Morceaux choisis

J’apprends l’autre jour par un signalement d’Alexis Hyaumet la préparation d’une nouvelle adaptation de Blanche-Neige, version blockbuster (Snow White and the Huntsman, dir.: Rupert Sanders, 2012). La discussion sur Facebook moque, à partir du trailer, les stéréotypes issus de la tradition récente du cinéma à effets: méga-bataille à la Robin des bois de Ridley Scott, monstre et effets spéciaux façon Harry Potter, guerrier costaud «qui agite des haches en faisant des moulinets avec ses bras et en criant: « raaaaaaaaaaaaah! »», et autres citations plus ou moins appuyées.

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Est-ce parce que l’histoire de Blanche-neige fait partie du patrimoine commun que cette série d’emprunts ou d’allusions, pas vraiment raccord avec le scénario des frères Grimm, apparaît comme autant de pièces rapportées? Est-ce parce que n’importe quel film à gros budget d’Hollywood comporte maintenant le passage obligé par un certain nombre de gimmicks comme une liste de courses? Toujours est-il que le projet n’a pas l’air de convaincre le petit groupe de cinéphiles, pourtant amateurs de films d’action.

On sait le désarroi qui frappe Hollywood et contraint à la surenchère de scènes à effets, qui dénature aujourd’hui n’importe quel projet cinématographique grand public. Mais ce qui me frappe, c’est la vitesse de constitution de ce répertoire de syntagmes, tous issus de productions récentes, et d’autant plus identifiables. Ne faudrait-il pas essayer de fixer les points de repère et la chronologie de ce vocabulaire? Par exemple la scène de baston, qui ne devient un must qu’après Matrix (1999), qui en réécrit profondément les codes, sous la forme d’impossibles chorégraphies, à partir du modèle des jeux vidéos.

Accessoirement (et question à Alexis), n’est-ce pas précisément cette narrativité de répertoire, caractérisée par le collage de morceaux choisis, qui constitue l’emprunt le plus significatif à la forme du jeu vidéo au cinéma?

Tintin s'effondre en 2e semaine

Ouch! La claque! Après une 1e semaine où Le Secret de la Licorne avait cassé la baraque avec 3,158 millions d’entrées, chiffre record (sur 850 écrans), Tintin s’effondre en 2e semaine en passant sous la barre du million de spectateurs, ce qui le place deuxième derrière Intouchables.

Si on compare avec Avatar, qui avait débuté à 2,648 millions d’entrées en 1e semaine sur 726 écrans, mais grimpait à 2,925 en 2e semaine, l’échec est patent. Certes, la concurrence d’Intouchables a contribué à creuser l’écart, mais une division par trois de la fréquentation est à ce niveau une contre-performance sans précédent. Continuer la lecture de Tintin s'effondre en 2e semaine

Spielberg a bien créé un nouveau Tintin

Au hasard d’un tour en ville, je tombe sur la nouvelle gamme de figurines  accompagnant la sortie du Secret de la Licorne. Surprise! Les jouets ne copient pas les personnages de la BD, mais reproduisent ceux du film de Spielberg, qui créé donc une nouvelle référence – une première dans l’univers hergéen!

A noter, sur le plan théorique, que c’est bien l’image (la reproduction sous forme de figurine) qui fournit la preuve de la création d’un nouveau modèle: ce n’est que parce que celui-ci est à son tour copié qu’il peut être perçu comme une nouvelle référence, et non comme une version dérivée de la bande dessinée originale.

Un people, c'est quelqu'un

Qu’est-ce qui sépare la notoriété de l’état de « people » – personnage médiatique de plein exercice? Le traitement appliqué par la machine médiatique à François Hollande depuis son investiture comme candidat officiel du parti socialiste permet de préciser ce statut.

Depuis jeudi dernier, les gazettes ont fait apparaître à ses côtés sa compagne, la journaliste Valérie Trierweiler – en images pour Le Point, Match ou Le Monde Magazine, dans les titres pour L’Obs, tandis que L’Express affiche « Hollande intime »…

L’heure n’est plus à l’examen du programme. C’est bien son nouveau statut de présidentiable à part entière (et compte tenu du discrédit élyséen, de quasi-président avant l’heure), qui vaut à Hollande ce traitement de star, cette exposition qui le dote d’une personnalité, d’un statut plus dense que la simple publication de son portrait lorsqu’il n’était que candidat à la candidature.

