45 minutes sur YouTube (notes)

D’Eric Morena à Thomas Ngijol en 45 minutes, circulation principalement via les suggestions internes (pertinence de la proposition auto-référentielle, clé de l’offre de contenus de YouTube, où la vie d’une source est aléatoire).

Au départ, vague recherche autour des chansons satiriques, diluée par la sérendipité en promenade à sketches. Unité des formats. Puissance du principe du marabout-bout de ficelle: la promenade est un programme. A rapprocher du zapping, mais structure plus souple, offre plus large et cadrage de la suggestion: à la différence du zapping, je ne m’ennuie pas. Un vrai divertissement. En revanche, grande proximité avec les émissions type bêtisier, vidéo gag, programmes de formats courts qui favorisent eux aussi une logique du rebond, attention flottante (on peut sortir n’importe quand). A noter que le caractère privé de la promenade autorise le détour par des consultations inavouables, offre difficile à reproduire pour une programmation officielle.

Une indication sur le destin de Sarkozy: plutôt que de rentrer dans l’histoire, le futur ex-président est voué à devenir une figure de la sérendipité à sketches façon vidéo gag (cf. DSK).

Saturation des effets

Entendu l’autre jour David Abiker énoncer tranquillement: ce que fait Lady Gaga, c’est de la merde. Même s’il est particulièrement difficile, et peut-être impossible, d’évaluer sereinement les qualités de la production de la Lady, un tel verdict me paraît plus marqué par le préjugé que par l’à-propos. On peut ne pas apprécier ce que fait Gaga, mais ce n’est certainement pas « de la merde« .

Face à un tel monument de construction de la réception, ce qui m’intéresse sont mes propres perceptions et leur évolution. Il s’avère que j’ai noté au moment de sa sortie ce que je pensais de la chanson Téléphone, entendue par l’intermédiaire du clip de Jonas Akerlund. Or, précisément, je n’ai rien entendu du tout. A en juger par ma réaction tout entière focalisée sur l’avalanche des effets visuels, j’en arrivais à nier purement et simplement la composante musicale de cette proposition.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=GQ95z6ywcBY[/youtube]

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Le bruit de la vague

Lecture d’un billet érudit consacré au dernier album de Lady Gaga, par le critique musical Jody Rosen. J’admire le fait de pouvoir développer un véritable discours de critique d’art à propos de l’œuvre de Gaga, mais en même temps je me dis que dans l’univers de la pop, le rouleau compresseur de la starification produit tellement de bruit qu’une telle élaboration n’a plus grande importance.

Deux ans après le baptême médiatique de la Lady, est-il encore possible de faire entendre un signal élaboré? Ou cet article ne fait-il qu’ajouter un item de plus aux milliers de manifestations de la présence de la chanteuse, attestant par cette abondance même qu’elle est désormais une star, c’est à dire un personnage au-delà du bien et du mal, le point focal d’un bruit médiatique toujours renouvelé? Si tel était le cas, l’art ne serait qu’une composante secondaire, une unité parmi les multiples signaux de la construction médiatique, identique aux petites perceptions de Leibniz: le bruit de la vague dans le fracas de la mer…

L'énigme Hondelatte


A côté de Christophe Hondelatte, Justin Bieber, c’est du pipi de chat. Avec son dernier clip, qui approche les 100.000 vues sur YouTube, le présentateur allumé de la télé publique est en train de battre le record toutes catégories du dislike: une proportion de 91% de « j’aime pas », qui mérite inscription au Guinness.

Reste à deviner ce que les 71 pouces levés ont apprécié dans cette vidéo: la richesse de la rime entre « Dr House » et « Mickey Mouse », l’orchestration façon cover des Blues Brothers un soir de pluie à Lunéville, ou les grimaces pour faire chanteur (l’imaginaire lyrique de Hondelatte s’est visiblement arrêté à Plastic Bertrand)? Dans tout succès du web, il y a une énigme.

Sois fan et tais-toi

Excellente dans Inglourious Basterds de Tarantino, nouvelle égérie de Dior, future maîtresse de cérémonie du festival de Cannes, Mélanie Laurent a décidé de se lancer aussi dans la chanson. Mais son album à paraître le 2 mai ne lui vaut pas que des louanges. Dans une interview au journal leberry.fr, la jeune femme se lâche: «Internet, c’est une ouverture sur la haine». Il n’en fallait pas plus pour assurer le buzz, et des commentaires pas sympa du tout des internautes, qui défendent à juste raison leur droit au dislike.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=_6oE-d-n5z8[/youtube]

Le monde est-il plus méchant depuis internet? Contrairement à ce que laisse entendre l’actrice, la critique n’a pas attendu le web pour jouer du pouce baissé. Je n’aurais pas aimé être à la place de Pontecorvo lorsque Rivette lui balance son « abjection », assassinat définitif du réalisateur.

