La preuve par les Télétubbies

Hier soir, au moment de se coucher, j’évoque je ne sais plus pourquoi le dessin animé Le manège enchanté. On se retrouve évidemment avec Charles et Louis devant YouTube, à surfer d’Aglaé (et Sidonie) à Zébulon en passant par Chapi Chapo (apapo). Et puis, en se laissant porter par le marabout-de-ficelle de la plate-forme, voilà que surgissent les Télétubbies. Ce n’est plus mon enfance qui s’anime à l’écran, mais la leur. Leur premier programme télé, consommé en VHS (qui doivent encore traîner dans la cave), vers l’âge de deux ans.

On les a aimé, en famille, Tinky Winky, Dipsy, Laa-Laa et Po, sautillantes peluches toujours ravies, qui ont fait partie des premiers mots articulés par nos bambins. Et puis nous les avons oubliées. Une douzaine d’années plus tard, c’était la première fois que nous rouvrions ensemble la boîte à souvenirs.

Chatouillés par le générique, un peu émus, Charles et Louis s’esclaffent rapidement. Ils ne dansent même pas en rythme! Louis dit: maintenant, je ne vois plus que des gens dans un costume, qui s’agitent de façon ridicule. Et moi aussi, à côté de lui, je ne vois en fait que ça: les marques qui trahissent les défauts des rembourrages, et qui désignent les acteurs engoncés dans leur déguisement. Ils doivent avoir chaud! dit Charles. Continuer la lecture de La preuve par les Télétubbies

Le suicide de l'UMP fait les affaires du FN

J’entends depuis hier soir un concert de voix affolées d’amis stupéfaits de voir Marine Le Pen réaliser le même score que son père il y a dix ans (17,79% au second tour de l’élection présidentielle de 2002). Mais peut-on me dire quel miracle aurait entretemps effacé l’électorat frontiste du paysage? La crise a-t-elle été enrayée? Les élites ont-elles corrigé leurs penchants oligarchiques? A-t-on entrepris une action pédagogique pour éclairer ces brebis égarées?

Ah, j’oubliais! C’est Sarkozy qui aurait fait disparaître comme par enchantement le FN, en créant le ministère de l’Identité nationale et en renvoyant les immigrés chez eux. Mais le scrutin de 2012 montre bien que siphonner n’est pas la même chose qu’éliminer. Contrairement à ce que la propagande UMP voulait faire accroire, Sarkozy n’a rien fait disparaître du tout: il n’a fait que déplacer temporairement une fraction de cet électorat, dont les voix ont permis sa victoire en 2007. Continuer la lecture de Le suicide de l'UMP fait les affaires du FN

L'ombre de vidéogag

A quelques jours de la fin de l’ère sarkozyste, l’impression s’impose d’une accélération de la désintégration. Au réveil de ce cauchemar, la première question sera: comment ont-ils pu? A la crédulité et au cynisme, il sera évident aux yeux de tous que s’ajoute la complicité médiatique.

Combien de Unes, combien de décryptages qui n’analysent rien, combien de manières de faire de la musique avec du vent? Admiré ou honni, Sarkozy sera resté jusqu’au bout la bouée de sauvetage d’une presse qui se noie, le meilleur argument de vente de canards qui, comme le Grand Journal, ne savent plus exhiber que leur propre caricature.

C’est un long sevrage qui s’engage dès à présent, et laisse les médias orphelins. Les plus malins comprendront que la page qui se tourne est celle de la superficialité – que l’attente est immense d’analyses dignes de ce nom. Ce n’est pas avec les vedettes du quinquennat passé qu’on fera un journalisme qui mérite son salaire.

Qu’adviendra-t-il de lui? Le triste destin de DSK, devenu pâte molle pour amuseurs après avoir figé toute la France éditoriale, est une assez bonne préfiguration du sort qui l’attend. Il est savoureux que l’ancien homme fort du PS ait précédé le caïd de l’UMP sur le chemin qui mène au jeu de massacre: ils seront bientôt réunis par le sarcasme et la détestation qui attend les puissants déchus, d’autant plus moqués qu’ils ont été craints. De l’hystérique président ne restera à terme que l’ombre reflétée par vidéogag: la série des dérapages, lapsus et autres accidents indéfiniment reproduits sur Youtube.

Les leçons de cette débâcle peuvent être profitables. Si l’échec flagrant du césarisme comme méthode de gouvernement et du clientélisme comme outil de gestion politique pouvait vacciner la démocratie française, cette mandature n’aurait pas été complètement vaine.

