[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=niqrrmev4mA[/youtube]
Lady Gaga a inspiré à Patrick Peccatte le beau concept d’image dropping. Découvrant son petit dernier, Alejandro, je retrouve cette impression curieuse que tous les effets citationnels dans ce clip très soigné fonctionnent moins comme des provocations à une inflation interprétative que comme de purs supports d’un plaisir qui se déguste comme on mange une glace.
Quoique l’univers convoqué soit cette fois plus éloigné de celui de la mode, la manière de mobiliser les images m’évoque toujours cette consommation du visuel pour le visuel qui hante le fatras citationnel de la mode – soit l’inverse de la tyrannie de l’érudition référentielle. La mode n’a fondamentalement pas de culture, elle se construit contre elle, dans une projection sans mémoire qui célèbre l’instant.
Pas de meilleure façon de nous remettre sous le nez cette vieille leçon que nous n’avons de cesse de vouloir oublier: l’image se consomme comme un bonbon, comme un fruit, comme un exta. Un flash, petit morceau de plaisir instantané – et ce que suggère Gaga, qui a l’air de bien connaître la matière: pas n’importe quel plaisir. L’un des plus puissants – qui prend aux tripes et se suffit à lui-même.
pourquoi est ce que j’ai l’impression de d’avoir vu un film d’exploitation à la gloire de l’espagne franquiste sur fond de bluette ?
on pourrait presque retitrer « le dilemme amoureux d’angélique et les militaires franquistes »
Dommage que cette débauche visuelle (qui devient rapidement répétitive) soit au service d’une musique aussi rebattue.
Même si je ne goute guère à ceux proposés par cette madame Gaga, j’aime beaucoup la notion de «bonbons visuels». Cela exprime bien nos réactions quand nous sommes en présence d’une publication quelconque – qu’elle soit sur papier ou sur écran – et que nous nous précipitons sur les images pour les consommer rapidement, même mal, même en risquant l’indigestion. (Essayez d’arriver sur une page en vous forçant à ne pas regarder les images avant de reprendre votre lecture: cela devient vite un supplice qui déconcentre et vous oblige à tout reprendre!) Une page illustrée est une boite à bonbons, nous nous y précipitons! Et peu importe qu’ils soient réellement bons, il faut les gouter d’abord pour le savoir.
Les images ont cet attrait qui fait qu’elles s’imposent à nos sens d’une façon presque aussi pénétrante que les sons: on ne peut s’y soustraire. On a beau se boucher les yeux (comme les oreilles), il est déjà trop tard. L’effet sur notre imagination est irrémédiable.
Maintenant bon, il y a des bonbons délicieux, des plus ou moins gouteux et même des pas bons du tout. Mais c’est une autre histoire…
On parlait de « Hard FM » pour qualifier Van Halen et Scorpions… Là on est un peu dans la « Danse contemporaine FM » 🙂
Il y a des faux-air de Billy Idol 1984 et de Madonna 1992
@Sylvain : la musique est rarement bonne dans le cas de Lady Gaga, ceci dit ses clips ne fonctionnent généralement plus du tout quand on coupe le son.
« … qui prend aux tripes et se suffit à lui-même ». Et oui, bien sûr! Et si bien dit, en quelques mots, pour ouvrir heureusement la journée!! (Même si, peut-être, tous les bonbons ne fondent pas dans l’oeil de la même manière et si tous les flashs ne sont pas de même intensité. Ici, le fatras citationnel, assurément, recyclage postmoderne (comme on dit), égocentrage hypertrophié (que l’humour et la distance sauvent un peu), conventions et poncifs de la décadence: peut-être un rien trop d’exhausteurs de goût dans ce bonbon-là. Je craindrais presque l’aphte oculaire. Mais de toute manière (comme on dit): de gustibus non est disputandum!).
La métaphore « bonbon visuel » rend bien compte de la manière dont on consomme les clips de LG. Comme des petites friandises, légères, hâtivement consommées. Mais toutes ces oeuvrettes visuelles sont néanmoins bâties comme des gâteaux surchargés, débordants de crème et de décorations. En évitant ou en dépassant le kitsch (enfin, je trouve). C’est quand même un petit exploit de transformer une pâtisserie lourde et indigeste en un morceau de « plaisir instantané » par la seule force d’une musique banale qui lie le tout. LG arrive à fabriquer une unité, un bonbon visuel bien rond avec un fatras invraisemblable d’ingrédients.
Au delà des références relevées dans de nombreux articles (comme pour les autres clips, l’herméneutique Gaga s’est déchaînée sur celui-ci), on note l’absence de citations explicites de marques et d’auto-références aux productions antérieures.
PS: merci pour la mention
oeuvrettes visuelles -> j’ai lu « courgettes visuelles ». Pendant une seconde j’ai tenté de comprendre cette métaphore complexe avant de revenir sur mes pas et de lire qu’il s’agissait bien d’oeuvrettes et non de courgettes.
