Sur une pub Chanel, est-ce que les seins de Keira Knightley doivent nécessairement être les siens? Sans doute, si l’on croit à la vertu photographique et si l’on pense qu’il s’agit bien d’un portrait de la jeune femme. On peut alors faire mine de s’offusquer de la retouche qui a gonflé sa poitrine (opération que l’actrice a commenté en ces termes: «Those things certainly weren’t mine»). Pourtant, s’il s’agissait d’un mannequin anonyme, l’exercice d’idéalisation qui affecte tous les aspects de cette image fantasmatique ne paraîtrait pas le moins du monde scandaleux, tant nous est familière l’idée que le corps féminin n’est qu’une vulgaire pâte, une matière première pour composition graphique qu’il est normal de retravailler, d’améliorer ou de recomposer. Personnellement, cette deuxième idée me dérange nettement plus que la première. (Illustration empruntée à Dontmiss.)
9 réflexions au sujet de « Le corps féminin, pâte graphique »
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Pour rebondir, une de questions qui m’occupe en ce moment: Est le corps qui est pâte ou la « matière » photographique/la matière image ? …
Je ne pense pas que cela a à voir avec l’anonymat ou non de la personne photographiée.
La vrai question c’est : est-ce un portrait ou une publicité ?
Si cela se veut un portrait, d’un anonyme et d’une célébrité, l’œuvre composite qui ne se donne pas pour telle, est discutable.
Nous serions en présence de deux portraits en fait, celui d’une jeune femme dont on a dissimulé les seins, et celui d’une jeune femme dont on n’a conservé que les seins. (Et réaliser le portrait d’une jeune femme en ne montrant que ses seins, me semble au moins aussi pertinent que le portrait d’un pianiste dont on ne montrerait que les mains.)
Si c’est une publicité, nous sommes en présence d’une image composite, et ses seins d’emprunts ne me semblent pas plus choquants que la bouteille de parfum rapportée en bas à droite qui vient parasiter l’image :~)
@alexie: Il faut relire le beau texte de Mona Chollet, « Mitterand, Polanski, le soliloque des dominants »: http://peripheries.net/article324.html pour se persuader que c’est bien le corps de la femme qui est cette matière à fantasmes, raison pour laquelle il devient dans l’iconographie d’enregistrement une véritable pâte à modeler.
@andré: Je ne comprends pas pourquoi vous rapprochez l’utilisation des corps dans la pub Chanel et les déclarations suscitées par l’affaire Polanski. Ou alors, il faudrait entrer dans le discours de Finkielkraut. Polanski n’est pas coupable parce qu’il a été la victime de ses mauvaises lectures: Vogues Homme.
Dans le texte de Mona Chollet, j’ai lu une analyse excellente et exhaustive des idéologies qui sous tendaient les discours des défenseurs de Sarkozy, mais finalement assez peu de fantasmes sur le corps de la femme dans le discours de ces hommes. On est avant tout dans un discours visant à légitimer le comportement du mâle dominant (culturellement et économiquement) avec les femmes.
Les corps de la femme (et de l’homme) sont matière à fantasmes; c’est d’ailleurs un des éléments moteurs de la sexualité humaine :~). Mais, tout est pâte graphique pour le photographe et la photographie. Le corps féminin, mais aussi le corps masculin, la nature, les artefacts produits par l’homme, la guerre, la mort, la misère, la richesse, la révolution etc.
@El Gato: l’article de Mona comprend de longs passages sur le rôle de la femme dans la culture visuelle (notamment autour du film de Delphine Seyrig) qui me paraissent au contraire tout à fait appropriés à cette discussion.
La sexualité est un rapport où les genres devraient être égaux. Pourtant, le corps de la femme n’occupe pas la même place dans la culture visuelle occidentale que celui de l’homme. Comme le résume Mona: «L’homme est un créateur, la femme est une créature».
