Le retour du Perv?

Dans l’ensemble, le traitement visuel de DSK par la presse française est resté jusqu’à présent plutôt mesuré. Si l’on a pu observer une accentuation progressive de la sévérité des images, l’iconographie n’a pas pour autant versé dans l’irrespect généralisé qui avait affecté la représentation du président de la République l’été dernier suite au discours de Grenoble.

La dernière couverture du Point franchit un pas dans la direction de la caricature, qui manifeste la réprobation morale. On y voit un DSK de profil, courbé et comme vieilli (alors que François Hollande nous est présenté de face, dans un élan vigoureux), arborant une mine défaite qui rappelle la Une du New York Daily News du 16 mai, intitulée « Le Perv », qui avait alors fait scandale.

Soigneusement sélectionné, ce portrait de DSK, à mille lieues du futur vainqueur de la présidentielle, pose un problème délicat. Cette image n’est en effet pas sans parenté avec l’iconographie traditionnelle du juif errant, représenté de profil, courbé, parcourant les routes. Il est peu probable que ce rapport ait été délibérément recherché, car il susciterait une grave accusation d’antisémitisme. Il s’agit plus vraisemblablement d’une connotation involontaire venue parasiter l’image du vieillard libidineux. Cette évocation soulève cependant une question plus générale. La relative retenue qui a jusqu’à présent caractérisé le traitement visuel du personnage DSK est-elle liée à la difficulté de le caricaturer sans tomber dans l’écueil de l’antisémitisme?

(Juif Errant, Prague, 16e s.; Image d’Epinal, 1896; Marc Chagall, 1914.)

15 réflexions au sujet de « Le retour du Perv? »

  1. Bonjour André. Pour avoir un peu pratiqué le dessin en général et la caricature en particulier, je suis tenté de répondre par la négative à ta question finale.

    Premier argument : la forme du nez de DSK ne me semble pas être une caractéristique particulièrement prégnante de sa physionomie, comme pourraient l’être les oreilles chez Charles De Gaulle ou Charles le prince, par exemple. Il n’est donc pas incontournable de mettre l’accent sur ce nez, et pas nécessairement de façon à lui donner l’orientation antisémite évoquée plus haut.

    Surtout, second argument, quand bien même le nez serait particulier et son exagération ressentie comme incontournable pour le caricaturiste, le simple fait d’abandonner le profil pour une caricature de trois quarts ou de face pourrait suffire à atténuer fortement ou même à annuler ce risque d’évocation de toute une iconographie antisémite.

  2. J’entends les remarques d’Erwan et pourtant lorsque j’ai vu cette Une sur le kiosque vendredi, j’ai vu exactement la figure que décrit André…

  3. Je crois que l’interprétation d’André est assez difficilement contestable, cette image de DSK vouté et semblant repartir, quitter les lieux, continuer sa longue route évoque la figure du juif errant. On peut ajouter aussi le jaune du titre qui est une habitude du journal (donc pas un acte volontairement orienté) mais qui prend une connotation particulière dans ce contexte… Le mot incendie en revanche plus étonnant, sa présence pourrait devoir quelque chose au pogrom qui était souvent à l’origine de l’errance des juifs d’Europe de l’est, les deux figures sont liées par exemple dans la crucifixion blanche de Chagall : http://www.proscenium.ch/art/chagall/chagallbibbia/white.jpg

    DSK annonçait aux journalistes de Libé qu’il allait être attaqué sur trois points, les femmes, l’argent et sa judéité, les deux premiers sujets ne sont plus tabous depuis le 14 mai, on parle volontiers de ses frasques sexuelles et son fric (celui de son épouse) s’étale dans la presse à travers les cautions et autres loyers… Reste le troisième sujet, beaucoup plus délicat et sans rapport ni avec la puissance financière ni avec ses pulsions présumées, qu’on va voir poindre ici ou là, de manière indéterminable…

  4. @Alexie : je pense que l’un n’empêche par l’autre ; ma remarque n’entend surtout pas invalider tout ce qui a été dit par André.

