Pourquoi l'iPhone est le meilleur appareil photo

Parti faire des emplettes en ville, je croise une fanfare de Maubeuge qui pousse le flonflon avec enthousiasme. Dilemme. J’ai dans ma poche l’excellent appareil photo compact Fujifilm X10, qui fait des images magnifiques. Oui mais cette scène, je voudrais la partager avec ma femme, restée à la maison. Un petit coucou instantané, pour dire je pense à toi, regarde ce que je vois. Il me faut donc abandonner à regret le superbe appareil, et me rabattre sur mon iPhone, qui seul permet de transmettre sur le champ la photo.

Le succès de l’iPhone, y compris sur le terrain du photojournalisme, fait grincer les dents des puristes. Qui ne comprennent pas ce qu’on trouve à un outil médiocre et n’y voient qu’un effet de mode. Moi, ce que je ne comprends pas, c’est comment des fabricants d’appareils photo osent aujourd’hui proposer des machines non communicantes. La photo a changé d’ère. Il serait temps qu’ils s’en aperçoivent.

Le Scrabble, degré zéro de l'illustration?

Domaine technique et immatériel, l’économie apparaît comme un univers particulièrement difficile à mettre en images. Forcée d’illustrer coûte que coûte des situations abstraites, la presse n’a à sa disposition qu’un répertoire visuel particulièrement étroit, composé pour l’essentiel de graphiques, d’écrans d’ordinateurs, de pièces et billets ou de facepalm.

Au vu des dernières tentatives de l’AFP pour fournir un matériel figuratif à la crise de la dette, sous forme d’assemblages de lettres de Scrabble (voir ci-dessus, photo Thomas Coex), il est grand temps d’ouvrir un concours photographique pour renouveler un imaginaire visiblement épuisé.

Des jambes de prostituées

La prostitution est un sujet complexe qui soulève les passions. Pour les magazines, il présente aussi l’avantage de pouvoir servir d’alibi à une iconographie attractive. Exemple avec la dernière tribune abolitionniste publiée par Jarod Barry, que Slate.fr intitule drôlement « Regardons la prostitution telle qu’elle est« . Une bien jolie photo décore cet article, de jambes nues sur un lit aux coussins rouges, sagement légendées: « Des prostituées roumaines en Allemagne, en 2009 » (Reuters, Hannibal Hanschke).

On peut se rincer l’oeil sans honte, puisque ces belles gambettes sont des jambes de prostituées – information visuelle issue d’un reportage précisément situé dont la nature documentaire garantie autorise un usage sans arrière-pensées. Accessoirement, cette illustration choisie pour exciter l’imagination contredit quelque peu le propos de l’article. Supprimer la prostitution? Mais que restera-t-il pour émoustiller légitimement le bon père de famille lecteur de Slate?

MàJ: Patrick Peccatte me signale que cette photo sexy a déjà servi à plusieurs reprises, notamment pour illustrer des articles sur les maisons closes, le sexe low cost, ou le porn business

Tombeau à l'italienne

Même choix d’image aujourd’hui pour L’Humanité et Libération: une emblématique vue de dos qui souligne la manipulation des apparences, par la teinture d’une chevelure soigneusement rabattue sur la calvitie du futur ex-chef d’Etat italien. Pour accentuer encore l’artifice, Libé a retouché l’image, assombrissant et détourant la photo. Soit un bel empilage de clichés et de trucages: celui du rajeunissement cosmétique de Berlusconi, celui de l’annonce du départ d’une personnalité par son portrait de dos (à quoi s’ajoute l’emploi de termes familiers italiens pour désigner le contexte), celui d’un maquillage de l’image qui transforme un document en emblème.

Spielberg a bien créé un nouveau Tintin

Au hasard d’un tour en ville, je tombe sur la nouvelle gamme de figurines  accompagnant la sortie du Secret de la Licorne. Surprise! Les jouets ne copient pas les personnages de la BD, mais reproduisent ceux du film de Spielberg, qui créé donc une nouvelle référence – une première dans l’univers hergéen!

A noter, sur le plan théorique, que c’est bien l’image (la reproduction sous forme de figurine) qui fournit la preuve de la création d’un nouveau modèle: ce n’est que parce que celui-ci est à son tour copié qu’il peut être perçu comme une nouvelle référence, et non comme une version dérivée de la bande dessinée originale.

Un people, c'est quelqu'un

Qu’est-ce qui sépare la notoriété de l’état de « people » – personnage médiatique de plein exercice? Le traitement appliqué par la machine médiatique à François Hollande depuis son investiture comme candidat officiel du parti socialiste permet de préciser ce statut.

Depuis jeudi dernier, les gazettes ont fait apparaître à ses côtés sa compagne, la journaliste Valérie Trierweiler – en images pour Le Point, Match ou Le Monde Magazine, dans les titres pour L’Obs, tandis que L’Express affiche « Hollande intime »…

L’heure n’est plus à l’examen du programme. C’est bien son nouveau statut de présidentiable à part entière (et compte tenu du discrédit élyséen, de quasi-président avant l’heure), qui vaut à Hollande ce traitement de star, cette exposition qui le dote d’une personnalité, d’un statut plus dense que la simple publication de son portrait lorsqu’il n’était que candidat à la candidature.

