Un discours peut-il tout changer? Magie des campagnes, ce moment où le verbe semble doté d’un pouvoir performatif sur les choses – si différent du cours habituel de l’exercice politique, où la volonté a tant de mal à se traduire en actes. Cinq ans après le discours du 14 janvier 2007, par lequel Nicolas Sarkozy donnait le coup d’envoi d’une dynamique victorieuse, le discours du Bourget de François Hollande lui répond mot pour mot.
On dit le candidat socialiste calé sur le modèle mitterrandien. Pourtant, son image qui se détachait sur fond bleu, cette combinaison des drapeaux européen et français, les allers-retours de Louma dignes d’une finale de la Nouvelle Star à Baltard, les perspectives sur la houle des banderoles et des fanions rappelaient surtout le précédent des grandes mises en scènes sarkoziennes.
Le paradoxe n’est qu’apparent. Les discours ayant mené le candidat de l’UMP à la victoire, rédigés par une plume gaullo-souverainiste romantique, avaient un son républicain – qui disparaîtra aussitôt après l’élection. Pour fournir aux élites médiatiques et à l’électorat de gauche le spectacle qu’ils attendaient, celui d’un vrai candidat en campagne, Hollande s’est largement inspiré du modèle bonaparto-chevènementiste qui a fait le succès de son adversaire.
Si un discours de campagne a un pouvoir que n’aura jamais la loi, c’est parce qu’il ne vise pas à modifier le réel, mais seulement la croyance. Mettant un terme à une séquence chaotique qui faisait craindre à ses partisans le retour de la malédiction ségoléniste, François Hollande a su mettre en scène la rencontre du candidat avec le peuple, figure indispensable de l’élection présidentielle française. Trouver les mots pour faire vibrer la foule, fut-elle acquise, n’est pas un exercice si simple, et le discours du Bourget montre ce qui va désormais cruellement manquer au président en exercice: le spectacle de la ferveur, l’enthousiasme que cinq ans de zigzags ont définitivement éteint. Tous les tweets de Nadine Morano ne suffiront pas à réveiller cette étincelle dans le regard de ceux qui croient à la victoire.
Pendant que Sarkozy tombe dans le piège de l’amoncellement de mesures, Hollande reprend la partition du volontarisme et déclare haut et fort son refus de la fatalité du système financier. Dès maintenant, les jeux sont faits: Hollande est le nouveau Sarkozy, le nouveau héros, le nouveau vainqueur – chacun peut en reconnaître les images familières.
(Billet initialement publié sur le blog Les observateurs 2012)
Tu as (malheureusement) tout à fait raison sur la forme du discours. Il emprunte les traits et les habits du dernier vainqueur et évite soigneusement ceux de son Ex. Depuis Mitterrand qui a renouvelé l’habit présidentiel Gaullien en le teintant de rose, nous élisons régulièrement le même président; un monarque républicain qui a un coeur à gauche et une intelligence à droite, ou l’inverse… Mélange de volontarisme et de générosité… Un bon roi quoi… caressant la classe ouvrière, séduisant la classe moyenne sans trop effrayer le grand bourgeois… Il n’y a pas de victoire possible autrement, semble-t-il… A moins que l’opinion ne se radicalise, mais les médias veillent au maintien de la température tiède de la soupe commune.
Le discours de Hollande, très réussi et enthousiasmant par moment n’avait pas d’autre but que de lui donner cette dimension « présidentielle », c’est-à-dire de le mettre seul dans le cadre doré réservé aux rois, sur une estrade hors norme, devant un public hors norme, sur un fond bleu roi,avec les drapeaux européens et français, dans un panachage de gauche dure (point de départ) et de neutralité républicaine et avec la marseillaise à la fin…
Il est toujours dans le registre de l’alter-président, une figure de Sarkozy en plus sérieux, plus digne…
Cependant, il y a un moment qui a peut-être rompu avec cette tradition monarcho-bonaparto-Gaullo-Mitterrando-Chiraco-Sarkozyenne… il a dit : « Je n’aime pas les palais. »
C’est-à-dire, au fond, qu’il nous a laissé entrevoir qu’il savait jouer le rôle, par nécessité, mais qu’il n’était pas entièrement animé du désir de régner qui animait ceux dont il reprend l’habit contemporain… Désir qu’il est indispensable de manifester pour espérer entrer à l’Elysée tant il est vrai que la V ème République ne prévoit rien d’autre, sur le plan symbolique, que le Choix de son Roi par le peuple. Peut-être,j’ose l’espérer, y a-t-il dans cette petite réticence le signe d’une réforme à venir de cette structure symbolique du pouvoir politique que cinq ans de sarkozysme ont usée jusqu’à la corde.Peut-être que Hollande saura dire aux français qu’il va rompre avec cette monarchie républicaine… qu’il ne sera pas leur roi mais leur représentant…
Bon, c’est un rêve peu français… 😉
eh oui: la problématique essentielle c’est cette formule surannée de la « rencontre d’un homme et du peuple », cette mixture entre bonapartisme et républicanisme qui n’a guère convenu qu’à l’époque de De Gaulle (et encore…).