Tout n’est pas « pâte graphique ». La représentation manuelle produit un artefact à partir des formes du réel sans que celui-ci puisse jamais avoir une rétroaction sur elles. En revanche, il ne va pas de soi, dans le contexte des images d’enregistrement, qui revendiquent un rapport au réel plus étroit que le dessin, de faire des corps un pur support de composition graphique. Ce trait couvre assurément une bonne partie de la production photographique et cinématographique (à commencer par le nu); ce qui m’intéresse ici est la contradiction jamais assumée entre cette pratique et le discours du photoréalisme – dont la dénonciation de la retouche est une manifestation.
« La sexualité est un rapport où les genres devraient être égaux. Pourtant, le corps de la femme n’occupe pas la même place dans la culture visuelle occidentale que celui de l’homme. »
La culture visuelle occidentale est le miroir de la société occidentale. La femme y occupe la place que lui a donnée la société occidentale. Ce n’est pas seulement son corps qui est en cause comme le souligne d’ailleurs l’article de Mona « Toutes y racontent la pénurie de rôles féminins, et, plus encore, leur pauvreté, les quelques sempiternels clichés auxquels ils se réduisent »
« ce qui m’intéresse ici est la contradiction jamais assumée entre cette pratique et le discours du photoréalisme – dont la dénonciation de la retouche est une manifestation. »
Depuis la généralisation de la photo numérique, il y a une espèce de prise de conscience que la photographie n’est pas la réalité. Mais également l’espoir qu’il existerait une photo pure, objective, réaliste (j’ai du mal à trouver un adjectif qui n’ait pas déjà une place dans l’histoire de la photographie 🙂 La proposition de loi de madame Valérie Boyer en est même devenu le symbole en France. Mais tout ce bruit autour de la publicité, dont même les enfants ont conscience qu’il s’agit de fictions, n’a t-il pas pour but d’éviter de s’interroger sur le photo-journalisme et la confusion entretenue aujourd’hui entre information, communication et publicité ? Auquel cas face à une prise de conscience de la part de fiction inhérente à toute photographie, on ne dénoncerait la pub que pour ne pas avoir à s’interroger sur la photo de presse.
Les américains semblent procéder autrement, avec quelques licenciements retentissant de photo-reporters, et le bricolage de codes « éthiques », peu en rapport avec la nature même des fichiers raw.
Juste pour signaler, à la lecture croisée des différents sujets, une possible contradiction entre les différentes sources.
André cite ici The Sun, selon qui la citation Those things certainly weren’t mine etc… fait référence à la publicité Channel.
Problème alors, Patrick cite ici le site de fans au nom même de l’actrice
(voir là http://culturevisuelle.org/apparences/2010/02/25/cachez-ce-sein-que-je-ne-saurais-voir/)
dans lequel on retrouve les mêmes paroles, mais datées de 2006 et concernant les affiches du film King Arthur
(cf http://www.keiraknightley.com/articles/my%20flat%20chest%20is%20a%20turn-off/ )
Peut on dès lors être vraiment certains que, dans le cas de cette publicité, la poitrine a été, plutôt que retouchée, disons augmentée ?
Ce qui m’étonne c’est que Keira Knightley s’offusque du traitement infligé à ses seins mais que celui affligé à son visage. La différence entre celui de la pub et le réel est plus que notable.
Le visage constitue autant l’identité que les seins…
@el gato, je ne comprends pas votre propos sur les fichiers raw qui ne sont pas plus garant de l’identité entre la photo et le réel.
@Julien: l’article du Sun, daté de 2007, est postérieur à la citation du Daily Mail reprise sur le site de l’actrice (et citée par Patrick), qui semble bien être la source de multiples répétitions ultérieures, comme une recherche sur Google permet de le vérifier. Comme l’explique Keira elle-même, en mentionnant un précédent de 2004, cette opération de correction graphique a été effectuée à plusieurs reprises – la pub Chanel récente n’étant qu’un des exemples de cette modification.