Un cas de retouche ordinaire, issu du numéro du 13 octobre 1938 de Paris-Match (photographies non attribuées). Dans le cadre d’un reportage sur l’installation du diplomate André François-Poncet à l’ambassade de Rome, une photo légendée: « M. et Mme François-Poncet ont cinq enfants, quatre fils et une fille. Les deux aînés sont, au piano, d’excellents duettistes » occupe le quart inférieur droit de la première page. Le feuilletage le laisse à peine discerner, mais un examen plus attentif dévoile un travail de retouche appuyé de cette image: les cheveux, les contours des yeux ou de la bouche des quatre enfants, les plis des vêtements, le contour des doigts ou des touches du piano ont été largement redessinés au crayon et à l’encre (voir agrandissement).
Contrairement à l’opinion généralement admise, selon laquelle la retouche est tolérée dans le portrait ou la mode, mais interdite dans le cas du reportage, cette image montre l’application d’une correction appuyée. Pourquoi cette photo a-t-elle fait l’objet de ce travail long et délicat? On ne peut que spéculer pour répondre à cette question, mais le choix de la retouche atteste que l’image a été jugée suffisamment intéressante pour être mise en valeur. S’agissant d’un reportage, le hasard heureux de la composition des têtes des quatre enfants – avec le joli contraste entre les yeux baissés et l’air concentré des trois derniers et le regard levé de l’enfant au premier plan dont le visage reçoit la lumière – ne pouvait probablement pas être reproduit aisément. Mais le recours à la retouche montre aussi que cette image, réalisée en intérieur avec un temps de pose visiblement un peu trop long, comportait une part trop importante de détails flous ou indiscernables. Le désir de « sauver » une photo que la rédaction a trouvée belle explique donc le recours à une retouche qui, si elle avait été publiée à un format légèrement inférieur, serait passée inaperçue.
Dans l’ouvrage publié en 2006 par Didier Pourquery et Philippe Labarde : « Paris-soir, France-soir : La photo à la une » (Paris-Musées), on découvre un grand nombre de photos d’actualité retouchées, et ce encore dans les années 50.
De façon purement intuitive et mémorielle, j’ai le sentiment qu’avant l’irruption du numérique, les retouches qui faisaient problèmes concernaient exclusivement l’apparition ou la disparition de personnes sur les photographies historiques.
La photographie en noir & blanc supposait la maîtrise de filtres destinées par exemple à dramatiser les ciels. Et c’était perçu comme de l’art ou une preuve de professionalisme.
L’utilisation de filtres en couleur n’était pas plus (ou moins) discutée que celle d’ultra grand angles.
C’était les photographes qui s’inquiétaient du recadrage de leurs images par les iconographes et non la Société englobante qui les interpellait sur leurs artifices à la prise de vue.