Que protègent les droits d'auteur?

Gallimard a menacé hier d’une procédure en dommages et intérêts les éditions électroniques Publie.net, pour la traduction non autorisée par François Bon du Vieil homme et la mer d’Hemingway. L’affaire n’est pas un conflit juridique. C’est un conflit commercial et un abus de position dominante, ce qui explique mieux la tonalité des échanges.

Comme toujours, ceux qui brandissent les règles du droit connaissent bien peu la réalité de l’édition. Les droits exclusifs de traduction sont une drôle de coutume, puisqu’ils ne portent pas sur un texte publié, mais sur toute traduction possible du texte original dans une langue donnée. Que cette règle unanimement pratiquée, qui vise à éviter toute concurrence future au premier acheteur, soit jugée conforme à la loi dit assez à quel point celle-ci est distincte du bon droit.

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Puritanisme visuel vs érotisme de contrebande

Prolongement de la discussion d’hier à La Grande Table avec Geneviève Brisac et Pascal Ory, qui tenait absolument à nous convaincre de « l’érotisation de la Saint-Valentin« , avec un souvenir ému pour les amoureux de Peynet.

A quoi je répondais qu’il me semblait plutôt distinguer un écart grandissant entre:

1) une érotisation de contrebande, dans les produits culturels ciblant le marché jeune et masculin – clips musicaux, blockbusters, jeux vidéos, comics –,  caractérisée par une forte présence de bimbos hypersexuées, mais toujours suffisamment vêtues pour passer entre les gouttes de la censure, soit une vision plutôt adolescente d’une sexualité cachée ou sous-entendue;

2) une impossibilité à mettre une image sur les sujets du sexe-loisir, pratique récréative légitime du couple qui fait l’ordinaire des féminins et, depuis moins longtemps, des mag sociétaux branchés.

Ci-dessus deux exemples piochés au hasard dans les derniers articles de Slate.fr, un pure player qui s’intéresse à nos divertissements privés, et qui associent typiquement à des titres des plus explicites (« Chez l’homme, éjaculer c’est jouir?« , « Sexe: mon manifeste pour le mal baiser« …) de gentilles vignettes d’une étrange discrétion.

Sorti du territoire de la pornographie, cadenassé par l’interdit moral et sociétal, on peut parler sexualité, mais toujours pas la montrer… Voilà qui me paraît un sujet d’enquête approprié pour analyser les distorsions entre l’image et son référent, qui témoigne d’un puritanisme visuel plus marqué que ne le pense Pascal Ory.

Guéant, ouvrier de l'implicite

Alors, Guéant, raciste ou pas? Le plus intéressant dans cette affaire qui ne fait pas un pli, ce sont les hésitations et les doutes à gauche. Qu’est-ce qu’une civilisation? Vérifions dans le Robert. Ou pire: renvoyons dos à dos Guéant et Letchimy, comme si le point Godwin était devenu l’alpha et l’oméga de la pensée critique.

Si l’on en croit les laborieuses justifications du ministre, encore répétées aux Antilles, celui-ci se bornait à exprimer l’idée que la démocratie, c’est mieux que la tyrannie. Ben voyons. Et pourquoi pas qu’il vaut mieux être riche et bien portant que pauvre et malade? Du coup, on s’explique mal pourquoi les hiérarques accourus à son secours tenaient tant à préciser que «Claude Guéant n’est pas raciste» ou que «Claude Guéant est un républicain». Ça vous viendrait à l’esprit d’évoquer le racisme à propos d’un éloge des droits de l’homme? Continuer la lecture de Guéant, ouvrier de l'implicite

Antiquité du point Godwin

Selon de nouveaux documents d’archives (voir ci-dessus), Atlantico a découvert que le point Godwin existait avant la Deuxième guerre mondiale – sinon de toute éternité. La référence à la tragédie nazie serait une caractéristique anthropologique primitive, un réflexe cognitif élémentaire.

C’est du moins la démonstration que me propose d’effectuer ce site archéologique bien connu, pour demain matin, en échange de la publication de ma photo et de la promotion par hyperliens de mes derniers ouvrages. Tu voudrais pas en plus qu’on te paye pour écrire l’article qu’on te commande?
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La photo ne voit que les apparences

Roland Barthes démenti par la progagande. Dans La Chambre claire, le sémiologue écrivait: «Dans la photographie, je ne peux jamais nier que la chose a été là». Ce qui est manifestement une approximation logique: selon Europe 1, les services de l’Elysée ont requis la présence de figurants pour mettre en scène une assistance plus fournie lors d’une visite de chantier du président-candidat.

[youtube width= »500″ height= »330″]http://www.youtube.com/watch?v=BwfYSR7HttA[/youtube]

Confondre le visible et la vérité est une erreur constante des défenseurs de l’authenticité photographique. Pas plus que l’oeil, la photo ne sait distinguer le vrai du faux: ce qu’elle enregistre, ce sont les apparences. Comme le montre un exemple récent où le mécanisme de protection d’un smartphone  (évoqué par Sylvain Maresca) est facilement dupé (voir ci-dessus), un outil d’enregistrement visuel ne peut pas faire la différence entre un village Potemkine et une vraie agglomération.

