponts avant que la droite ne refasse parler d’elle…
@Uleski: Pourquoi donc s’adresser à cet électorat? La stratégie de Sarkozy donne d’ores et déjà partie gagnée à Hollande: il y a plus de voix à récupérer au centre qu’aux extrêmes…
Par la suite, on reviendra à la configuration mitterrandienne: le Front national constituant une source de difficultés majeures pour la droite, la gauche n’a aucun intérêt à le voir diminuer. Elle n’a d’ailleurs pas les moyens d’influer de façon décisive sur son évolution.
La recomposition-décomposition de la droite était annoncée depuis les régionales. Je pariais pour ma part sur le franchissement du rubicon et une alliance FN-UMP, Mais il devient clair que c’est le crash assuré pour l’Ump, qui avait opté pour une version de l’union « Très gros porteur » (genre A310), et qui va donc disparaître dans la catastrophe, avec les conséquences décrites ici.
Mais ce qui me surprend, au-delà du scrutin, c’est que tous les partis s’isolent peu ou prou (je garde mes voix, je ne les donne pas, je les concède.. etc). La fin de l’Ump qui jouait l’union au sein d’une supra entité (à quoi la la Gauche plurielle n’équivaut pas du tout) serait-elle ainsi et aussi la fin d’un mode d’alliance/désistement entre les partis, et donc le terme d’une forme de gouvernementalité (la Vème Rép, quoi…) ?
La tentative ratée de JLM tend à le le laisser supposer. Et ce n’est pas forcément un très bon point pour Hollande, pour la suite.
@ André Gunthert,
Je ne dis pas que cela va marcher, c’est sûrement un leurre car il est effectivement difficile de capitaliser sur un vote qui ne cherche pas le pouvoir mais la protestation contre le pouvoir (et contre l’idée même de pouvoir paradoxalement) le vote Le Pen est en grande partie un défoulement sans lendemain… mais quand même, le paysage autour a changé…
Qui sait ce qui repoussera sur les décombres de l’UMP… Sarko a tellement déplacé le curseur à droite que « sa branche extrême » est venue se placer en son centre… et il peut y avoir un changement de paradigme… Les cadres du parti savent où ils en sont, ils ne croient qu’en leur siège, mais son électorat qui (pauvre de lui) croit en son discours, lui a fait le voyage vers son Pétainisme intérieur… et maintenant, il est bien là !
On verra bien, mais après l’aventure du sarkozysme qui se finit ainsi, il n’en reste plus qu’une pour la droite, la plus dangeureuse et la plus glauque… ça prendra du temps… mais on voit déjà le délicieux Copé (le petit baigneur avec un grand S) commencer à travailler son Le Pen avec la méthode Assimil… 😉
Marine va avoir un nouvel attaché de presse, et elle est très jeune.
@Dominique Gauthey: La dynamique individualiste de la 5e a considérablement affaibli le rôle des partis, qui ne sont plus que des écuries de chevaux de courses. De ce point de vue, on peut néanmoins apprécier la réactivité du PS, qui a réussi à recréer un candidat en moins d’un an, grâce au processus des primaires, succédant au fiasco DSK. Objectivement, ils reviennent de loin. Pas sûr que l’UMP caporalisée aurait pu faire face à un scandale de magnitude équivalente…
@Olivier Beuvelet: On voit aux USA les errances d’une droite qui se cherche, et qui a véritablement perdu la boussole forgée dans les années Reagan/Thatcher… Tout est à revoir. Une version post-sarkozyste de NKM (aujourd’hui un peu cramée par les excès de la campagne…) me paraît pouvoir représenter le prototype d’une droite moderne et raisonnablement éclairée – mais ça ne va pas se faire en claquant dans les doigts. Rendez-vous dans un ou deux mandats… 😉
Rue 89 participe à la discussion : http://bit.ly/HWA9yx
Sur le NouveObs.com : http://bit.ly/JCEk4E
Dont voici un extrait :
« Le 2 janvier dernier, en toute discrétion, Louis Aliot, a déposé le nom « Alliance pour un rassemblement national ». Une dénomination qui a le mérite de mettre Jean-Marie Le Pen devant ses responsabilités. En 1986, le fondateur du FN avait mené campagne sous la bannière « rassemblement national » lors des élections législatives de 1986.