À part ça, en y réfléchissant un peu, je me dis que Lady Gaga tient moins de Madonna à qui on la compare souvent, que de notre brave Mylène Farmer, dont elle n’a cependant sans doute jamais entendu parler.
Je suis content que mon expression rencontre quelque approbation. Tout comme l »‘image dropping » de Patrick, elle tente de nommer l’espèce d’inversion à laquelle nous fait assister Lady G, où musique et paroles deviennent des outils au service de l’image, plutôt que l’inverse (remember Thriller…). Les « oeuvrettes » de la musique pop sont des ensembles complexes, où le dosage des ingrédients a une importance cruciale. Tout en s’appuyant comme ses prédécesseurs, Madonna, Jackson ou Prince, sur un ensemble de recettes similaires, Lady G déplace certains curseurs, et modifie l’équilibre du dosage. On peut observer les ressemblances, ou tenter de repérer les endroits où ça bouge.
Une chose est sûre: plutôt que de suivre les chemins balisés, la dame a entrepris de toiletter les fondamentaux de la pop culture – une entreprise où elle a de nombreux devanciers, mais qui n’en reste pas moins éminemment sympathique.
l’image du bonbon est vraiment bien trouvée ! tout le monde n’aime pas les mêmes parfums, moi je laisse toujours les dragibus verts, de la même manière je ne me délecte pas du tout de cette imagerie 😉
Je ne sais pas s’il faut partir du principe qu’il faut aimer la culture pop pour la décrire. A l’égard d’Alexandre Dumas comme de Star Wars, de Walt Disney ou de Michael Jackson, mes sentiments personnels sont à tout le moins partagés. Cela empêche-t-il de percevoir des symptômes, et d’essayer de les noter? Il ne me semble pas que Walter Benjamin fut admirateur inconditionnel de Mickey, et pourtant il avait bien repéré le pouvoir transgressif de cette oeuvre (Adorno, en revanche, n’avait rien repéré du tout 😉
Évidement non André ! ce que je voulais dire, c’est que je trouve intéressant que l’efficacité de cette imagerie (comme d’autres évidement) soit relative, qu’elle provoque délectation aussi bien que rebus. Et aussi pour cette raison, il faut évidement s’y intéresser !
L’expression « bonbon visuel » a aussi l’avantage de solliciter la bouche, le goût, la langue… bref l’oralité qui hante parfois le regard…
Les mitraillettes sur les soutien-gorges de LG sont particulièrement intéressantes !
Et la fin, où la bouche et les yeux s’ouvrent et se consument (ou nous avalent) alors que l’on se rapproche d’elle !
Et si c’était nous les bonbons de Lady Gaga ?
Ce qui est frappant est le peu d’autonomie de l’univers de Lady G. par rapport à celui de Madonna (JP Gaultier, Marlène, iconographie gay, coupe de cheveux platine et rouge à lèvre précis pour chanter « Alejandro » aux consonnances latino quand Madonna dans les mêmes attributs chantait « la isla bonita »etc.) et à celui de Mylène Farmer (l’univers mystico-sacré et nonne-putain, surtout).
Au-delà de la référence et de la citation, le remix (la culture web) a sa part aussi, non? et ajoute l’ingrédient de la parodie (du pseudo Madonna à celui de Lady Gaga…?).
(« Courgettes visuelles » du coup, c’est pas mal non plus…)
Si ces fringues et son regard glacé font d’elle un personnage qui m’intrigue le reste me semble inninteressant.
Cependant dans votre recherche de la vidéo « pure plaisir » et pour rejoindre une de vos chroniques d’il y a pas mal de temps sur l’art du montage de bande annonce de films d’actions qui n’existent pas à partir de films qui existent. Voici une petite vidéo qui rejoint le pure plaisir de l’image et la puissance du montage d’un film qui n’existe pas:
http://vimeo.com/12133254
Une analyse intéressante, ici:
Madonna, Lady Gaga, and Breaking the Male Gaze: A Close Reading of “Alejandro”, by Lesley
http://www.fatshionista.com/cms/index.php?option=com_mojo&Itemid=69&p=412
En particulier quelque chose que je n’avais pas remarqué:
« Hell, it’s rare that Gaga is even filmed from above, another common factor of the male gaze: when we see someone onscreen, people filmed (or photographed) from below, so that we are looking up at them, tend to look powerful, intimidating, larger than life. Being filmed from above, so the audience is looking down, tends to denote the opposite. This is a part of our unspoken visual language. Women, especially women meant to look sexy and vulnerable, are often filmed from above, but Gaga rarely is.(One notable exception is the miserable crying-girl persona of the “Bad Romance” video, [etc.]) »
Intéressant et à vérifier.