    Selon moi le côté caricatural ne tient pas surtout au fait que DSK est reproduit de profil et que son nez à la forme qu’il a.

    – il est représenté allant vers la gauche (= côté du passé si l’on se réfère à notre sens de lecture) et hors-cadre. Mon interprétation : il est out, DSK c’est du passé.
    – DSK est représenté certes courbé mais surtout surplombé par un fardeau (ou par une lourde épée de Damoclès) typographique : « L’incendie DSK », en jaune sur fond noir (= contraste maximum). Autrement dit, ses propriétés physiques sont accentuées par le contexte ; c’est surtout ça qui me semble poser problème.
    – sa disparition in progress est évidemment à opposer à celle de Hollande, l’opportuniste réjoui de l’histoire ; cela a été dit.
    – il y a aussi ce fond noir très théâtral ; on est même clairement chez Guignol, non ?

    Cette couverture constitue une tentative de « storytelling visuel » à base de photomontage d’un niveau à peine moins grossier que ce que pratique le New York Post, par exemple.

    Pour finir, si on me demandait quelles images me semblent être les plus dures sur l’affaire DSK pour l’instant, j’évoquerais les dix secondes qui suivent de près sa sortie de voiture, après sa garde à vue. Voir cette vidéo, de la 7e à la 17e seconde environ. DSK est tellement « entravé » qu’il ne peut même plus remettre de lui-même la partie de sa veste qui est tombée. Il est littéralement « défait ».

    C’est surtout vrai si on tient compte des images vidéo généralement diffusées juste avant, ces jours-là, et sur lesquelles on voit un DSK quittant le poste de police. Il est certes déjà menotté et placé sous le feu des flashes, mais sa veste noire est encore convenablement portée. De la première séquence à la seconde, il a perdu en dignité de façon patente, en raison de sa présentation qui dégradée à sa sortie de voiture. S’il y a chute, c’est d’abord une chute vestimentaire, dégradante en soi.

    En poussant le bouchon un peu plus loin, constatant ce début de dénuement à travers ces deux séquences, n’en sommes-nous pas venus à espérer entrevoir ces fameuses griffures sur son torse, quelque part à travers cette chemise qui, pourquoi pas, pourrait se mettre à s’ouvrir elle aussi ? Ces images sont aussi très dégradantes pour nous, téléspectateurs de cette dégradation vestimentaire.

  5. @Olivier : une fois encore, je ne faisais que répondre à la question posée par André en fin de billet ; je ne conteste pas le reste. J’attire par ailleurs votre attention sur le fait que :
    – les trois craintes de DSK ne devaient pas nécessairement être exaucées d’une façon ou d’une autre (!) ; votre argumentaire tend presque à laisser entendre que vous espériez que toutes les prémonitions pourraient être constatées ;
    – cela me semble d’autant plus évident qu’il n’est plus nécessaire d’attaquer DSK par l’une ou l’autre de ces trois possibilités (ou par une autre encore), à présent : vis-à-vis de la présidentielle, DSK est déjà hors course.

  6. @Erwan: ma question n’était pas nécessairement liée à la représentation de profil, mais plutôt aux limites de l’exercice de la caricature, par définition irrespectueuse, confrontée aux risques de l’accusation d’antisémitisme, que le personnage DSK peut susciter. Pour le dire autrement, je ne suis pas sûr que la figure du juif errant serait perceptible si quelqu’un d’autre que DSK était représenté de profil, vieux et voûté. Nos associations sont nécessairement contextuelles, et l’accusation d’antisémitisme a déjà été mobilisée par ses partisans lorsque DSK se trouvait confronté à telle ou telle difficulté. Il ne serait donc pas anormal qu’un éditeur fasse plus particulièrement attention à ce que ses choix visuels ne puissent faire l’objet d’une interprétation malheureuse. Je reste en tout cas frappé par le fait que le cas DSK se prête moins à la caricature que Sarkozy après l’affaire des Roms. Je ne suis pas certain que ce trait provienne seulement d’une moindre expressivité de DSK. Une photo qui buzze actuellement sur internet, le montrant face à Barack et Michelle Obama, illustre à mon avis également les limites de la caricature à son endroit: http://yfrog.com/z/hsua9pcj

