Voter, la rage au cœur

Je n’ai rien entendu. Rien du souffle nouveau qu’impose à l’évidence la litanie des crises des dernières années. A commencer par la critique du volontarisme, méthodiquement détruit par l’expérience Sarkozy. Comment peut-on encore sérieusement proférer « je serai le/la président/e de ceci ou de cela »? La plus inaudible dans l’incantation restant Ségolène, mais pas un des candidats socialistes n’a résisté à prendre la pose d’un bonapartisme pourtant exsangue. Qui parlait de 6e République? Je n’ai rien entendu.

J’irai voter tout à l’heure à la primaire, pour le plus à gauche des candidats, pour tenter de peser arithmétiquement sur les orientations futures, mais sans enthousiasme et sans illusions. Non, aucun n’a été à la hauteur de mes attentes – pas plus que Mélenchon ou Eva Joly.

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Steve Jobs, l'informatique comme un des beaux-arts

Son récent retrait le laissait craindre. Steve Jobs est mort à l’âge de 56 ans. Fascinant de voir à quel point cet entrepreneur, de la carrure d’Edison ou de Ford, laisse une empreinte profonde sur nos vies. Même ceux qui vomissent le Mac travaillent dans l’environnement graphique d’Apple, incarné par le bureau et la souris, par lequel Jobs a légué à la Terre entière son goût pour la typo. Du Macintosh, premier ordinateur qui faisait envie, à ses fameuses keynotes en passant par le secret hystérique imposé aux employés, Jobs a promu l’informatique comme une superproduction hollywoodienne, avec la même démesure.

Le match PC/Mac, le plug-and-play, les icônes, les polices, les imprimantes laser, l’OSX, l’iBook, la suite iLife avec GarageBand, iPhoto et iMovie, l’iPod et iTunes, l’iPhone et l’iPad sont autant d’étapes remémorées sans effort, qui ont scandé les vingt dernières années d’innovations toutes plus ébouriffantes les unes que les autres, et ont accompli la métamorphose de l’informatique, passée d’un triste outil de productivité bureautique au support naturel de toutes nos pratiques culturelles.

Après avoir redessiné l’ordinateur personnel, le commerce de la musique et la téléphonie, Steve jobs a fini par faire disparaître l’informatique dans les usages. De quoi se faire haïr à jamais par les puristes de l’outil. Plutôt que la religion de l’outil, Jobs pratiquait celle de l’usager. Plutôt qu’au geek barbu, il pensait à sa mère.

Quatre environnements ont changé nos vies: Apple, le web, Google et Facebook. Quatre environnements qui ont lié comme jamais industrie et culture, et sont chacun marqués par la vocation hégémonique qu’impose la logique industrielle. Des quatre, Apple est sans aucun doute celui qui est resté le plus lié à la signature de son fondateur. L’aventure de l’informatique comme un des beaux-arts est la dernière grande aventure américaine, à laquelle nous avons tous participé. Toutes les heures passées sur nos si belles machines à rêve sont des heures que nous lui devons.

Un Lartigue dans votre iPhone

J’avais analysé il y a quelques années les déformations de la célèbre photo de Jacques-Henri Lartigue intitulée « Grand Prix » (1913, ©AAJHL, voir ci-dessus). On peut aujourd’hui reconstituer l’expérience à l’aide d’un simple iPhone (ou de n’importe quel camphone).

A la manière des appareils photo classiques, celui-ci enregistre l’image verticalement, ce qui évite la déformation des mobiles dont le déplacement est parallèle au plan de prise de vue. Mais l’iPhone est aussi un outil photographique qu’il est facile de tourner dans un sens ou dans un autre, ce qui permet de vérifier que c’est bien la direction horizontale de l’obturation (ou, dans le cas de l’image animée, du balayage vidéo) qui produit les anamorphoses qu’on pouvait observer couramment au début du XXe siècle.

Ci-dessous deux photos réalisées au bord d’une route avec un iPhone tenu horizontalement, orienté à gauche, puis à droite. L’expérience montre que l’amplitude de la déformation s’accroit avec la vitesse du mobile.