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Bonbon visuel

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=niqrrmev4mA[/youtube]

Lady Gaga a inspiré à Patrick Peccatte le beau concept d’image dropping. Découvrant son petit dernier, Alejandro, je retrouve cette impression curieuse que tous les effets citationnels dans ce clip très soigné fonctionnent moins comme des provocations à une inflation interprétative que comme de purs supports d’un plaisir qui se déguste comme on mange une glace.

Quoique l’univers convoqué soit cette fois plus éloigné de celui de la mode, la manière de mobiliser les images m’évoque toujours cette consommation du visuel pour le visuel qui hante le fatras citationnel de la mode – soit l’inverse de la tyrannie de l’érudition référentielle. La mode n’a fondamentalement pas de culture, elle se construit contre elle, dans une projection sans mémoire qui célèbre l’instant.

Pas de meilleure façon de nous remettre sous le nez cette vieille leçon que nous n’avons de cesse de vouloir oublier: l’image se consomme comme un bonbon, comme un fruit, comme un exta. Un flash, petit morceau de plaisir instantané – et ce que suggère Gaga, qui a l’air de bien connaître la matière: pas n’importe quel plaisir. L’un des plus puissants – qui prend aux tripes et se suffit à lui-même.

Lady Gaga killed the music star

Du temps du Scopitone, les petits films de variétés n’étaient qu’un produit dérivé de la chanson. Avec MTV, qui installe le format du clip musical, la relation entre ces deux volets de l’industrie du disque devient plus étroite et plus complexe. Mais la diffusion gratuite de Thriller par les chaines de télévision reste un support de promotion étroitement lié à l’album éponyme du King of pop. Musique et spectacle sont dans le même bateau.

En affichant l’ambition d’une superproduction, avec Jonas Akerlund dans le fauteuil de John Landis, « Telephone », la nouvelle vidéo de Lady Gaga, diffusée sur YouTube (12 millions de vues depuis vendredi), propose une nouvelle étape. Ici, il est clair que la chanson n’est plus qu’un support destiné à agrémenter la présentation d’une galerie d’images choc, comme l’illustration musicale d’un défilé de mode.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=GQ95z6ywcBY[/youtube]

Poussant au bout la logique testée par Madonna, le Lady Gaga look and feel met le format du vidéo clip tout entier au service de l’imagerie. Une imagerie constamment au second degré, dont le modèle de référence est moins l’esthétique cinématographique que la permanente recherche d’effets de style des magazines de mode. Un art qui n’est plus celui du montage ni de la citation, mais celui du défilé des images et de la stupéfaction. Un art que Lady Gaga, phénomène pop, incarne à la perfection.

A quoi ressemble Lady Gaga?

Je ne connais pas très bien Lady Gaga. Entrevue ça et là. Mais l’impression demeure de ce jeu de cache-cache, un peu différent des autres. Madonna aussi se déguisait de mille manières, mais il n’y avait jamais le moindre doute: blonde ou brune, sans hésitation, c’était bien elle. Lady Gaga, c’est autre chose. Au-delà des costumes ou des masques, c’est parfois d’une image sur l’autre qu’on ne le reconnaît plus. Cette infidélité à son image, qui ressemble bien à une nouvelle stratégie médiatique, est déroutante. Nous avons tellement l’habitude d’une identité visuelle assignée: celle du visage – et probablement, par-dessus tout, d’une expression stabilisée et contrôlée –, comme une signature, qui a pour fonction de permettre de reconnaître le produit dans toutes les situations. La collection des portraits de Françoise Giroud à l’IMEC fait peur par la stabilité robotique de l’expression. Sans oublier l’impressionnante vidéo du sourire invariable d’Obama – mais ce cas extrême ne fait que souligner la demande que génère l’existence publique, qui réclame comme un dû cette constance d’un choix d’image. Lady G, c’est plutôt au fait qu’on ne la reconnaît pas qu’on la reconnaît. A quoi ressemble-t-elle au juste? Je ne suis pas sûr de le savoir.