Un people, c’est quelqu’un: pas seulement une fonction, une silhouette, mais un être au complet, dont on souligne l’épaisseur existentielle de mille manières, à commencer par sa vie familiale. Il est significatif de noter que les magazines d’actualité se rapprochent à ce moment précis du traitement des magazines people, dont cette métamorphose est la spécialité. C’est avec des photos d’album de famille qu’Hollande entame sous nos yeux sa présidentialisation – qui est d’abord une pipolisation.

Les Aliens sont fatigués

Depuis ce début septembre, je me suis fait embrigader par Caroline Broué pour son émission La Grande Table sur France-Culture (voir ma rubrique « radio« ). Ce qui fait que l’on me demande de temps à autres mon avis sur l’actualité culturelle. Ma dernière perplexité a été mise au menu de l’émission de vendredi prochain (12h55-13h30, avec Ollivier Pourriol et Mathieu Potte-Bonneville): les « aliens » du cinéma ont-ils encore quelque chose à nous dire?

La période récente a été particulièrement nourrie en films d’aliens et de soucoupes: de World Invasion. Battle Los Angeles (Jonathan Liebesman, mars) à Cowboys et Envahisseurs (Jon Favreau, août) en passant par Paul (Greg Mottola, mars), Transformers 3 (Michael Bay, juin) et surtout le très commenté Super 8 (J. J. Abrams, août). On attend également un remake de The Thing (Rob Bottin) en octobre et un The Darkest Hour (Chris Gorak) en décembre.

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Aliénante fiction (retour sur entretien)

Entretien productif hier avec Martin Quenehen, qui a juré depuis longtemps de me réveiller aux aurores en plein mois d’août pour discuter de blockbusters sur France Culture. Une invitation formulée au début de l’été, qui m’aura incité à accentuer ma consommation de films commerciaux US (je n’aurais sans doute pas été voir Transformers 3 sans cette opportunité).

Les Matins d’été, 16/08/2011 (19 min.).

C’est donc à Martin que je dois deux petites illuminations récentes: 1) la prise de conscience de la relativité de la fiction comme produit parmi d’autres de l’offre culturelle (un point important pour moi qui ait jusqu’à présent articulé mon investigation du phénomène culturel autour de la notion de récit), débouchant notamment sur l’opposition symétrique divertissement/culture et sur l’idée d’une (sur)valorisation de la signification en régime culturel; 2) la découverte (via l’expérience d’une exposition sur Rue89) que la virulence des commentaires des fans de blockbuster, et particulièrement leur disqualification de la signification, correspond à une véritable revendication culturelle, une opération de distinction paradoxale. Qui a dit que les circulations médiatiques n’étaient pas profitables?

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Tu quoque fili

Quel souk ce blog! Après avoir traîtreusement moqué un des meilleurs représentants de la culture française sous le prétexte d’introduire la notion de connivème, voilà-t-il pas que je profite de la sortie de la nouvelle bande-annonce de The Secret of the Unicorn pour répondre à mon ami Olivier Beuvelet et poursuivre la discussion sur ladite notion.

Tintin, again. Et un souvenir précis, vieux de quelques mois, que je m’étais promis de noter et que la question d’Olivier réveille. Il n’y a pas de code, me répond-il à propos de ma description du « bien entendu » de Jeanneney, tout ça c’est de l’arnaque, pure construction rhétorique de la distinction. Et en effet, ça y ressemble beaucoup.

Mais voilà, si le « bien entendu » arlésien a résonné à mon oreille, c’est qu’il faisait écho à un précédent. Un soir, mon fils, 13 ans, déjà au lit, referme sa BD et fait mine de chercher un autre volume. Saisissant l’occasion, je sors du rayonnage L’Oreille cassée (Hergé, 1937/1943) et le lui glisse à la page du frontispice (voir ci-dessous, reconstitution), avec cette recommandation énigmatique: «C’est le fétiche arumbaya».

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La vertu, au sens romain, bien entendu

Une voix chantante, une solide culture générale et la conviction de son importance: Jean-Noël Jeanneney a tout ce qu’il faut pour être ministre de la culture. Il ne lui aura manqué que de ne pas être l’ami de la femme du président. A défaut, la présidence des Rencontres d’Arles lui valait d’ouvrir la semaine dernière le colloque « Photographie, internet et réseaux sociaux« .