  7. @ Erwan,

    je me suis peut-être mal exprimé ou vous m’avez mal compris… je n’espère pas que DSK soit attaqué sur ces trois points… mais force est de constater que même si comme vous dîtes, il n’est plus nécessaire de l’attaquer, il l’est tout de même sérieusement, il est raillé ou méprisé dans les médias, son nom sert de point de départ à une réflexion sur les agressions sexuelles et le viol… Hamon dit qu’il est choqué par le prix de sa maison à NY… on la fait visiter sur des sites de presse en raillant son luxe…
    Sans que cela aille jusqu’à la caricature physique, peut-être parce que comme le suggère André, l’écueil de l’antisémitisme pointe à l’horizon, les attaques ne sont manifestement pas absentes, non pas pour lui barrer la route mais pour lui faire payer sa défaillance et pour en faire un bouc émissaire porteur des tares françaises… sexisme, arrogance, élitisme…
    Mais n’oublions pas les propos de Christian Jacob qui en faisait un candidat ignorant le terroir français, et ceux de Sarkozy qui en faisait un candidat « hors sol », un errant quoi, sans être antisémites, ces propos avaient des connotations qui ont été relevées, comme cette image en Une du Point…
    Tant qu’il est pénitent, entravé et mis en accusation, tant qu’il est un bouc émissaire fiable, cela ne ressort pas, mais plus il va se défendre et refuser ce rôle, plus son argent va le sauver, et plus malheureusement, il risque d’être ramené à sa judéité, non pas directement mais par la bande, par la connotation… c’est à peu près comme cela que cela fonctionne, je ne l’espère pas mais c’est comme ça. Dans ce genre de situations, nous sommes pris entre deux pathologies, l’antisémitisme d’un côté et la peur de l’antisémitisme de l’autre…

  8. Mon intervention paraîtra sans doute débile, mais on pourrait prendre ce choix de couverture autrement, c’est-à-dire de façon positive, comme une sorte de défense de DSK : de cette attitude du juif errant, une interprétation possible pourrait être que DSK a été écarté du pouvoir par des ambitieux qui ont comploté contre lui parce qu’il est juif, qu’il rejoue encore et encore cette malédiction du juif. Du coup, il n’est plus l’horrible « coupable » d’un viol, mais une énième victime de la malédiction qui pèse sur les juifs. Et Hollande tout énergie en serait le responsable persécuteur ou du moins le symbolise. Ceci étant, les titres en blanc au-dessus de Hollande sont à l’opposé de cette interprétation.

  9. Bonjour,
    Mes derniers commentaires, en raison de contingences extérieures, étaient maladroits et je vous prie de m’en excuser. Je corrige rapidement a posteriori :
    – dans mon 2e commentaire, les 3 derniers paragraphes sont à oublier (« Pour finir, si on me demandait quelles images etc. ») ; je voulais développer un propos mais je n’ai pas pris le temps de le faire correctement et ce n’est pas le meilleur endroit pour cela ; je ne prends donc pas la peine de terminer cela ici.
    – dans mon précédent commentaire, je voulais plutôt écrire, à l’attention d’Olivier : « votre argumentaire tend à laisser entendre que vous vous attendiez à ce que toutes les prémonitions de DSK soient un jour constatées« . Désolé pour l’emploi du verbe « espérer », qui ne correspond évidemment pas à ma pensée.

    Je comprends mieux le propos à travers vos commentaires ; le scénario des suites de l’affaire DSK décrit par Olivier dans le commentaire qui précède me semble effectivement possible !

    Je reste toutefois un peu… circonspect devant le lien étroit qui est fait entre caricature et antisémitisme, comme si l’autre était inhérent à l’un dès qu’il porte sur une personne plus ou moins juive. La caricature est un registre visuel dont les subtilités peuvent permettre à son auteur de réduire la possibilité que certaines interprétations interviennent. Mais en pensant caricature, je pense d’abord à la caricature dessinée (c’est un autre de mes torts, surtout sous ce billet) ; le photomontage que je suppose fait un peu à la va-vite, à partir d’une iconographie toujours limitée est lui beaucoup plus risqué, CQFD.

