A l’occasion de la sortie du film Sur la piste du Marsupilami d’Alain Chabat, qui suscite des avis divergents, je remarque cette introduction par Guillaume Defare sur le Plus. Qu’un film soit rêvé avant d’être vu est un ressort crucial de sa prosécogénie, mais il est rare qu’on raconte sa représentation intime, effacée par la confrontation avec l’œuvre. La formule de clôture résume magnifiquement le but du travail imaginaire de la promotion cinématographique. Accessoirement, ce témoignage montre l’inadéquation du terme de « réception », puisqu’il s’agit bien ici d’anticipation, et plus encore, de participation au travail du film (tout ce à côté de quoi Jacques Aumont est systématiquement passé).
«Ça fait longtemps que j’attendais ce « Marsupilami » par Alain Chabat. J’en ai pensé un peu tout et son contraire avant sa sortie: d’abord, j’ai eu peur du syndrome « Astérix au jeux Olympiques », puis je me suis rassuré en me disant que Chabat avait tout de même réalisé la meilleur adaptation de BD franco-belge avec « Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre » (le « Tintin » de Spielberg ne compte pas, n’étant pas vraiment un film live).
Puis, j’ai frémi d’angoisse en repensant à « Rrrrrrr » qui était quand même sacrément nul, et je me suis rassuré en me disant que ce n’était qu’un accident de parcours. Ensuite, je me suis demandé pourquoi ne pas plutôt adapter « Spirou et Fantasio », la BD d’origine du Marsupilami. Enfin, j’ai eu peur pour le visuel du Marsupilami en lui-même, avant d’être rassuré par les petits génies de BUF, la société qui a pris en charge les effets spéciaux du film. Bref, je ne savais pas trop ce que j’allais voir, mais j’avais sacrément envie de le voir.»
Guillaume Defare, « Sur la piste du Marsupilami: à laisser aux tout petits! » 07/04/2012.
« Accessoirement, ce témoignage montre l’inadéquation du terme de “réception”, puisqu’il s’agit bien ici d’anticipation. »
D’accord avec l’idée de remettre en cause la notion de réception, parce que le schéma de la communication ne convient pas pour décrire le phénomène de la communion par le film (et l’oeuvre en général), ni pour mettre au jour l’importance de la prosécogénie de l’oeuvre…
Mais sur ce point précis, en quoi l’anticipation se distingue-t-elle de la notion d’horizon d’attente ?
Je vois dans ce témoignage très intéressant, une description presque clinique d’un horizon d’attente déçu et ce témoignage ne sort pas du champ de la théorie de la réception.
Il y a les lettres/films qu’on reçoit par surprise et d’autres qu’on attend longtemps en scrutant l’horizon…
J’étais en train de corriger mon billet quand tu as rédigé ton commentaire! L’aspect le plus significatif de ce témoignage est ce qu’il dévoile de la participation du (futur) spectateur au travail du cinéma – qui commence bien par la proposition d’une nouvelle oeuvre, et en ce sens l’horizon d’attente reste une notion correcte. Mais on voit bien à quel point les termes de « réception », « réponse », « attente », etc. mettent en scène un paysage de la passivité, et peinent à approcher la dimension réellement active de la participation du spectateur.
Evidemment, toute notre mythologie de l’art/création/production favorise la dichotomie séparant strictement les rôles du créateur/producteur/artiste d’un côté, du spectateur/récepteur de l’autre (quand on s’en préoccupe). Plus j’y réfléchis, plus je pense que ce schéma est inadéquat, et met systématiquement de côté les phénomènes d’influence, de conformité culturelle ou d’anticipation de la réponse du côté de la production, et ignore la dimension de co-création qui se joue avec la réception et la conversation. Il faut un nouveau schéma, plus organique. J’y travaille…
Tout à fait d’accord, les termes sont inadaptés aux réalités du rapport entre les « regardants » et les « montrants », le schéma de la communication sépare artificiellement ce qui est bien plus mêlé dans la réalité, l’émetteur est un récepteur et vice versa… c’est d’ailleurs en tant que récepteur qu’il aborde son travail… L’horizon d’attente d’Alain Chabat est important… les cinéastes font souvent le film qu’ils ont envie de voir, ce qui n’est pas le cas de celui qui envoie un SMS… et c’est sur sa capacité à saisir un horizon d’attente partagé, flottant dans l’air du temps (pour reprendre les termes du marketing) que la prosécogénie du film se construira en partie… le début du billet que tu cites le montre bien, il existe un horizon d’attente (qui se traduit en demande) d’adapatation cinématographique de BD (après Astérix, Persepolis, le chat du Rabbin, Tintin…) G. Defare semble se situer dans ce cas… et c’est en cela qu’il « participe » à la fabrication du film…
Bonjour André et Olivier !
À propos de : « ce témoignage montre l’inadéquation du terme de « réception »… j’ai très envie de dire « Duchamp l’avait dit » !
J’aime bien la description des états mentaux de celui à qui on annonce que le film va exister, je m’y retrouve un peu.
Amusant que l’auteur ne devine pas que si c’est Le Marsupilami tout seul qui est adapté et non Spirou et Fantasio, c’est parce que le Marsupilami n’a pas les mêmes ayant-droits que Spirou et Fantasio – c’est un des personnages que Franquin a pu garder en ayant quitté Dupuis.