On peut donc proposer de réécrire la sentence de Barthes. «Dans la photographie, je ne peux jamais nier qu’on veut me faire croire à l’authenticité de ce que je vois» me paraît une formule plus adaptée à la description des usages sociaux du médium.

Portrait de candidat en vainqueur

Un discours peut-il tout changer? Magie des campagnes, ce moment où le verbe semble doté d’un pouvoir performatif sur les choses – si différent du cours habituel de l’exercice politique, où la volonté a tant de mal à se traduire en actes. Cinq ans après le discours du 14 janvier 2007, par lequel Nicolas Sarkozy donnait le coup d’envoi d’une dynamique victorieuse, le discours du Bourget de François Hollande lui répond mot pour mot.

On dit le candidat socialiste calé sur le modèle mitterrandien. Pourtant, son image qui se détachait sur fond bleu, cette combinaison des drapeaux européen et français, les allers-retours de Louma dignes d’une finale de la Nouvelle Star à Baltard, les perspectives sur la houle des banderoles et des fanions rappelaient surtout le précédent des grandes mises en scènes sarkoziennes.

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MegaUpload: comment se perdent les guerres culturelles

Mégaramdam autour de la fermeture manu militari d’une plate-forme d’échange de fichiers coupable du délit de contrefaçon. Comme l’explique Jérémie Zimmermann, on peut n’avoir aucune sympathie pour ces pratiques et s’étonner de la disproportion de la réaction judiciaire (et j’ajoute: de la réponse médiatique).

Cette disproportion été interprétée comme un signal adressé aux industries du copyright. Elle est aussi la manifestation la plus tangible d’une guerre culturelle perdue.

Dans ses réflexions sur la formation de l’imaginaire des sociétés modernes (Imagined Communities, 1983), Benedict Anderson rappelle le rôle joué par l’imprimerie à la Renaissance dans la reconfiguration des hiérarchies culturelles. En favorisant une « révolution du vernaculaire », cette nouvelle technologie devient le canal privilégié de la diffusion des idées de la Réforme.

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Douce France (qu'est-ce que la culture générale?)

Sciences-po a annoncé en décembre la suppression de l’épreuve de culture générale à l’écrit (mais pas à l’oral) de son concours d’entrée à partir de 2013.

S’ensuit une polémique, alimentée surtout à droite, dont les participants eux-mêmes reconnaissent qu’elle est très franco-française. Sciences Po est une institution symbole de la formation des élites. La culture générale est perçue comme menacée. Sur Causeur, la réactionnaire Elisabeth Lévy relie cet abandon à la conquête des places par les jeunes issus de l’immigration ou les étudiants étrangers. La messe est dite: en supprimant l’examen de culture gé, c’est à la France que Sciences Po donne un coup de poignard dans le dos.

A quoi sert la CG? Ce matin, sur France Inter, Pascale Clark a jugé bon de réveiller un fossile vivant de ce patrimoine géologique: Philippe Sollers. Qui bredouille une réponse incompréhensible en imitant vaguement le phrasé de Mitterrand. Tout est dit. On ne sait pas ce qu’est la culture gé, ni à quoi elle peut bien servir – sauf à reconnaître ceux qui n’en sont pas.

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L'art n'a pas de prix (mais le musée d'Orsay doit boucler son budget)

Je les ai manquées… J’étais dernièrement au musée d’Orsay – mais malheureusement pas le jour du tournage de la pub Etam… Dommage que Christophe Girard, le préposé municipal à la culture adjointe (et accessoirement ennemi de la photo au musée), ne nous ait pas donné son sentiment sur cette forme de distraction industrielle.

J’allais plus platement visiter l’exposition « Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde« , de Stephen Calloway, Lynn Federle Orr et Yves Badetz, qui ferme ses portes le 15 janvier. Belle proposition muséale, qui présente l’intérêt de reconstituer l’esprit d’une époque et d’une société, à travers un ensemble cohérent d’œuvres des beaux-arts mais aussi des arts décoratifs. Une association qui manifeste l’empreinte de classe de l' »aesthetic movement« , divertissement réservé à une élite de privilégiés. Plutôt qu’un musée, l’exposition donne l’impression de visiter un magasin d’antiquités, où il ne manque que l’étiquette du prix aux objets présentés. Un fauteuil, un buffet, une assiette, tous les objets du quotidien portent de manière inévitable la connotation de leur valeur économique, que l’on estime au doigt mouillé à comparaison de son propre équipement mobilier.

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L'aprésident

Ça y est, c’est fini. Le soi-disant président pas encore candidat est en réalité tout entier candidat et déjà plus président. TVA sociale, taxe Tobin, commémoration de Jeanne d’Arc…: avec le mélange typique d’accélération du rythme, de signaux clientélistes et d’effets de contre-pied qui font l’ordinaire du Sarkozy en campagne, le Clausewitz de l’Elysée met clairement les outils de la présidence au service de sa réélection. Plutôt que sur un bilan qu’il sait calamiteux, plutôt que sur l’annonce improbable de projets inexistants, le candidat de la majorité a choisi de tout miser sur un activisme instantané, étrange programme qui a l’avantage de le présenter sous son meilleur jour devant les caméras – mais le gros défaut de postuler un électorat doté d’une mémoire de poisson rouge.

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