La photo numérique hors du temps

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Dans la publicité pour le parfum Chanel réalisée à l’occasion de la sortie du film Coco avant Chanel (Anne Fontaine) en mai 2009, Jean-Pierre Jeunet fait évoluer Audrey Tautou dans un univers saturé de références à la nostalgie Belle Epoque, entre cuivres de l’Orient-Express, échos de Billie Holiday et couleurs jaunies façon Kodachrome. On est donc un peu surpris de voir apparaître dans les mains de la belle, à la fin du clip, le dernier modèle d’appareil photonumérique Leica (associé à un zoom très peu conforme à l’orthodoxie de la série M), commercialisé en 2006. L’objet est indispensable au scénario, puisque c’est l’immédiateté de l’affichage digital qui permet au personnage de reconnaître le beau jeune homme (Travis Davenport) du train.

La question n’est pas ici d’un quelconque respect de la temporalité, mais plutôt de l’interpénétration des univers. Même si elles piochent dans des périodes différentes, toutes les allusions visuelles et sonores de Jeunet nous renvoient à un passé mythologique. Faut-il comprendre que la marque Leica neutralise l’intrusion du numérique? Ou que l’outil digital est désormais tellement familier qu’il ne brise pas le continuum de la nostalgie? A moins que le clip ne nous montre l’évolution de notre conception de l’histoire. Comme dans les reconstitutions des amateurs d’histoire médiévale, elle s’y manifeste sous les espèces d’un décor standardisé, sorte de Disneyland académique, où l’appareil photo, témoin obligé de la performance, est toléré comme un objet hors du temps.