Dominique à confesse

J’avais déjà eu l’occasion de noter l’unanimisme remarquable de la presse dans les différentes étapes du traitement de l’affaire DSK. Encore une fois, après l’entretien sur TF1 diffusé hier soir, les quotidiens réagissent avec un bel ensemble dans leurs choix visuels, au diapason d’une qualification qui tourne autour de la confession, de la contrition, de l’aveu et de la faute morale.

Le sourire, qui manifestait, dans les stations précédentes, la reprise de l’avantage, a disparu, au profit d’un air sérieux (on n’ose dire pénétré), dont les variantes légères sont d’autant plus perceptibles (comme celle du Midi Libre, qui choisit de montrer un personnage plus combatif).

Au total, l’opération de com est parfaitement réussie: on est passé mine de rien du registre judiciaire au registre moral, selon un scénario largement éprouvé par le personnel politique (qui ne reconnaît que les fautes qui n’entraînent aucune suite pénale).

Les Aliens sont fatigués

Depuis ce début septembre, je me suis fait embrigader par Caroline Broué pour son émission La Grande Table sur France-Culture (voir ma rubrique « radio« ). Ce qui fait que l’on me demande de temps à autres mon avis sur l’actualité culturelle. Ma dernière perplexité a été mise au menu de l’émission de vendredi prochain (12h55-13h30, avec Ollivier Pourriol et Mathieu Potte-Bonneville): les « aliens » du cinéma ont-ils encore quelque chose à nous dire?

La période récente a été particulièrement nourrie en films d’aliens et de soucoupes: de World Invasion. Battle Los Angeles (Jonathan Liebesman, mars) à Cowboys et Envahisseurs (Jon Favreau, août) en passant par Paul (Greg Mottola, mars), Transformers 3 (Michael Bay, juin) et surtout le très commenté Super 8 (J. J. Abrams, août). On attend également un remake de The Thing (Rob Bottin) en octobre et un The Darkest Hour (Chris Gorak) en décembre.

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La disparition de Nicolas Sarkozy

J’avais signalé au début de l’été la couverture de Match qui montrait Nicolas Sarkozy en costume de bain, aux côtés de Madame. Il est logique de refermer la page des vacances avec celle des Inrocks qui lui fait écho en affirmant: « Les politiques à poil devant la crise ».

Certes, on voit bien que l’original est moins poilu et moins svelte que le corps rajeuni du magazine. Il n’en reste pas moins que la vision d’un président en costume d’Adam constitue un accroc à sa majesté qui aurait pu valoir en d’autres temps, sinon un procès, du moins le grognement d’un Frédéric Lefebvre ou le rappel à l’ordre d’un membre de la majorité.

C’est le silence qui accueille cette image satirique qui intrigue. A un moment où les héros de la primaire socialiste occupent les colonnes et les ondes, on se demande à vrai dire si Nicolas Sarkozy existe encore comme personnage politique pour l’univers médiatique. Scotché au plancher par les sondages, absent des couvertures (à l’exception de celle du Point du 1er septembre, qui ressemble à un adieu), il semble désormais tenir du meuble dans lequel on se cogne plutôt que du porte-drapeau de l’avenir majoritaire.

Avec le recul, mon interprétation politique de la couverture de Match me paraît s’effriter. La pipolisation de l’image du président en bermuda n’était peut-être que le premier signe de sa disparition comme chef politique, l’avant-goût de la privatisation qui attend le papy et futur papa, qui troquera bientôt son habit présidentiel pour les plaisirs simples de la retraite et de la vie de famille.

Saturation des effets

Entendu l’autre jour David Abiker énoncer tranquillement: ce que fait Lady Gaga, c’est de la merde. Même s’il est particulièrement difficile, et peut-être impossible, d’évaluer sereinement les qualités de la production de la Lady, un tel verdict me paraît plus marqué par le préjugé que par l’à-propos. On peut ne pas apprécier ce que fait Gaga, mais ce n’est certainement pas « de la merde« .

