L'énigme Hondelatte


A côté de Christophe Hondelatte, Justin Bieber, c’est du pipi de chat. Avec son dernier clip, qui approche les 100.000 vues sur YouTube, le présentateur allumé de la télé publique est en train de battre le record toutes catégories du dislike: une proportion de 91% de « j’aime pas », qui mérite inscription au Guinness.

Reste à deviner ce que les 71 pouces levés ont apprécié dans cette vidéo: la richesse de la rime entre « Dr House » et « Mickey Mouse », l’orchestration façon cover des Blues Brothers un soir de pluie à Lunéville, ou les grimaces pour faire chanteur (l’imaginaire lyrique de Hondelatte s’est visiblement arrêté à Plastic Bertrand)? Dans tout succès du web, il y a une énigme.

Le retour du Perv?

Dans l’ensemble, le traitement visuel de DSK par la presse française est resté jusqu’à présent plutôt mesuré. Si l’on a pu observer une accentuation progressive de la sévérité des images, l’iconographie n’a pas pour autant versé dans l’irrespect généralisé qui avait affecté la représentation du président de la République l’été dernier suite au discours de Grenoble.

La dernière couverture du Point franchit un pas dans la direction de la caricature, qui manifeste la réprobation morale. On y voit un DSK de profil, courbé et comme vieilli (alors que François Hollande nous est présenté de face, dans un élan vigoureux), arborant une mine défaite qui rappelle la Une du New York Daily News du 16 mai, intitulée « Le Perv », qui avait alors fait scandale.

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Quand la photo fait générique

Ce matin, deux exemples sur la Une du Monde.fr d’un usage non pas illustratif mais bel et bien signalétique de l’image. « Hollande et Aubry ont la cote après l’affaire DSK » commente le dernier sondage favorable aux deux leaders du PS. On devine que la photo qui décore le papier, issue des présidentielles de 2007, a été sélectionnée en réponse à la requête « Hollande », « Aubry », « DSK » sur le moteur de recherche de la banque d’images. Elle ne sert à rien, qu’à permettre d’identifier plus vite et plus efficacement les protagonistes mis en scène dans l’article. Même logique pour la sélection de l’image qui illustre « Ouverture de la succession de DSK à la tête du FMI« , qui montre les bobines de l’ancien directeur et de son successeur supposé, en la personne de Christine Lagarde (photo de juin 2010), ce qui résume élégamment la situation exposée dans l’article.

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Le pic DSK

Plus de 6500 vues en 48h pour mon billet « Une consternation française« , un des premiers à réagir à l’insupportable lecture classiste et sexiste de l’affaire DSK par la presse et les politiques, cité notamment par Rezo, Acrimed ou Rue89.

Selon la leçon naguère formulée dans « L’image parasite » qu’un pic de fréquentation en ligne traduit un déficit dans le traitement de l’information par les médias classiques, ce chiffre qui représente un record absolu sur mon blog, dépassant même mes commentaires de l’exécution de Ben Laden, fonctionne comme un sismographe révélateur de l’ampleur du problème DSK.

Qui suis-je?

Un prénom, une liste de choses que j’aime bien en vue sur un T-shirt (ici de la chaîne KFC): une auto-définition sociale et culturelle, inspirée des informations affichées sur les sites de rencontre ou les réseaux sociaux.

Qu’est-ce qui me définit aux yeux des autres? Le mot important ici est: « j’aime ». Et la structure d’une liste de termes interchangeables, dont seule la totalité est originale. Deux indications simples, qui disent le déclin de la culture dominante au profit de l’acceptation de la polyculturalité, la valorisation de l’appropriation individuelle au détriment de la conformité à la norme, le caractère profondément identitaire de la revendication culturelle. Je suis mes cultures. Mes cultures, c’est moi.

Sarkozy contredit Chomsky

On s’en doute, la panique qui gagne la droite devant la perspective de la déroute aux prochaines présidentielles, obstinément confirmée par les sondages, n’est pas pour m’attrister. Mais cette circonstance électorale me pose un problème théorique. Selon la thèse naguère défendue par Noam Chomsky et Edward Herman dans La Fabrication du consentement (1988/2008, Agone), largement partagée à gauche, les puissants ont la capacité d’imposer au peuple les représentations qu’ils souhaitent par l’intermédiaire des institutions et des médias qu’ils contrôlent. Or, comme la chute du Mur ou les révolutions arabes, en cas de non-réélection, le cas Sarkozy apportera un sérieux démenti à cette thèse.

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Sois fan et tais-toi

Excellente dans Inglourious Basterds de Tarantino, nouvelle égérie de Dior, future maîtresse de cérémonie du festival de Cannes, Mélanie Laurent a décidé de se lancer aussi dans la chanson. Mais son album à paraître le 2 mai ne lui vaut pas que des louanges. Dans une interview au journal leberry.fr, la jeune femme se lâche: «Internet, c’est une ouverture sur la haine». Il n’en fallait pas plus pour assurer le buzz, et des commentaires pas sympa du tout des internautes, qui défendent à juste raison leur droit au dislike.

