Lady Gaga killed the music star

Du temps du Scopitone, les petits films de variétés n’étaient qu’un produit dérivé de la chanson. Avec MTV, qui installe le format du clip musical, la relation entre ces deux volets de l’industrie du disque devient plus étroite et plus complexe. Mais la diffusion gratuite de Thriller par les chaines de télévision reste un support de promotion étroitement lié à l’album éponyme du King of pop. Musique et spectacle sont dans le même bateau.

En affichant l’ambition d’une superproduction, avec Jonas Akerlund dans le fauteuil de John Landis, « Telephone », la nouvelle vidéo de Lady Gaga, diffusée sur YouTube (12 millions de vues depuis vendredi), propose une nouvelle étape. Ici, il est clair que la chanson n’est plus qu’un support destiné à agrémenter la présentation d’une galerie d’images choc, comme l’illustration musicale d’un défilé de mode.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=GQ95z6ywcBY[/youtube]

Poussant au bout la logique testée par Madonna, le Lady Gaga look and feel met le format du vidéo clip tout entier au service de l’imagerie. Une imagerie constamment au second degré, dont le modèle de référence est moins l’esthétique cinématographique que la permanente recherche d’effets de style des magazines de mode. Un art qui n’est plus celui du montage ni de la citation, mais celui du défilé des images et de la stupéfaction. Un art que Lady Gaga, phénomène pop, incarne à la perfection.

Qui a peur du réchauffement?

walter

Sylvestre Huet s’est amusé à produire une carte météo de prévision du climatoscepticisme. Ca fait déjà un moment que je me dis que l’hiver 2009-2010 – plutôt froid dans les régions où le « réchauffement planétaire » (global warming) figure au top ten de l’agenda médiatique – est le pire ennemi d’un récit qui prédit la montée des températures. Les gens cultivés savent bien qu’il y a une différence entre météorologie et climatologie – que les variations locales n’ont pas de signification à l’échelle des évolutions globales du climat. Mais la carte de Sylvestre Huet montre que cette affirmation scientifique pèse de peu de poids face à la sensibilité la plus immédiate et à la facture du chauffage.

Ainsi qu’en témoigne exemplairement une affiche du concours étudiant du festival de Chaumont (Alice Walter, école des Beaux-arts de Rennes, 2007, voir ci-dessus) qui se voulait au second degré, le problème du réchauffement, c’est qu’il ne fait pas vraiment peur aux habitants des zones tempérées. Il est probable que la plupart d’entre eux (Floride et côte d’Azur mis à part) ne verraient pas d’un mauvais œil leur thermomètre remonter de quelques degrés.

La perspective du réchauffement paraît difficile à transformer en menace tangible. Un téléfilm français (Les Temps changent, Marion Milne, Jean-Christophe de Revière, 2008) a tenté d’illustrer à grand renfort de sauterelles l’assèchement du sud de la France, sans réussir à nourrir l’inquiétude. Le premier blockbuster à exploiter la thématique de la catastrophe climatique (Le jour d’après, Roland Emmerich, 2004), proposait au contraire une inversion du schéma. Plutôt que d’affoler par le chaud, le dérèglement climatique y provoquait une vague d’un froid polaire, plus spectaculaire et plus effrayante qu’une hausse des températures.

C’est idiot, diront les climatoconvaincus – oubliant que le thème du réchauffement ne s’est véritablement installé dans l’agenda médiatique qu’à la faveur d’une série d’étés particulièrement chauds, depuis 2003. Le risque est réel que quelques hivers froids enterrent le sujet – aussi longtemps qu’une meilleure pédagogie des enjeux ne sera pas proposée.

Des images pour salir l'image

De retour de Suisse, où j’ai été confronté pour la première fois aux nouveaux paquets de cigarettes illustrés d’avertissements visuels. L’impression est violente. Comme le notait avec justesse Béat Brüsch sur Mots d’images, le phénomène est sans précédent: «Imaginez un produit à consommer, en vente libre, dont la moitié de la surface de l’emballage vous dit qu’il est mortel!»

