Alors, Guéant, raciste ou pas? Le plus intéressant dans cette affaire qui ne fait pas un pli, ce sont les hésitations et les doutes à gauche. Qu’est-ce qu’une civilisation? Vérifions dans le Robert. Ou pire: renvoyons dos à dos Guéant et Letchimy, comme si le point Godwin était devenu l’alpha et l’oméga de la pensée critique.
Si l’on en croit les laborieuses justifications du ministre, encore répétées aux Antilles, celui-ci se bornait à exprimer l’idée que la démocratie, c’est mieux que la tyrannie. Ben voyons. Et pourquoi pas qu’il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade? Du coup, on s’explique mal pourquoi les hiérarques accourus à son secours tenaient tant à préciser que «Claude Guéant n’est pas raciste» ou que «Claude Guéant est un républicain». Ça vous viendrait à l’esprit d’évoquer le racisme à propos d’un éloge des droits de l’homme?
Balivernes. La phrase de Guéant n’est pas une improvisation de comptoir, mais la formule soigneusement pesée d’un discours rédigé (par Yves Roucaute) pour un meeting de l’UNI. Depuis le vote des lois condamnant l’expression du racisme en 1972 et 1990, celui-ci a évolué de deux façons. L’ancienne xénophobie fondée sur la nature s’est transformée en un différentialisme appuyé sur la culture. Plus discret, mais pas moins dangereux: l’expression de ce qui correspondait autrefois à la détermination “raciste” est parfaitement traduit aujourd’hui par le cas Anders Behring Breivik.
L’autre évolution majeure est la règle de dissimulation des opinions xénophobes, qui s’expriment en public sous la forme d’allusions, de plaisanteries ou de sous-entendus, dont Jean-Marie Le Pen s’est fait une spécialité. Sans aucun hasard: la maîtrise de l’implicite est devenu la forme obligée et comme la seconde nature du néoracisme.
Pour fonctionner, le discours implicite suppose la participation active du public auquel il est destiné, qui reconstitue la partie manquante de l’allusion et savoure l’effet de connivence. En contexte, la phrase de Guéant était évidemment un message limpide adressé à une assistance partageant les convictions du ministre, et accoutumée à comprendre à demi-mot des énoncés ciselés pour passer entre les gouttes de la loi. Au détail près que la manipulation de l’implicite vaut désormais signature pour manifester des opinions indignes.
Non moins méprisable que cette provocation millimétrée est l’attitude des représentants de l’Etat, qui prennent le grand public pour une bille, en affirmant la main sur le cœur le « bon sens » de la formule. Un réflexe qui n’est pas sans rappeler les justifications tarabiscotées de Hortefeux dans l’affaire auvergnate, dont la mauvaise foi fonctionnait là aussi comme un aveu.
L’antiracisme est aujourd’hui à la croisée des chemins. Si l’on ne peut plus décrire comme “racistes” les sorties de Sarkozy, Guéant, Hortefeux, Fillon et consorts, alors c’est que ce terme ne sert plus à rien, ou pire: que l’impossibilité de son usage nous cache la réalité de la montée d’une haine de l’autre qui a su se transformer pour s’adapter aux interdits culturels. Le flottement qui a suivi les premiers temps de l’affaire Guéant est un signe inquiétant du retard pris par le logiciel républicain.
La dissimulation consiste à tordre, à presser le mot « culture » pour qu’il signifie « race » aux oreilles des « bons » électeurs, sans avoir à dire le mot race. Renaud Camus est un as dans ce travail de dissimulation.
Voir sur Libertyvox la manière dont il répond à son interlocuteur « identitaire » (c’est à dire raciste/fasciste) qui l’interroge sur J. Evola : Camus se met à rouler les yeux dans tous les sens, évitant de répondre clairement à la question directe qui lui est posée et feignant de ne pas connaître J. Evola.