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Le monde est-il plus méchant depuis internet? Contrairement à ce que laisse entendre l’actrice, la critique n’a pas attendu le web pour jouer du pouce baissé. Je n’aurais pas aimé être à la place de Pontecorvo lorsque Rivette lui balance son « abjection », assassinat définitif du réalisateur.

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Le mariage de Kate et William n'a pas eu lieu

Selon une croyance répandue, l’exercice du journalisme est intimement lié à l’événement – phénomène qui peut prendre des contours variés, mais qui suppose à tout le moins d’avoir eu lieu pour qu’on le décrive.

La beauté de la croyance est que le démenti quotidien de la loi ne la contredit d’aucune manière. Soit le mariage de Kate et William, événement qui, à l’heure où j’écris ces lignes, n’a pas encore eu lieu. Ce détail n’a pas empêché notre bonne presse de délivrer à l’avance des kilomètres de teasing – articles, couvertures, dossiers spéciaux voire numéros entiers consacrés à cet épisode mondain de la culture britannique.

On dira qu’un événement de ce type est si prévisible qu’il n’est nul besoin de l’avoir constaté pour en parler. Cette réponse philosophique méconnait grandement l’économie médiatique, qui ne se borne pas à annoncer le rendez-vous, mais dont les efforts pour alimenter le filon peuvent se mesurer à l’inventivité débordante des angles imaginés pour en prolonger le récit. Toujours prompte à se recycler elle-même, la presse va jusqu’à faire de l’évocation de la « frénésie médiatique » une autre façon de rallonger la sauce.

Au contraire de la sémiologie, qui justifie l’affairement médiatique en apercevant au cœur de l’épisode princier quelques leçons de vie fondamentales, je crois que Kate et William nous montrent surtout comment la presse peut faire d’à peu près n’importe quoi un événement d’importance planétaire, par la simple mobilisation de l’appareil médiatique, la répétition et la survalorisation de l’annonce. C’est ce qui est finalement le plus intéressant dans la tradition de couverture de l’événementialité monarchique britannique: qu’elle démontre le fonctionnement « à blanc » de l’œuvre médiatique, machine à focaliser l’attention, pouponnière de l’événement – ou élevage de poussière

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La fourchette de Colette

Début célèbre de La Chambre Claire: «Un jour, il y a bien longtemps, je tombai sur une photographie du dernier frère de Napoléon, Jérôme (1852). Je me dis alors, avec un étonnement que depuis je n’ai jamais pu réduire: «Je vois les yeux qui ont vu l’Empereur» (Roland Barthes, Œuvres complètes, t. 3, p. 1111).

Ce matin, sur France-Inter, j’entends le journaliste Bernard Pivot, membre depuis 2004 de l’académie Goncourt, confier son émotion à l’idée de manger avec la fourchette et le couteau de Colette chez Drouant.

Que ces couverts soient en vermeil permet-il de croire à quelque lien mystérieux avec le photographique? Une fourchette peut-elle enregistrer l’émanation vitale de son usager? Y-a-t’il dans le portrait de Jérôme Bonaparte quelque trace que ce soit de la gloire de l’Empire? Ou bien doit-on plus simplement admettre que l’émoi de la relique n’existe que dans l’esprit de celui qui mobilise ce souvenir?

Le jour où la narratologie ne sert à rien

1er avril, jour où l’on lit les médias l’œil aux aguets, le soupçon en bandoulière. Pour dénicher la bonne blague – ou ne pas se laisser avoir par l’astuce trop bien cachée. Au risque de voir des poissons même là où il n’y en a pas. Comment, Endémol aurait un « comité de déontologie« ? Ce n’est pas un peu trop gros, là?

Le 1er avril est le jour où l’on peut vérifier que Genette s’est bel et bien planté. Il est vain d’essayer de repérer des différences formelles qui marqueraient la frontière entre récit factuel et récit fictionnel. Les différents genres du discours, outre qu’ils échangent constamment figures et tours, ne sont que des cadres expressifs qui ne fournissent aucune garantie a priori sur la qualité du contenu. Le caractère de vérité ou de fausseté de tout ou partie du récit n’est jamais une information interne, mais toujours un jugement issu de connaissances ou de croyances externes – et qui peut se modifier indépendamment de l’énoncé.

Le repérage du poisson s’effectue en contexte en s’appuyant sur les compétences encyclopédique et logico-déductive du lecteur. Outre la date du jour, information qui permet d’orienter la lecture (à noter que la relecture de n’importe quel article le 1er avril le colore immédiatement d’une certaine irréalité), il fait partie des usages de glisser un indice qui facilite la découverte de la fraude. De quoi rassurer sur le caractère exceptionnel de la transgression et la solidité de la frontière entre fait et fiction – faudrait quand même pas laisser accroire qu’il est si facile de prendre des vessies pour des lanternes