Un people, c’est quelqu’un: pas seulement une fonction, une silhouette, mais un être au complet, dont on souligne l’épaisseur existentielle de mille manières, à commencer par sa vie familiale. Il est significatif de noter que les magazines d’actualité se rapprochent à ce moment précis du traitement des magazines people, dont cette métamorphose est la spécialité. C’est avec des photos d’album de famille qu’Hollande entame sous nos yeux sa présidentialisation – qui est d’abord une pipolisation.

Un Lartigue dans votre iPhone

J’avais analysé il y a quelques années les déformations de la célèbre photo de Jacques-Henri Lartigue intitulée « Grand Prix » (1913, ©AAJHL, voir ci-dessus). On peut aujourd’hui reconstituer l’expérience à l’aide d’un simple iPhone (ou de n’importe quel camphone).

A la manière des appareils photo classiques, celui-ci enregistre l’image verticalement, ce qui évite la déformation des mobiles dont le déplacement est parallèle au plan de prise de vue. Mais l’iPhone est aussi un outil photographique qu’il est facile de tourner dans un sens ou dans un autre, ce qui permet de vérifier que c’est bien la direction horizontale de l’obturation (ou, dans le cas de l’image animée, du balayage vidéo) qui produit les anamorphoses qu’on pouvait observer couramment au début du XXe siècle.

Ci-dessous deux photos réalisées au bord d’une route avec un iPhone tenu horizontalement, orienté à gauche, puis à droite. L’expérience montre que l’amplitude de la déformation s’accroit avec la vitesse du mobile.

Dominique à confesse

J’avais déjà eu l’occasion de noter l’unanimisme remarquable de la presse dans les différentes étapes du traitement de l’affaire DSK. Encore une fois, après l’entretien sur TF1 diffusé hier soir, les quotidiens réagissent avec un bel ensemble dans leurs choix visuels, au diapason d’une qualification qui tourne autour de la confession, de la contrition, de l’aveu et de la faute morale.

Le sourire, qui manifestait, dans les stations précédentes, la reprise de l’avantage, a disparu, au profit d’un air sérieux (on n’ose dire pénétré), dont les variantes légères sont d’autant plus perceptibles (comme celle du Midi Libre, qui choisit de montrer un personnage plus combatif).

Au total, l’opération de com est parfaitement réussie: on est passé mine de rien du registre judiciaire au registre moral, selon un scénario largement éprouvé par le personnel politique (qui ne reconnaît que les fautes qui n’entraînent aucune suite pénale).

Je demande la Joconde

Christian Bouche-Villeneuve, dit Chris Marker, expose en Arles un ensemble de photos prises dans le métro parisien pour un album intitulé Passengers (tout est toujours plus chic en anglais)… Dans cette série assez monotone, quatre images ont été mises en exergue, accouplées à des vignettes qui reproduisent des tableaux plus ou moins célèbres (voir album pour les vues détaillées).

A une jeune fille pensive qui le regarde droit dans les yeux, Marker associe le portrait de Mlle Rivière par Ingres (1805). Une brune à la coiffure serpentine se voit accoler le profil de la dame du Lac par Edward Burne-Jones (1874). Une femme endormie aux bras croisés a pour pendant la Joconde (Léonard, 1506). Une jeune maman qui tourne la tête en arrière est comparée à l’Orpheline au cimetière de Delacroix (1824). Continuer la lecture de Je demande la Joconde

Columbo, du grand art

«Le grand public le connaît surtout pour le rôle de l’inspecteur Columbo, mais l’acteur avait joué dans de nombreux films», écrit 20Minutes.fr pour saluer la disparition de Peter Falk, faisant écho à de nombreuses nécros pareillement balancées. Traduction: star de la télé, ça ne vaut pas une cacahouette; pour prouver qu’on a été un grand acteur, rien ne vaut Cassavetes…

A-t-on besoin de la bénédiction de la culture légitime pour reconnaître le talent? On peut aimer Cassavettes et trouver que Columbo a été un formidable rôle, incarné à la perfection par un comédien surdoué.

Comme souvent, Umberto Eco n’est pas tombé loin quand il décrit Columbo comme la nouvelle manifestation du petit homme, héros au rabais de la modernité télévisée (De Superman au surhomme, Grasset, 1993). Mais l’auteur du Nom de la Rose était déjà trop star lui-même pour être encore sensible à la part de revanche de classe que comporte le feuilleton.

En promenant son imper crade et ses manières de beauf dans les salons de grands bourgeois convaincus de leur impunité, l’inspecteur venge les prolos du monde entier, qui n’aimeraient rien tant que secouer la cendre de leur cigare à deux balles sur le tapis angora et faire trembler les puissants d’un «encore un p’tit détail» (« just one more thing« )…

Oui, la télé peut parfois venger les pauvres, et Columbo a été un de ces feuilletons universels qui a signé la montée en puissance de la culture télévisuelle, l’envers satirique du personnage incarné au cinéma par James Bond, avec épouse légitime invisible et moyens riquiqui, quand le grand écran affichait ses pin-up et ses dollars. Une création d’époque, un rôle comme il n’y en a que quelques-uns par génération, que Peter Falk incarnait visiblement avec un plaisir gourmand. Salut, l’artiste!

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