L'imaginaire démocratique, meilleur allié de l'autocratie française

Hier, au colloque « Imaginaires du présent« , Natalia Lebedinskaia (Concordia University) analysait les pratiques d’auto-représentation développées par le mouvement d’opposition au régime iranien en 2009. Face à la volonté gouvernementale d’effacer ou de minimiser l’expression de la contestation, l’habitude fut prise de filmer et de photographier les manifestations (voir ci-dessus), puis de faire circuler ces images par l’intermédiaire des grands réseaux sociaux, pour apporter un témoignage direct de l’expérience vécue. Aujourd’hui soigneusement archivée par la bibliothèque du Congrès, cette contre-propagande a permis de prendre conscience de l’ampleur de la protestation à l’échelle internationale.

Au moment où il nous faut consulter le Boston Globe pour apercevoir l’image de ce qui se passe en France, je ne pouvais m’empêcher de penser que la condition du développement de cette stratégie de communication avait été la conscience de s’opposer à un régime dictatorial, dans un contexte d’information manipulée.

J’ai lu les réactions horrifiées de quelques historiens face aux tentatives de nommer le type de dirigisme qui s’exerce aujourd’hui, prompts à nous assurer que la dictature est loin puisque la devise « Liberté, égalité, fraternité » est toujours inscrite au fronton des mairies. J’admire le sens historique de ces collègues et leur robuste foi dans les actes de langage. Pour ma part, je pense que le type de régime dans lequel on vit ne s’évalue pas en fonction des assurances délivrées par le porte-parole de l’UMP, mais à ce qu’on peut constater dans le réel du respect des expressions adverses. La démocratie se juge à ses effets, pas à son architecture institutionnelle. Continuer à penser que la République protège la diversité des opinions est visiblement une erreur d’analyse. Adapter notre compréhension à la réalité que chacun de nous peut observer pourrait en revanche avoir des conséquences utiles.

9 réflexions au sujet de « L'imaginaire démocratique, meilleur allié de l'autocratie française »

  1. Images très intéressantes sur le Boston Globe ! Très éloignées de celles, plus conventionnelles, qu’on peut voir en France… (celles d’un folklore démocratique un peu usé d’un côté et de jeunes casseurs sans visage, vus de loin de l’autre)… Ici, le regard est libre de cette dichotomie idéologique dominante, on voit que les « casseurs » sont des gamins comme les autres, que des policiers se déguisent en militant d’extrême gauche, que les manifestants sont beaux, jeunes et créatifs… Pour le coup, la photographie revêt pour nous un aspect documentaire… ou elle illustre dans une autre culture visuelle, débarrassée des catégories préétablies à illustrer… le regard du voyageur « persan » est encore une fois plus juste parce que plus naïf.

  2. Ce qui m’a marqué dans ces manifestations, et nous le voyons bien dans la photo de la « marianne » n° 18, c’est le nombre de téléphones-appareil photos qui prennent des images-souvenirs.

  3. Mais la Marianne est déjà le souvenir d’une image, pourrait-on dire. Et qui date d’avant la photographie … 😉

  4. Qu’on ne se leurre pas sur la valeur documentaire des images du Boston Globe, qui ont pas mal circulé et suscité des réactions admiratives du côté des opposants à la réforme. Ces superbes images ont été réalisées par les photographes pour illustrer un récit insurrectionnel, et correspondent à la plupart des stéréotypes en vigueur dans ce cadre. Le problème, c’est qu’il n’existe aujourd’hui dans la presse française aucun support narratif susceptible d’accueillir ces images. A l’exception de quelques articles situant le mouvement dans un cadre explicatif plus large, la plupart des organes de presse continuent à traiter l’événement sous un angle restrictif ou purement anecdotique (Le Monde: « Les vacances de la Toussaint perturbées par la pénurie de carburant »). La trame narrative actuelle, c’est la résistance du gouvernement, en dépit de problèmes ponctuels (p. ex. Libé: « La mobilisation ne faiblit pas contre le projet de réforme des retraites, mais le gouvernement refuse toute concession ») On ne peut pas illustrer ce récit par des images de révolution – mais par des images génériques de pompes à essence…

    On commence à voir circuler sur le net d’autres récits, appuyés sur des images autoproduites, comme cet album sur Flickr expliquant la « souricière » du 21 octobre 2010, place Bellecour à Lyon:
    http://www.flickr.com/photos/37299532@N08/sets/72157625219391752/with/5105931636/
    (afficher les images une par une pour lire les légendes)

  5. @ André,
    Bien d’accord, ces images n’ont pas de dimension documentaire en soi mais semblent s’en parer au bénéfice d’un changement de récit, d’un déplacement du point de vue et donc q’une mise en question du regard sur ces événements… Sans affirmer visuellement aucune vérité sur les événements, elles réveillent notre regard, soumis aux codes des récits convenus sur les grèves, les casseurs, la pénurie… C’est le décalage en soi qui donne une illusoire dimension documentaire à ces photos, parce qu’il nous amène à voir les choses d’un point de vue différent… ça libère alors notre imaginaire… et on revoit tout… ou plutôt, on suspend notre regard… on le met aux aguêts… Peut-être qu’une photo paraît documentaire quand elle réveille le regard, quand elle renouvelle l’illustration d’un thème…

  6. en plus de voir les téléphones portable très présent dans les manifs je remarque que les photos de manifestants sont triées et comme mises en scène par les syndicalistes et le photographes même inconsciemment, pour paraitre dramatique (voir les photos 1, 7, 10, 11, 23, 28). Le choix lui même qui est effectué par le site américain renforce cet aspect « guerre civile » que l’on a pas beaucoup vu surtout quand la police est restée discrète.

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