Influence de la fréquentation sur le consensus critique

Discussion l’autre jour à La Grande Table (France-Culture) avec Alain Kruger et Pascal Ory, consacrée au succès d’Intouchables. La comparaison avec le Tintin de Spielberg, diffusé simultanément, s’impose d’elle même dans la conversation. Sans qu’aucun des participants ne s’appesantisse sur le sujet, il me semble que le consensus critique sur Le Secret de la Licorne, qui ne me paraissait pas encore établi il y a 3 semaines, est maintenant fixé – de façon négative.

Les mêmes intervenants ayant participé à une émission de commentaire du Spielberg peu après son lancement, on pourra utilement comparer les avis exprimés. Quoique cet échantillon n’ait aucune valeur représentative, il paraît logique de déduire de l’évolution du jugement critique l’influence primordiale de la fréquentation du film – qui s’est définitivement effondrée en 5e semaine, tombant à 138.000 spectateurs, chute spectaculaire pour un film ayant débuté à 3.158.318 entrées (927.520 en 2e semaine, 650.052 en 3e semaine, 271.343 en 4e semaine). L’hypothèse conclusive peut donc être formulée comme suit: pour un film populaire, le consensus critique s’établit principalement à partir de l’observation a posteriori de sa réception publique. L’évolution de la discussion critique à propos d’Intouchables, dont la courbe de fréquentation est inverse, corrobore d’une autre façon le même constat (lire à ce sujet la réflexion développée d’Olivier Beuvelet).

4 réflexions au sujet de « Influence de la fréquentation sur le consensus critique »

  1. D’accord, mais
    deux remarques : comme vous le soulignez, il ne s’agit pas d’un réel échantillon ; ils ont déjà un point commun, qui est d’être officiants à la Grande Table. Je me pose juste la question : existe-t-il un ‘endroit médiatique’ où le panel de critiques soit plus varié ?
    C’est une question à laquelle il y plusieurs réponses, ceci dit : un critique de cinéma sur un média est-il forcément quelqu’un qui se place sur un plan ‘culturel’ (distanciation avec l’objet commenté, comparaison…) ? Ou suffit-il de ré-écrire le dossier de presse pour être appelé critique ? (Je ne lis pas trop les critiques dans les magazines télé, par exemple, mais faudrait-il les inclure dans cet échantillonnage ? Où placer la limite ? Télérama, oui, Télé Poche, non ?)

    Ensuite, on peut aussi se reposer la même question par rapport à un grand succès populaire ; Bienvenue Chez Les Chtis a-t-il eu des critiques positives à la Grande Table ? (Tout arrive, non, à l’époque ?)
    Même quand le succès populaire s’est confirmé, il ne me semble pas.

    Cette question du consensus me questionne, en fait.

    Ceci dit, il est vrai qu’il est aussi légitime de se poser la question de la fréquentation sur les critiques, que de l’influence de la critique sur les fréquentations : en ça, bravo.

  2. @b, en passant: Tous ces éléments sont vraiment des questions, en cours d’élaboration. Pour l’instant, disons que ce sont des impressions notées au fur et à mesure, sous réserve d’un examen plus approfondi. Le blog me sert à conserver ces notations, dont la discussion est bien sûr parfaitement légitime.

    Il faut constater qu’en matière cinématographique, il n’y a pas vraiment de limite au cercle critique. Aujourd’hui, sur Allociné (dont le slogan est: « Ne restez pas simple spectateur »…), on peut lire une collection autoproduite d’impressions critiques des spectateurs, dont l’expression peut être tout aussi élaborée que les articles publiés. Allociné propose un découpage du paysage critique en deux volets, matérialisée par deux séries d’étoiles: la moyenne des critiques publiées, la moyenne des réactions de spectateurs – mais les deux expressions sont proposées sur le même plan, suggérant que le candidat spectateur peut se faire une opinion aussi bien à partir de l’une que de l’autre…

    La notion de consensus critique est à élaborer. Ce qui me frappe, alors que rien n’interdirait en principe de consentir à la divergence d’opinions, comme en matière politique, c’est l’idée sous-jacente à la plupart des expressions critiques d’une objectivité du jugement de goût, et de la recherche d’une vision consensuelle à propos d’un film. Cette idée est très étrange, mais il se trouve qu’elle structure les industries culturelles.

  3. Pardon, mais : « Quoique cet échantillon n’ait aucune valeur représentative », c’est quoi, un échantillon qui en aurait une, de valeur représentative ? Représentative de quoi ? De la critique ? Et cette « représentation » si elle existe, n’a-t-elle pas le mauvais goût (hum) de ne représenter qu’elle même, c’est-à-dire rien d’autre qu’un amalgame de personnalités récurrentes cette année, chassée la suivante, inconnue la précédente ? Représentative ? Etait-ce qui d’autre qui nous apprenait, il y a fort longtemps, que « dans l’ordre du mensonge, il y a l’omission, la religion, et la statistique »… La critique est toujours, comme le marketing, en retard d’une rame : ça ne fait rien, faisons semblant de croire qu’elle a une influence (et elle en a, mais seulement sur nous autres qui la lisons) et vendons (achetons) du papier (ou du virtuel)…

  4. @PCH: Ne t’énerve pas… 😉 Quoique La Grande Table représente un lieu culturel des plus honorables, ses participants, qui ne sont pas des critiques professionnels, ne sont justement pas censés y produire « de la critique » (puisque France Culture a une autre émission pour ça). Pour aborder la production récente, il y a toujours un angle culturaliste, un regard de biais. Du coup, on peut effectivement y développer une réflexion sur la critique elle-même (ce qui était le cas des dernières émissions auxquelles j’ai participé).

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