Selon une croyance répandue, l’exercice du journalisme est intimement lié à l’événement – phénomène qui peut prendre des contours variés, mais qui suppose à tout le moins d’avoir eu lieu pour qu’on le décrive.
La beauté de la croyance est que le démenti quotidien de la loi ne la contredit d’aucune manière. Soit le mariage de Kate et William, événement qui, à l’heure où j’écris ces lignes, n’a pas encore eu lieu. Ce détail n’a pas empêché notre bonne presse de délivrer à l’avance des kilomètres de teasing – articles, couvertures, dossiers spéciaux voire numéros entiers consacrés à cet épisode mondain de la culture britannique.
On dira qu’un événement de ce type est si prévisible qu’il n’est nul besoin de l’avoir constaté pour en parler. Cette réponse philosophique méconnait grandement l’économie médiatique, qui ne se borne pas à annoncer le rendez-vous, mais dont les efforts pour alimenter le filon peuvent se mesurer à l’inventivité débordante des angles imaginés pour en prolonger le récit. Toujours prompte à se recycler elle-même, la presse va jusqu’à faire de l’évocation de la « frénésie médiatique » une autre façon de rallonger la sauce.
Au contraire de la sémiologie, qui justifie l’affairement médiatique en apercevant au cœur de l’épisode princier quelques leçons de vie fondamentales, je crois que Kate et William nous montrent surtout comment la presse peut faire d’à peu près n’importe quoi un événement d’importance planétaire, par la simple mobilisation de l’appareil médiatique, la répétition et la survalorisation de l’annonce. C’est ce qui est finalement le plus intéressant dans la tradition de couverture de l’événementialité monarchique britannique: qu’elle démontre le fonctionnement « à blanc » de l’œuvre médiatique, machine à focaliser l’attention, pouponnière de l’événement – ou élevage de poussière…
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J’ai trouvé intéressant le fait que des logos aient été créés pour l’occasion pour accompagner les reportages sur le sujet. Par exemple, sur le JT de France 2 l’on peut voir de tous petits Kate & William en haut à gauche de l’écran dès que l’on parle du mariage (j’ai vu la même chose sur Direct Matin): un autre élément qui signale la valorisation médiatique, et contribue à la fonction scalaire 😉
@Valentina: Bonne remarque: la création de logos ou de bandeaux spécifiques, invention de CNN, fait désormais partie de l’arsenal de la survalorisation de l’info.
PS. On n’a pas encore le droit de parler de fonction scalaire, il faut d’abord que j’écrive le billet (cette fois-ci, on n’a même pas la photo… 😉
Imaginons un instant ce qui se passerait si, à l’autel un des deux dit non ? le titre du billet serait encore plus juste 😉
Hier au grand journal de Canal+, une journaliste invitée pour parler du sujet parlait de la robe de la future princesse, robe que personne ne connaît à cette heure et dont on pourrait penser qu’il n’y avait rien à dire, mais si, la chroniqueuse a trouvé le moyen de proposer des hypothèses, de dire que la robe allait révéler au public la personnalité de celle qui la portera : si c’est une robe sage et traditionnelle, alors ça signifiera que… si c’est une robe de couturier un peu plus punk alors ça voudra dire que,…
Assez drôle exercice de journalisme qui ne couvre pas un évènement passé mais futur, et doit parler de faits hypothétiques.
J’avais noté pour ma part la nature autoréalisatrice de cette pré-médiatisation, qui sait déjà que l’événement va passionner quasi universellement l’humanité, alors que j’ai pour ma part un grand doute sur l’intérêt de la chose…
«… consacrés à cet épisode mondain de la culture britannique.» Épisode mondain, certes, mais néanmoins hautement politique. Il s’agit bien de rappeler au bon people qu’une autorité tutélaire veille sur la nation. Autorité arrogante aussi, qui ne juge pas utile d’inviter les ministres travaillistes en charge (ou l’ayant été) des affaires du royaume. Mais bon, je m’arrête, ce n’est pas le sujet 🙂
Le marchand de journaux sourit au SDF qui tout surpris, même si sa gamelle n’est toujours pas remplie et ses escarres loin d’être guéris, se demande pourquoi l’heure est au primevère… Pourquoi ? Parce qu’il faut bien oublier la misère. Y a un mariage en Angleterre. La centrale de Fukushima va cesser de fuir comme les couches de la reine mère, le gaz de schiste va rester prisonnier des ancestrales pierres, les pesticides ne provoqueront même plus le cancer… Pourquoi ? Parce qu’on oublie qu’elle est foutue la terre : Y a un mariage en Angleterre!
@Béat: A en juger par l’iconographie préférée qui a accompagné l’annonce, soit la figure de la tasse décorée, il semble que ce type d’événementialité soit plutôt perçu comme folklorique et touristique, ce qui traduit assez justement le rôle de la monarchie anglaise aujourd’hui, sorte de monument qu’on visite les jours de pluie.
