Le bruit de la vague

Lecture d’un billet érudit consacré au dernier album de Lady Gaga, par le critique musical Jody Rosen. J’admire le fait de pouvoir développer un véritable discours de critique d’art à propos de l’œuvre de Gaga, mais en même temps je me dis que dans l’univers de la pop, le rouleau compresseur de la starification produit tellement de bruit qu’une telle élaboration n’a plus grande importance.

Deux ans après le baptême médiatique de la Lady, est-il encore possible de faire entendre un signal élaboré? Ou cet article ne fait-il qu’ajouter un item de plus aux milliers de manifestations de la présence de la chanteuse, attestant par cette abondance même qu’elle est désormais une star, c’est à dire un personnage au-delà du bien et du mal, le point focal d’un bruit médiatique toujours renouvelé? Si tel était le cas, l’art ne serait qu’une composante secondaire, une unité parmi les multiples signaux de la construction médiatique, identique aux petites perceptions de Leibniz: le bruit de la vague dans le fracas de la mer…

Le mariage de Kate et William n'a pas eu lieu

Selon une croyance répandue, l’exercice du journalisme est intimement lié à l’événement – phénomène qui peut prendre des contours variés, mais qui suppose à tout le moins d’avoir eu lieu pour qu’on le décrive.

La beauté de la croyance est que le démenti quotidien de la loi ne la contredit d’aucune manière. Soit le mariage de Kate et William, événement qui, à l’heure où j’écris ces lignes, n’a pas encore eu lieu. Ce détail n’a pas empêché notre bonne presse de délivrer à l’avance des kilomètres de teasing – articles, couvertures, dossiers spéciaux voire numéros entiers consacrés à cet épisode mondain de la culture britannique.

On dira qu’un événement de ce type est si prévisible qu’il n’est nul besoin de l’avoir constaté pour en parler. Cette réponse philosophique méconnait grandement l’économie médiatique, qui ne se borne pas à annoncer le rendez-vous, mais dont les efforts pour alimenter le filon peuvent se mesurer à l’inventivité débordante des angles imaginés pour en prolonger le récit. Toujours prompte à se recycler elle-même, la presse va jusqu’à faire de l’évocation de la « frénésie médiatique » une autre façon de rallonger la sauce.

Au contraire de la sémiologie, qui justifie l’affairement médiatique en apercevant au cœur de l’épisode princier quelques leçons de vie fondamentales, je crois que Kate et William nous montrent surtout comment la presse peut faire d’à peu près n’importe quoi un événement d’importance planétaire, par la simple mobilisation de l’appareil médiatique, la répétition et la survalorisation de l’annonce. C’est ce qui est finalement le plus intéressant dans la tradition de couverture de l’événementialité monarchique britannique: qu’elle démontre le fonctionnement « à blanc » de l’œuvre médiatique, machine à focaliser l’attention, pouponnière de l’événement – ou élevage de poussière

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