Soit la parution, dix ans après la mort de Pierre Bourdieu, de l’édition de son cours au collège de France, Sur l’Etat, au Seuil. Deux journaux événementialisent cette parution: Mediapart publie une enquête en 3 volets sur l’héritage du sociologue, Libération affiche en couverture le portrait de la star (édition du 5 janvier). Comme de coutume en pareil cas, l’annonce par Sylvain Bourmeau d’«une jolie surprise à la Une de Libération» sur son compte Facebook est saluée par de nombreux « like » et reprises. Ce qui m’intéresse ici est ce que révèle la capacité à susciter l’attention d’une Une esthétique, illustrée d’un beau portrait, comparée à sa version « hard« , décorée seulement de la couverture de l’ouvrage, en vignette.
Quoique les deux contenus éditoriaux occupent dans chaque journal la première place dans la hiérarchie de l’information, la Une-affiche semble susciter plus facilement les commentaires et l’appropriation que les articles de Mediapart. « Classe! », s’exclame par exemple Dominique Cardon devant le signalement de la Une de Libé sur Facebook – réaction qui porte visiblement sur la reproduction de l’image. Comme si la photo de Bourdieu – ou plutôt le choix éditorial de Libé – était en lui-même une forme d’hommage. (Re)voir Bourdieu, pour ceux qui l’ont connu et aimé, à la Une du quotidien, est évidemment une joie. Mais il y a aussi le soupçon que c’est ici l’image qui fonctionne comme un cadeau, comme la vignette Panini, l’image pieuse offerte aux enfants sages, la couverture d’un disque…
En comparaison de la mise en valeur de Mediapart, la Une illustrée l’emporte. Elle n’est pas seulement une manière d’organiser l’information, un véhicule éditorial, un message. Elle a quelque chose de plus: d’être une image, un quasi-objet, qu’on peut partager, apprécier en tant que tel. Quelque chose qui s’offre ou s’achète, un objet du désir, une jolie surprise…