Une certaine inattention

2007-2012, calendrier électoral identique. En haut, une photo des panneaux électoraux de mon bureau de vote, en banlieue parisienne, le 11 avril 2007, 4 jours après le début de la campagne officielle. J’habite un quartier résidentiel: les altérations des affiches restent modestes (voir l’enquête du Lhivic en 2007). Pas d’arrachage ou de lacération violente, mais une présence marquée de graffitis, qui montrent un certain degré d’interaction (cliquer pour agrandir).

En bas, même lieu, cinq ans plus tard, le 17 avril. On est presque une semaine plus loin dans le processus électoral, à cinq jours du premier tour. Pourtant, les affiches sont presque intactes. Un seul tract a été arraché. Difficile bien sûr de transformer en échantillon ces actes individuels non représentatifs. La météo est bien plus fraiche. Mais on ne peut s’empêcher de se demander si cette indifférence pour le matériel électoral n’est pas le symptôme d’une inattention pour le rendez-vous politique.

L'image aide à recycler la conversation

Micro-événement de la campagne: l’un des éditocrates les plus ridicules du PAF se vautre en direct sur France 2 (« Des paroles et des actes », 12 avril 2012, voir le compte rendu de Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts sur Libération.fr).

Revendiquant le non-conformisme de son sarkozysme, il anticipe une réplique négative et répète: «Je vais en prendre plein la gueule demain sur internet».

Je n’ai pas suivi les réactions en ligne à ces déclarations. Mais je peux lire le lendemain les comptes rendus de l’événement sur Le Lab d’Europe 1, Arrêt sur images, NouvelObs.com, LeMonde.fr ou LeParisien.fr, qui intègrent plusieurs éléments de la conversation: sélection de tweets (repérés à partir des hashtags #dpda et #FOG), interventions sur la page Facebook de l’animateur, commentaires en ligne sur Facebook ou L’Express.fr (cités par LeMonde.fr). Continuer la lecture de L'image aide à recycler la conversation

Si Sarkozy m'était conté (2007-2012)

Petite compilation de couvertures mettant en scène le personnage Sarkozy, de 2007 à nos jours (cliquer pour agrandir). On observera ici qu’un seul et même visage peut raconter toutes les histoires, selon les choix de la rédaction. Du sourire à pleines dents à la colère, en passant par le doute, l’embarras ou la fatigue, les mines de l’acteur se conforment à la gamme des titres, qui lui imposent leur scénario. Le journalisme est aussi un art de la physionomie et de l’apparence.

De haut en bas et de gauche à droite: 1) L’Express, 23/08/2007; 2) Libération, 18/10/2007; 3) Paris-Match, 20/12/2007; 4) Paris-Match, 06/02/2008; 5) Le Point, 07/02/2008; 6) L’Express, 07/02/2008; 7) Libération, 21/04/2008; 8) Le Point, 17/06/2010; 9) Le Nouvel Observateur, 15/07/2010; 10) Le Nouvel Observateur, 09/09/2010; 11) L’Express, 03/10/2010; 12) L’Express, 29/10/2010; 13) Le Nouvel Observateur, 10/03/2011; 14) Le Point, 07/04/2011; 15) Paris-Match, 13/07/2011; 16) Marianne, 07/10/2011; 17) Le Point, 12/01/2012; 18) Libération, 30/01/2012; 19) Le Point, 16/02/2012; 20) Paris-Match, 29/03/2012.

Adieu Nicolas, bonjour François?

Peut-on transmettre un message caché dans l’image? Cette idée est familière dans les analyses de la publicité depuis The Hidden Persuaders de Vance Packard (1957). Mais le principe de la manipulation subliminale me semble fortement limité par la variabilité de l’interprétation des formes visuelles. Une notion qui me paraît plus robuste est celle de signification implicite, qui repose sur un partage ou une complicité objective entre l’émetteur et le destinataire. Cela dit, il est des cas où l’impression s’impose qu’on joue de l’ambiguïté native de l’image pour délivrer des messages en contrebande, sans qu’il soit toujours possible d’assigner de manière claire leur degré d’intentionnalité. Continuer la lecture de Adieu Nicolas, bonjour François?