Ce qui est en revanche plus significatif, ce sont les efforts démesurés de la presse pour créer une prosécogénie de l’événement, en multipliant les tentatives d’y associer diverses significations historiques ou symboliques. Malgré le caractère autoréalisateur de la mobilisation de l’appareil médiatique, il faut absolument inventer une signification à l’exercice, qui constitue sa condition de légitimité.
Un journaliste défendant ce folklore britanique disait hier, sur une radio, que contrairement à l’élection présidentielle qui coûtait cher et ne rapportait rien, les mariages et sacres de la vieiile monarchie anglaise rapportaient beaucoup au pays et ne coûtaient pas cher…
L’angleterre n’est pas une vraie monarchie, c’est le Disneyland de la monarchie…
C’est du pur cinoche et le système médiatique nous montre à cette occasion qu’il n’est jamais aussi mobilisé et efficace que lorsqu’il est dans son élément naturel ; la production et la promotion de films déjà montés cent fois, devant lesquels les spectateurs communient… et c’est ça le plus important… il y a ceux qui l’ont vu et ceux qui ne l’ont pas vu…
en juin on recommence… et on recommencera aussi ici : le plan de la progéniture sarkarla est dans les tuyaux (va vagir, paraît-il, vers la toussaint : y’aura autre chose à montrer que des chrysanthèmes et/ou le dernier des poilus…)
@André: Il me semble que le folklore (comme le kitsch) est surtout ressenti par les observateurs quelque peu extérieurs à cet emballement, les observateurs comme toi ou moi (et d’autres…), bref tous ceux qui voudraient afficher leur détachement et tenter d’analyser le phénomène. Mais je n’ai pas l’impression que les milliers de badauds qui se pressent pour voir le spectacle ou pour acheter des souvenirs ne se reconnaissent sous la bannière du folklorique. Et pour que le rêve du prince charmant et de la roturière puisse prendre corps, il faut bien que des rapports de sujétion existent. Même si les prérogatives de la monarchie n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient dans le passé, on ne me fera pas croire que toute cette pompe ne sert pas aussi des desseins politiques.
@Béat: Je pense que le « phénomène », pour autant qu’il soit établi, relève de sentiments beaucoup plus mélangés, où entre notamment une part de second degré, dans des proportions variables, mais certainement pas réservée à une élite d’observateurs avisés. Benjamin ou Hoggart ont évoqué, sous les expressions d’attention distraite ou oblique, cette idée que le grand public pouvait avoir un rapport distancé aux produits qui lui sont destinés. Le kitsch est un bon exemple de cette perception « sourire en coin », plus répandue que tu ne sembles le croire, et dont les réactions et commentaires en ligne donnent de nombreux témoignages.
Pour analyser ce type d’événement médiatique, je pense que le cadre conceptuel le plus pertinent reste celui dessiné par Dayan et Katz dans « La Télévision cérémonielle ». Il faudrait certes le réactualiser à l’aune d’internet, mais le constat reste le même: les mariages princiers, grandes compétitions sportives et autres funérailles nationales sont avant tout des cérémonies, tout simplement. C’est-à-dire un rituel à partager, où la suspension du jugement met en lumière la fonction d’aide à la « communion », au sens anthropologique, des médias.
C’est à de tels moments qu’on perçoit le plus clairement combien, loin de simplement informer et stimuler le débat dans la sphère publique, les journalistes jouent (aussi) un rôle quasi-religieux, lorsqu’ils s’adonnent à ce type d’auto-célébration unanimiste d’une société, de ses valeurs… et de ses mythes.
@ Benjamin: Tout à fait d’accord sur le fond. Il est toutefois intéressant de noter qu’aucun acteur du système médiatique n’accepterait de décrire son rôle de cette façon. D’où l’importance des arguments de légitimation et la propension à présenter tout et n’importe quoi sous l’angle de « phénomènes » plus ou moins sociétaux. Cette description est le sauf-conduit de la mobilisation de l’appareil médiatique, qui n’admet pas de se consacrer à des objets sans importance.
Il me semble juste de convoquer la télévision cérémonielle de Dayan pour s’interroger sur le mariage. Toutefois, j’émets quelques réserves quant à l’adéquation totale de ce que Dayan qualifie de télévision cérémonielle à l’égard du cas présent.
Il évoque une certaine, « révérénce », un certain respect, or entre le Prince Harry qualifié de « Fétard » par les commentateurs de TF1 et les critique irrévérencieuses des commentateurs de M6 ; le respect propre au caractère symbolique qu’inspire ce genre de cérémonie semble avoir disparu.
Si il s’agit certes d’un événement médiatique, et d’une cérémonie, son traitement était plutôt de l’ordre de la télé réalité, du genre : « un jour dans la peau des mariés », effet renforcé par la préparation consacré à l’événement sur la chaîne M6.
En outre, M6 a fait une large part au commentaire en studio faisant de la cérémonie presque un simple objet de commentaire, comme c’est le cas dans les émissions de télé réalité dans lesquelles le présentateur lance des séquences ou tel ou tel fait et geste est critiqué.