  10. @André Il y a peut être aussi une dimension culturelle. Cette couverture du Panorama italien s’inscrirait en France dans la tradition du théâtre de Boulevard. Ca nous renverrait à une image du passé. DSK, président du FMI, candidat à la présidentielle, est furieusement contemporain.

  11. Voici une Une qui réunit les deux thèmes de la caricature et du concombre et développe encore cette association entre DSK et le concombre qui met au jour la manière dont fonctionne cette subjectivité commune qu’est le discours médiatique…
    http://www.charliehebdo.fr/la-une
    (j’ajoute que je viens d’entendre dans l’émission « les fous du roi » dans le propos d’un humoriste : « DSK celui qu’on surnomme le concombre andalou »… 😉 Le concombre qu’on a trop facilement accusé de diffuser la peste (cette fixation absurde, ce grand n’importe quoi dont tu parles chez moi, s’explique par d’autres considérations que celles d’un journalisme rationnel, on est peut-être devant une sorte de retour du refoulé et la figure de bouc émissaire du concombre est ainsi, peut-être, une figuration métonymique et caricaturale du priapisme présumé de DSK dont on fait un sujet grave en France et dont on commence à peine à rire… 😉
    Ce n’est pas un hasard si la presse française s’est jetée sur le concombre… elle n’est pas responsable de ce choix mais elle l’a amplifié pour décharger au passge la tension créée par cette image d’un présidentiable en satyre… Le délire sur le concombre c’était une caricature salutaire de l’affaire traumatisante… et ça commence à sortir…

  12. @Olivier: Je n’ai pas de problème pour admettre l’existence de signifiants flottants, auxquels le « concombre/E. coli » appartient sans l’ombre d’un doute. Ma question serait plutôt: comment investiguer sur ces objets si mouvants? Tes exemples concombriques sont un bon symptôme de ce méli-mélo, avec la couv’ de Charlie qui habille DSK en cornichon, réservant le concombre à Lagarde, ce qui est plutôt l’inverse du paradigme que tu pointais… Bref, c’est comme le rêve, ce n’est pas parce que ce n’est pas un objet intéressant que je n’enquête pas dessus, c’est plutôt parce que je ne sais pas par quel bout le prendre!

  13. @ André,

    Tu as raison sur le cornichon, j’ai été un peu trompé par mon détecteur de concombres… c’est plus compliqué…
    Je suis bien d’accord aussi, ce n’est vraiment pas facile de comprendre comment fonctionnent ces déplacements qui ne se jouent pas au niveau d’un sujet particulier mais d’une instance qui reste à définir, en évitant l’écueil de l’inconscient collectif et celui de l’opinion publique… on devrait peut être chercher du côté de la fonction des griots dans les cultures africaines pour comprendre le rôle et le positionnement des énonciateurs du grand récit du monde que sont les journalistes…

    Et comment comprendre cet écart de point de vue entre la Une de libération.fr à 18 40 le 4/6/2011: http://www.flickr.com/photos/parergon/5796614659/in/photostream et celle du monde.fr à la même heure : http://www.flickr.com/photos/parergon/5797176456/in/photostream

    La médaille et son revers… le péril chinois… il y a certes un choix éditorial conscient, mais les images et la synchronisation des Unes est très éloquente, comme deux réactions qui témoignent chacune de l’ambivalence que suscite l’événement sportif de la victoire chinoise à RG à la date du 4 juin, 22 ème anniversaire du massacre de Tienanmen… or on de commémore pas particulièrement les 22 èmes anniversaires… pourquoi lui donner cette place au moment où la joueuse chinoise triomphe dans un sport européen où les chinois n’avaient pas jusque là l’habitude de triompher ?
    J’y vois une réaction plus psychologique que journalistique qui serait de l’ordre de la peur… le retour du péril jaune… mais c’est difficile à étayer… pour le moment…

Les commentaires sont fermés.