Une campagne pour rien

Bilan d’étape. Après un mois passé à faire la campagne de Marine Le Pen, Sarkozy a récupéré de 3 à 4% de voix frontistes (et fait chuter d’autant la candidate FN, privée d’oxygène). Après Toulouse, annoncé comme le nième « tournant » de la campagne, on voit au contraire que la courbe plafonne. Elle ne tardera pas à redescendre, pour rester scotchée aux alentours d’un quart des votants. Tout ça pour ça. En jouant à fond la carte xénophone et sécuritaire, en donnant à la campagne un parfum de cabinets, Sarkozy s’est définitivement fermé les portes du second tour.

Nous aurons donc pour la première fois depuis 1995 un président qui ne sera pas un tricheur et un délinquant électoral. Ça ne peut pas faire de mal à la République. Mais c’est à peu près le seul bénéfice qu’on peut anticiper. Symétrique des vases communicants à droite, la montée en puissance de Mélenchon est le meilleur indicateur de l’absence de désir pour l’hologramme Hollande, qui n’a toujours pas trouvé de meilleur argument de campagne que le vote utile. Quel que soit le score, qui promet d’être moins flamboyant que prévu, il sera élu du bout des lèvres, par un électorat peu nombreux. Remporter le match face à l’hystérie extrême droitière du camp sarkozyste risque d’être aussi peu glorieux que la victoire de Chirac en 2002. La marge de manœuvre du futur président sera inexistante.

2012 aura donc été la campagne la plus détestable de la Cinquième. La plus éloignée des préoccupations des Français, des enjeux politiques de fond, et la plus inutile. Car ce qui frappe, dans l’échec du storytelling des deux principaux candidats, c’est à quel point la chambre d’écho médiatique aura tonitrué à vide, incapable de faire bouger les tendances autrement qu’à la marge. On se souviendra de la croyance solidement ancrée dans les pouvoirs magiques du caïd installé à l’Elysée, qu’un papier énamouré de Philippe Ridet déploie jusqu’au ridicule. Jusqu’au bout, la machine médiatique aura tourné pour la bête de scène. En pure perte.

Much ado about nothing. Les jeux étaient faits il y a un an. La campagne n’a fait qu’accentuer la disgrâce des politiques, incapables de dessiner un avenir, et le discrédit du journalisme, dont le rôle se réduit désormais à la stratégie du choc. Qu’ils s’en aillent tous! disait Mélenchon. Mais tous resteront. Une campagne pour rien.

Saboter Wikipedia, ou l'école vengée

Le succès rencontré par l’expérience du prof qui a « pourri le web » (pour piéger ses élèves, Loys Bonod a disséminé de fausses informations sur le web) a le goût de la vengeance. Il révèle un monde scolaire qui n’a toujours pas assimilé la révolution numérique, et qui continue de percevoir comme une dangereuse concurrence la diffusion non institutionnelle de la culture, dont Wikipédia reste le symbole honni. Humiliés par leur disqualification technique, de nombreux professeurs savourent le retournement des armes du web (anonymat, libre contribution…) contre lui-même, et apprécient comme de justes représailles la compétence digitale du prof justicier.

Le plagiat a bon dos. Proposer des sujets auxquels on peut répondre par le copier-coller témoigne de l’anachronisme des pratiques évaluatives, qui reposent sur des principes issus d’un monde où l’information était rare et son accès contrôlé. Comme le note Damien Babet, «L’école soumet les élèves à des injonctions contradictoires: pensez par vous-même, répétez ce qu’on dit. Prenez des risques, ne vous trompez pas. Apprenez par cœur, ne plagiez jamais. Ces contradictions sont structurelles, inscrites dans les fonctions ambivalentes de l’institution. D’un côté, on impose aux élèves une culture dominante de pure autorité. De l’autre, on leur demande d’entretenir la fiction selon laquelle cette culture est librement choisie, aimée, appréciée comme supérieure par tous.» Continuer la lecture de Saboter Wikipedia, ou l'école vengée

La conversation il y a cinquante ans

Je n’avais pas encore eu l’occasion de voir le documentaire de Jean Rouch et Edgar Morin, Chronique d’un été (1961). Deux choses surtout m’ont frappé. La première est la précision, presque la préciosité de l’élocution de la plupart des intervenants. L’élocution, la façon de prononcer, est peut-être la part la moins contrôlée, et pourtant l’une des plus indicatives de notre habitus social. Tous les personnages de Chronique d’un été, même les prolétaires, s’expriment comme on parle aujourd’hui dans les familles bourgeoises du XVIe arrondissement.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=dhmAVJ4_x0Y[/youtube]
Continuer la lecture de La conversation il y a cinquante ans