Depuis quarante ans, cette forme est vraiment dépassée, et la France prend de plus en plus de retard dans la démocratisation en profondeur de la vie politique et sociale. C’est ce qui explique pourquoi, comme le dit bien Olivier Beuvelet, nous élisons toujours un peu le même président et que, même s’il vient de la gauche, tout président se trouve en quelque sorte happé par la logique bonapartiste.
En ce qui concerne Hollande au Bourget, disons au moins qu’il a rappelé un certain nombre de principes mis à mal par l’actuel président. Lequel avait ajouté au bonapartisme inhérent à la Ve République des postures et des pratiques de parrain.
Jusqu’ici je croyais Sarkozy imbattable pour la mise en scène politique. Peut-être me suis-je trompé. Que Sarkozy soit battu en partie par ses propres armes, retournées comme un gant par Hollande : le spectateur en éprouve au moins une espèce de plaisir esthétique.
On peut ajouter à ces éléments d’analyse que le choix du « courage » comme dernier motif crédible pour asseoir la (non-)candidature Sarkozy était probablement la pire option de campagne possible. Le « courage », dans la situation présidentielle, cela signifie serrer les dents face à la grogne populaire et imposer vaille que vaille les mesures exigées par les pouvoirs de la finance. Pour l’ancien VRP du volontarisme, le « courage » est un suicide politique: comme l’a noté un commentateur, avec ce viatique, la plus grande preuve de courage, ce serait de perdre…
En fonction de la brutalité des sondages, on peut s’attendre à ce que février se transforme à droite en vraie foire d’empoigne… Si la courbe descendait trop bas, et que Sarko apparaissait de manière régulière en n° 3, il se pourrait même que l’épreuve de la candidature lui soit finalement épargnée… Un scénario improbable il y a encore quelques jours, mais qui paraît aujourd’hui un objectif réalisable pour la gauche.
@ André,
« il se pourrait même que l’épreuve de la candidature lui soit finalement épargnée… Un scénario improbable il y a encore quelques jours, mais qui paraît aujourd’hui un objectif réalisable pour la gauche. »
Tout à fait… mais ce ne serait pas forcément une bonne chose pour Hollande…
Après le piège de la note, c’est celui des sondages qui risque de se refermer sur Sarkozy (Qui a vécu par le glaive…) je verrais bien la sarkozye se briser en deux dans quelques semaines, les intentions de vote des troupes UMP se répartissant entre Marine Le Pen d’un côté et François Bayrou de l’autre, Sarkozy étant contraint au repli… Si Bayrou continue de monter dans les sondages et de recevoir des soutiens importants à droite, et si Copé continue à saborder savamment la campagne de l’UMP en faveur de Sarkozy, on va bientôt avoir des tests sondagiers d’un duel final Bayrou-Hollande, ce qui serait le coup de grâce pour Sarkozy, et on va peut-être voir que Bayrou serait un adversaire redoutable pour Hollande… C’est peut-être pour cela d’ailleurs que Hollande a décidé, à la surprise générale d’attaquer sa campagne bien à gauche… pour droitiser Bayrou… 😉
Le dépôt des candidatures est en mars. Je vois mal l’UMP appeler à voter Bayrou. En cas de défection de Sarko, l’hypothèse d’un candidat de remplacement, type Juppé, n’est pas à exclure. Waite and see, on saura maintenant assez vite quelle est la configuration finale…
Ça va plus vite que je ne pensais:
Lemonde.fr: « Nicolas Sarkozy évoque l’hypothèse de sa défaite »
http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/01/24/nicolas-sarkozy-evoque-l-hypothese-de-sa-defaite_1633545_1471069.html
Et voilà comment, à partir d’un billet qui lui, se plaçait bien dans le domaine de l’image, on dérive vers des supputations, pas inintéressantes mais qui n’ont plus rien de visuel. Un peu de rigueur, messieurs, ne vous trompez pas de blog.
@ClaudeFL
il serait étonnant que soit tabou dans un blog qui s’inscrit sous le signe du totem le domaine du politique.
et puis: que toute image soit politique, qui en douterait? de même que d’ailleurs toute politique fait image.
@ André,
En effet… c’est « courage fuyons ! »
Une petite précision, je ne vois pas l’UMP soutenir officiellement Bayrou, mais il est le mieux placé à droite et il est possible que de nombreuses mouches de l’UMP changent d’âne… (pour faire une image et rassurer mon voisin du dessus 🙂
@ClaudeFL: Ne serait-ce pas vous qui vous trompez de blog? Avant d’en critiquer l’expression, merci d’avoir la rigueur de lire au moins sa présentation, qui précise la règle du jeu: http://culturevisuelle.org/totem/a-propos
Et ce soir… (il suffisait de demander) Le Monde.fr titre : « 64 % des Français préfèrent Bayrou à Sarkozy selon l’Ifop »
http://bit.ly/xHhEit
On y est presque…
Aujourd’hui mercredi, magnifique choix conjoint de Libé et le Monde pour illustrer l’info de l’évocation de la défaite: une vue en plongée de Sarko & Co en Guyane, dans une barque qui semble près de couler…
http://culturevisuelle.org/icones/2287