Puisque Jean-Noël Jeanneney – appelons-le Jean-Nouille, ça ira plus vite – ne connaît à peu près rien ni à la photographie ni à internet, sa dissertation de khâgne n’avait d’intérêt que sur un plan ethnographique et j’avoue n’avoir accordé qu’une attention distraite à son énumération d’un certain nombre de trucs en « V ».

Ce n’est que lorsque Jean-Nouille, croyant qu’aucun de ses auditeurs du mercredi ne serait encore là dimanche, a ressorti son topo, un poil raccourci, pour l’ouverture du séminaire d’éducation à l’image « Voyages en photographie« , que j’ai dressé l’oreille. Continuer la lecture de La vertu, au sens romain, bien entendu

Columbo, du grand art

«Le grand public le connaît surtout pour le rôle de l’inspecteur Columbo, mais l’acteur avait joué dans de nombreux films», écrit 20Minutes.fr pour saluer la disparition de Peter Falk, faisant écho à de nombreuses nécros pareillement balancées. Traduction: star de la télé, ça ne vaut pas une cacahouette; pour prouver qu’on a été un grand acteur, rien ne vaut Cassavetes…

A-t-on besoin de la bénédiction de la culture légitime pour reconnaître le talent? On peut aimer Cassavettes et trouver que Columbo a été un formidable rôle, incarné à la perfection par un comédien surdoué.

Comme souvent, Umberto Eco n’est pas tombé loin quand il décrit Columbo comme la nouvelle manifestation du petit homme, héros au rabais de la modernité télévisée (De Superman au surhomme, Grasset, 1993). Mais l’auteur du Nom de la Rose était déjà trop star lui-même pour être encore sensible à la part de revanche de classe que comporte le feuilleton.

En promenant son imper crade et ses manières de beauf dans les salons de grands bourgeois convaincus de leur impunité, l’inspecteur venge les prolos du monde entier, qui n’aimeraient rien tant que secouer la cendre de leur cigare à deux balles sur le tapis angora et faire trembler les puissants d’un «encore un p’tit détail» (« just one more thing« )…

Oui, la télé peut parfois venger les pauvres, et Columbo a été un de ces feuilletons universels qui a signé la montée en puissance de la culture télévisuelle, l’envers satirique du personnage incarné au cinéma par James Bond, avec épouse légitime invisible et moyens riquiqui, quand le grand écran affichait ses pin-up et ses dollars. Une création d’époque, un rôle comme il n’y en a que quelques-uns par génération, que Peter Falk incarnait visiblement avec un plaisir gourmand. Salut, l’artiste!

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Comment les médias voient l'avenir

La « menace » est l’expression d’un des modes fondamentaux de la relation aux médias d’information, dont on attend non pas qu’ils nous renseignent sur ce qui s’est produit hier, mais qu’ils nous disent ce qui va arriver demain. La « menace » est précisément la qualification des potentialités futures de l’événementialité présente (et un ressort économique essentiel de la presse conservatrice, dont le public est par définition sensible aux mutations toujours dangereuses de l’état des choses). Comme on peut le constater grâce à l’exemple de ces deux Unes du Figaro, intitulées respectivement « L’effondrement de la Grèce menace toute l’Europe » (16/06/2011) et « Le drame japonais menace l’avenir du nucléaire » (15/03/2011), on voit également que le verbe « menacer » offre un outil rhétorique pour relier un événement lointain à un contexte plus proche de nous.

Pour caractériser une situation qui ne s’est pas encore produite, l’image est un allié précieux. Elle permet de construire une projection imaginaire discrète, mais néanmoins légitime, par le biais de l’allégorie: en l’occurrence, une photo de reportage ayant enregistré un événement ponctuel (accessoirement identifiable comme appartenant au contexte, par l’intermédiaire de l’alphabet grec sur le bouclier) est utilisée pour suggérer la menace de l’extension à « toute l’Europe » d’une situation de crise, signifiée par la présence d’un policier casqué sur paysage d’émeute avec flammes. Où l’on aperçoit encore une fois que les catégories classiques de « document » ou de « fiction » s’avèrent bien trop grossières pour décrire un registre de mobilisation de l’imaginaire qui associe astucieusement explicite et implicite, valeur d’objectivité du journalisme et puissance de la suggestion.