Simple coïncidence ou action concertée ? Le site rassemblementnational.fr a, lui, fait l’objet d’un dépôt officiel le 30 mars dernier. Son propriétaire n’est pas un proche du FN. Il s’agit de François Vaute, un proche du député du Nord Christian Vanneste qui s’est fait élire le mois dernier Président du Rassemblement pour la France après que l’UMP eut décidé de lui retirer son investiture pour les législatives. »
On peut ajouter que Louis Alliot (compagnon de MLP) issu de la tendance « rappatriés d’Algérie » du FN appartient à la branche modérée du parti et se dit proche de Chevènement. il a d’ailleurs été parainné par Roland Dumas au barreau de Paris… Ce n’est pas un nostalgique de Vichy ni un néo-nazi déclaré… il navigue entre l’extrême-droite et la droite qui vient vers lui sous Sarkozy, Guéant…
Il est probable que nous assistions à de grandes manoeuvres qui voient émerger un parti populiste style hongrois… mais il leur faudra probablement dix ans pour arriver au pouvoir, La gauche a peut-être le temps de désamorcer la bombe fasciste que la droite républicaine s’est confectionnée pour garder le pouvoir…
Le pire est déjà en train de se produire. Je suis atterré par le virage pris par les deux protagonistes (je ne croyais pas ci-dessus à une « pêche aux voix » lepénistes par Hollande, je me trompais… La sanction sera la même que celle qui attend Sarkozy: la désaffection de la part des centristes, qui constituent aujourd’hui le socle de Hollande – où croit-on que sont passées les voix qui manquent à Bayrou?).
Cette campagne avait commencé dans l’insignifiance, elle finit dans la honte. Malgré tous ces drapeaux qui flottent aux quatre coins des images, il n’y a pourtant pas de quoi être fier d’être français… Vivement que ça finisse!
@André,
Bien d’accord, Hollande fait peur… il ne réaffirme que du bout des lèvres son intention de donner le droit de vote aux étrangers pour les élections municipales et il ne s’appuie pas assez sur son opposition idéologique aux inepties du FN…
ils ne sont que 18 % dont une bonne partie va voter blanc…
C’est une faute morale et une grande erreur tactique, parce que vu comme l’autre zozo se vautre dans son pétainisme transcendantal, Hollande pourrait triompher en clivant nettement sur le thème des valeurs humanistes et républicaines auxquelles une majorité de français sont encore attachés, même si c’est parfois superficiel…
Mais il suffit de regarder comment il a changé sa photo de couverture sur son journal FB pour le saisir pleinement, il est passé d’une évocation de Jaurès à la Bastille à une image populiste qui ressemble aux premières photos de Sarkozy en campagne…
Ils vont finir par porter des peaux de bête et aller faire leur débat d’entre-deux tours dans une caverne… 😉
PS : Je viens de lire ça :
59 % des électeurs de MLP et 64 % des électeurs de NS souhaitent une alliance pour les législatives… on voit qui domine à droite ;-(
http://bit.ly/IpR1Ak
À propos de drapeaux
Je n’avais pas une grande confiance en François Hollande, mais depuis qu’il arbore lui aussi un drapeau français à la bande blanche rabougrie, je me dis que décidément c’est « bonnet blanc et blanc bonnet » comme aurait dit le petit boulanger.
Je suis surpris également que personne ne semble avoir relevé ce « détail ».
La stratégie de Sarkozy semble être une fois pour toute le « ça passe ou sa casse ». Sa petite phrase à propos de la lutte contre l’immigration qui serviraient des objectifs communs avec les centristes (limiter les dépenses publiques) est peut-être être moins un signe pour obtenir le ralliement de Bayrou qu’une manière pour Sarkozy de tout miser au contraire sur le report des voix FN, mais en pariant que les centristes qui n’iraient pas vers Hollande ou s’abstiendraient seront assez nombreux pour que l’élection se joue au final dans une très, très courte fourchette. En somme, il n’a pas le temps d’attendre le 3 mai que Bayrou daigne se prononcer.
Il est sûr que si Hollande continue à flirter avec les thèmes Sarko-lepénistes, il risque fort de voir en revanche son avance vite diminuer. D’autant que, comme l’indique le géographe J. Levy le taux de participation élevé cache aussi une abstention en hausse dans les centres urbains (et ce sera ça la vraie surprise, pour lui), qui sont les plus favorables à la gauche, où le discours franco-centré des candidats passe le moins bien, et là où Le Pen fait ses plus bas scores.
=> http://www.franceculture.fr/emission-planete-terre-france-2012-geographie-d-un-vote-2012-04-25
Mais en disant d’un coté « pas d’alliance » et de l’autre en fondant carrément son discours dans celui de Le Pen, Sarkozy s’adresserait ainsi plutôt aux péri-urbain dont le vote est sur-représenté chez MLP, et qui ne sont pas tant les 30% d’ouvriers et/ou de quasi analphabètes dont on nous parle depuis 3 jours, mais les fameuses classes moyennes, dont les choix quant à leurs lieux de vie sont remis en cause par les difficultés économiques. En somme, des anti-bobos…
Au-delà des % sortis des urnes, il me semble personnellement que NS poursuit sa stratégie de façon très cohérente, même s’il fait de radicaliser encore plus en ouvrant toutes les voiles, même au risque de tout casser en envoyant le navire droit sur le récif.
Sauf si, à trop vouloir le suivre, Hollande donne sa préférences au chant des sirènes… plutôt qu’à la voix du peuple. Et que ses propres marins soient finalement les plus nombreux à sauter du navire…