Remarquable exemple de recyclage médiatique de conversation, les interprétations du mème « La France forte » par Libération (21 avril) et Le Nouvel Observateur (26 avril, Serge Ricco) témoignent de la productivité du détournement. Aucune autre affiche n’a produit une telle descendance. Tout se passe comme si le jeu appropriatif du mème avait ouvert l’expressivité de l’image initiale, devenue comme un puzzle à recomposer, une invitation au remix. La reprise en couverture de ces images, au sein d’organes dont le rapport à la culture de l’appropriation reste mesuré, atteste que la reconnaissance du mème est estimée suffisante pour constituer un motif légitime. Continuer la lecture de Consécration du remix
Catégorie : Lhivic
Une certaine inattention
2007-2012, calendrier électoral identique. En haut, une photo des panneaux électoraux de mon bureau de vote, en banlieue parisienne, le 11 avril 2007, 4 jours après le début de la campagne officielle. J’habite un quartier résidentiel: les altérations des affiches restent modestes (voir l’enquête du Lhivic en 2007). Pas d’arrachage ou de lacération violente, mais une présence marquée de graffitis, qui montrent un certain degré d’interaction (cliquer pour agrandir).
En bas, même lieu, cinq ans plus tard, le 17 avril. On est presque une semaine plus loin dans le processus électoral, à cinq jours du premier tour. Pourtant, les affiches sont presque intactes. Un seul tract a été arraché. Difficile bien sûr de transformer en échantillon ces actes individuels non représentatifs. La météo est bien plus fraiche. Mais on ne peut s’empêcher de se demander si cette indifférence pour le matériel électoral n’est pas le symptôme d’une inattention pour le rendez-vous politique.
L'image aide à recycler la conversation
Micro-événement de la campagne: l’un des éditocrates les plus ridicules du PAF se vautre en direct sur France 2 (« Des paroles et des actes », 12 avril 2012, voir le compte rendu de Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts sur Libération.fr).
Revendiquant le non-conformisme de son sarkozysme, il anticipe une réplique négative et répète: «Je vais en prendre plein la gueule demain sur internet».
Je n’ai pas suivi les réactions en ligne à ces déclarations. Mais je peux lire le lendemain les comptes rendus de l’événement sur Le Lab d’Europe 1, Arrêt sur images, NouvelObs.com, LeMonde.fr ou LeParisien.fr, qui intègrent plusieurs éléments de la conversation: sélection de tweets (repérés à partir des hashtags #dpda et #FOG), interventions sur la page Facebook de l’animateur, commentaires en ligne sur Facebook ou L’Express.fr (cités par LeMonde.fr). Continuer la lecture de L'image aide à recycler la conversation
Se faire un film
A l’occasion de la sortie du film Sur la piste du Marsupilami d’Alain Chabat, qui suscite des avis divergents, je remarque cette introduction par Guillaume Defare sur le Plus. Qu’un film soit rêvé avant d’être vu est un ressort crucial de sa prosécogénie, mais il est rare qu’on raconte sa représentation intime, effacée par la confrontation avec l’œuvre. La formule de clôture résume magnifiquement le but du travail imaginaire de la promotion cinématographique. Accessoirement, ce témoignage montre l’inadéquation du terme de « réception », puisqu’il s’agit bien ici d’anticipation, et plus encore, de participation au travail du film (tout ce à côté de quoi Jacques Aumont est systématiquement passé).
«Ça fait longtemps que j’attendais ce « Marsupilami » par Alain Chabat. J’en ai pensé un peu tout et son contraire avant sa sortie: d’abord, j’ai eu peur du syndrome « Astérix au jeux Olympiques », puis je me suis rassuré en me disant que Chabat avait tout de même réalisé la meilleur adaptation de BD franco-belge avec « Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre » (le « Tintin » de Spielberg ne compte pas, n’étant pas vraiment un film live).
Puis, j’ai frémi d’angoisse en repensant à « Rrrrrrr » qui était quand même sacrément nul, et je me suis rassuré en me disant que ce n’était qu’un accident de parcours. Ensuite, je me suis demandé pourquoi ne pas plutôt adapter « Spirou et Fantasio », la BD d’origine du Marsupilami. Enfin, j’ai eu peur pour le visuel du Marsupilami en lui-même, avant d’être rassuré par les petits génies de BUF, la société qui a pris en charge les effets spéciaux du film. Bref, je ne savais pas trop ce que j’allais voir, mais j’avais sacrément envie de le voir.»
Guillaume Defare, « Sur la piste du Marsupilami: à laisser aux tout petits! » 07/04/2012.