Face à un tel monument de construction de la réception, ce qui m’intéresse sont mes propres perceptions et leur évolution. Il s’avère que j’ai noté au moment de sa sortie ce que je pensais de la chanson Téléphone, entendue par l’intermédiaire du clip de Jonas Akerlund. Or, précisément, je n’ai rien entendu du tout. A en juger par ma réaction tout entière focalisée sur l’avalanche des effets visuels, j’en arrivais à nier purement et simplement la composante musicale de cette proposition.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=GQ95z6ywcBY[/youtube]

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Nouvelle critique

Je note au passage, à titre de documentation de l’évolution des pratiques critiques, qu’Arrêt sur Images est allé lire les réactions des spectateurs du « Petit Journal » de Yann Barthès sur Canal + (qui effectuait hier sa rentrée dans une version allongée à 20 mn),  enregistrées sur la page Facebook dédiée (200 commentaires hier, 653 au moment où je rédige ce post) pour évaluer la réception du programme. Appuyé sur quelques citations (« Vraiment naze ! Et clairement pas drôle ! », « On se serait presque cru chez Drucker :/ »), Asi conclut à une réception négative du public, qu’il oppose à la vision beaucoup plus positive des sites spécialisés TVMag et Puremedias.

L'image du bord des routes

Une image de retour de vacances. Le long des autoroutes, de loin en loin, cette ponctuation familière: les panneaux d’information touristique.

Le principe de ces panneaux s’inspire de la signalétique routière. Comme une indication toponymique, l’image légendée signale, sur un mode déictique, la proximité immédiate d’un site remarquable, l’entrée dans une région, voire une spécialité locale.

La proximité avec le langage du code de la route s’étend à l’iconographie. Tout comme les panneaux de signalisation s’ornent de signes génériques et simplifiés, ces dessins qui emploient les mêmes supports sont eux aussi stylisés et uniformisés, dans un monochrome orangé qui leur est propre.

Est-ce une idée que je me fais? J’ai l’impression que ce graphisme évolue et se complique progressivement, en même temps que se multiplient ces indications.

Qui prend la décision de créer ces emblèmes? Qui réalise ces dessins uniques, selon quel cahier des charges? Leur apparition crée à chaque fois une nouvelle réalité jusque là imperceptible (et qui reste souvent invisible si l’on ne quitte pas le réseau routier) – tel ce panneau qui me paraît récent et qui désigne cette entité étrange: « Les jardins de l’Essonne » (voir ci-dessus).

Au croisement improbable de l’iconographie touristique et de la signalétique routière, ces images du bord de route dessinent une cartographie augmentée, partition précieuse qui apporte à sa manière la confirmation du voyage et de ses promesses.

Aliénante fiction (retour sur entretien)

Entretien productif hier avec Martin Quenehen, qui a juré depuis longtemps de me réveiller aux aurores en plein mois d’août pour discuter de blockbusters sur France Culture. Une invitation formulée au début de l’été, qui m’aura incité à accentuer ma consommation de films commerciaux US (je n’aurais sans doute pas été voir Transformers 3 sans cette opportunité).

Les Matins d’été, 16/08/2011 (19 min.).

C’est donc à Martin que je dois deux petites illuminations récentes: 1) la prise de conscience de la relativité de la fiction comme produit parmi d’autres de l’offre culturelle (un point important pour moi qui ait jusqu’à présent articulé mon investigation du phénomène culturel autour de la notion de récit), débouchant notamment sur l’opposition symétrique divertissement/culture et sur l’idée d’une (sur)valorisation de la signification en régime culturel; 2) la découverte (via l’expérience d’une exposition sur Rue89) que la virulence des commentaires des fans de blockbuster, et particulièrement leur disqualification de la signification, correspond à une véritable revendication culturelle, une opération de distinction paradoxale. Qui a dit que les circulations médiatiques n’étaient pas profitables?

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