La conversation il y a cinquante ans
Je n’avais pas encore eu l’occasion de voir le documentaire de Jean Rouch et Edgar Morin, Chronique d’un été (1961). Deux choses surtout m’ont frappé. La première est la précision, presque la préciosité de l’élocution de la plupart des intervenants. L’élocution, la façon de prononcer, est peut-être la part la moins contrôlée, et pourtant l’une des plus indicatives de notre habitus social. Tous les personnages de Chronique d’un été, même les prolétaires, s’expriment comme on parle aujourd’hui dans les familles bourgeoises du XVIe arrondissement.
[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=dhmAVJ4_x0Y[/youtube]
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"Environ 2750 résultats"
Petite expérience à l’intention de ceux qui citent le nombre de résultats à une requête Google – toujours énorme – comme un argument susceptible de démontrer l’importance du sujet.
Soit le néologisme « prosécogénie« , dont les emplois effectifs sont repérables à ce jour dans exactement 23 sources originales en ligne (ce billet non compris). Google identifie «environ 2750 résultats» pour cette requête. Si l’on feuillette cette liste, celle-ci s’arrête cependant en page 10 à 94 résultats, avec la précision suivante: «Pour limiter les résultats aux pages les plus pertinentes (total : 94), Google a ignoré certaines pages à contenu similaire» (voir ci-dessus, cliquer pour agrandir). Continuer la lecture de "Environ 2750 résultats"
Le paradoxe de Moebius
Décès du dessinateur Jean Giraud, alias Moebius. J’ouvre la page de sa notice sur Wikipedia (voir ci-dessous, à gauche). Puis j’entre la requête « Moebius » sur Google Images (voir ci-dessous, à droite). Cherchez l’erreur (cliquer pour agrandir).
Oui, notre société a un sacré problème avec les images. Et oui, internet a tout changé. J’admire la vaine rectitude de Wikipedia, qui s’efforce de produire une information respectueuse de l’ancien système de protection des industries culturelles. Mais cette pensée où l’image n’est pas une information est désormais caduque. Merci au web de nous montrer quand même celles de Jean Giraud.
Politique de la mémoire
Méditation à partir du billet de François Bon: « mémoire vive contre mémoire vide« , qui réagit à un article de Pierre Assouline dénonçant, pour aller vite, « la désinvolture de l’époque vis-à-vis de sa mémoire », en pointant du doigt l’outil numérique. Je ne résume pas ici la discussion du Tiers Livre, elle est à tiroirs, puisque Assouline cite de Biasi, le « généticien » des textes, qui regrette évidemment la disparition des brouillons – à quoi Bon répond très justement sur le caractère daté de son modèle. Un chercheur qui dit a un auteur comment écrire pour pouvoir préserver sa méthode me paraît en effet signer sa faillite.
Mais la question ne se limite pas à la mémoire de la littérature. Quels que soient les biais ou les erreurs de raisonnement des Assouline/de Biasi, je crois que leur diagnostic est globalement plutôt exact.
Que protègent les droits d'auteur?
Gallimard a menacé hier d’une procédure en dommages et intérêts les éditions électroniques Publie.net, pour la traduction non autorisée par François Bon du Vieil homme et la mer d’Hemingway. L’affaire n’est pas un conflit juridique. C’est un conflit commercial et un abus de position dominante, ce qui explique mieux la tonalité des échanges.
Comme toujours, ceux qui brandissent les règles du droit connaissent bien peu la réalité de l’édition. Les droits exclusifs de traduction sont une drôle de coutume, puisqu’ils ne portent pas sur un texte publié, mais sur toute traduction possible du texte original dans une langue donnée. Que cette règle unanimement pratiquée, qui vise à éviter toute concurrence future au premier acheteur, soit jugée conforme à la loi dit assez à quel point celle-ci est distincte du bon droit.
La photo ne voit que les apparences
Roland Barthes démenti par la progagande. Dans La Chambre claire, le sémiologue écrivait: «Dans la photographie, je ne peux jamais nier que la chose a été là». Ce qui est manifestement une approximation logique: selon Europe 1, les services de l’Elysée ont requis la présence de figurants pour mettre en scène une assistance plus fournie lors d’une visite de chantier du président-candidat.
[youtube width= »500″ height= »330″]http://www.youtube.com/watch?v=BwfYSR7HttA[/youtube]
Confondre le visible et la vérité est une erreur constante des défenseurs de l’authenticité photographique. Pas plus que l’oeil, la photo ne sait distinguer le vrai du faux: ce qu’elle enregistre, ce sont les apparences. Comme le montre un exemple récent où le mécanisme de protection d’un smartphone (évoqué par Sylvain Maresca) est facilement dupé (voir ci-dessus), un outil d’enregistrement visuel ne peut pas faire la différence entre un village Potemkine et une vraie agglomération.
On peut donc proposer de réécrire la sentence de Barthes. «Dans la photographie, je ne peux jamais nier qu’on veut me faire croire à l’authenticité de ce que je vois» me paraît une formule plus adaptée à la description des usages sociaux du médium.