Pas le temps d’un billet développé, on y reviendra en séminaire le mois prochain. Mais le cas est passionnant car, dans le long combat (près d’un siècle) contre l’industrie du tabac, l’image n’avait jamais joué un rôle déterminant ((cf. Robert L. Rabin, Stephen D. Sugarman (dir.), Regulating Tobacco, Oxford University Press, 2001.)). La construction imaginaire était plutôt située du côté des cigarettiers – puissamment appuyés par le cinéma. Est-ce à cause de cette forte occupation du terrain iconique que la stratégie des « antis » avait jusque-là privilégié l’information scientifique et le lobbying politique? D’autres campagnes de santé publique, comme celle contre l’alcoolisme en France à la fin du XIXe siècle, ont pourtant utilisé l’image, notamment dans son volet pédagogique ((cf. Michael R. Marrus, « L’alcoolisme social à la Belle Epoque », Recherches, n° 29, décembre 1977, p. 285-314.)). Quoiqu’il en soit, le choix de l’OMS d’imposer des messages visuels sur le corps même du délit constitue un tournant.

Une telle stigmatisation vise moins à propager une information qu’à s’attaquer à ce qui reste de l’image positive de la cigarette, notamment chez les plus jeunes (dont la consommation de tabac aurait augmenté ces dernières années). Salir le geste même de fumer, par association répétée d’une icône repoussante, est une tactique originale qui interroge au plus profond les théories de l’efficacité de l’image. On y revient dès que possible.

Photoshop 20th anniversary. Startup memories

In this documentary, the founders of Adobe Photoshop – John Knoll, Thomas Knoll, Russell Brown, and Steve Guttman – tell the story of how an amazing coincidence of circumstances, that came together at just the right time 20 years ago, spawned a cultural paradigm shift unparalleled in our lifetime. (17:49, 02/18/2010), consulter: http://tv.adobe.com/…

Comment le visuel deviendra grand

Impeccable démonstration de Patrick Peccatte sur l’usage pour la recherche en études visuelles des nouvelles possibilités de l’archivage intégral sur Google Books. Il faut relier ce billet à la critique justifiée que faisait Audrey Leblanc du support microfilm pour comprendre à quel point tout ce que décrit le chercheur n’a jamais été possible à partir de l’outil d’archivage qui reste aujourd’hui encore le vecteur privilégié de l’accès à la presse – et donc à l’image d’illustration. Ou pourquoi les visual studies sont restées si longtemps dans l’enfance.

Oui, les conditions matérielles d’accès à la mémoire visuelle sont décisives pour la conception même de la recherche. Parce que travailler sur l’image est travailler sur les relations entre les images, et parce que ces relations, nulle métadonnée n’est encore capable de les isoler. Parce que travailler sur l’image se fait, comme au temps de Winkelmann, avec l’œil et la mémoire, oui, trois fois oui, la taille des illustrations et la facilité de circulation au sein du corpus, qui permet de comparer des images entre elles, sont des conditions essentielles de l’analyse. Ce que nous font entrevoir les modes de consultation des magazines sur Google Books est sans précédent. Seuls ceux qui n’ont jamais effectué de recherche en matière visuelle y resteront insensibles.

Star Wars, ou la nostalgie de l’avenir

« Impossible à prédire est l’avenir », énonce dans son baragouin le sage Yoda. Tu ne crois pas si bien dire. « Il est tout pourri son hologramme », assènent mes fils dans un français guère plus correct. Dans Star Wars, en effet, les projections holographiques tressautent comme de bonnes vieilles images vidéo noir et blanc des années 1950. Une figure de style typique du réalisme lucasien, qui consiste à « salir » la représentation pour la rendre plus crédible.

Problème: la manifestation du « bruit » de la transmission reproduit un effet de sautillement caractéristique du signal électronique, qui a totalement disparu des écrans. Plus habitués à l’affichage à retardement de quelques paquets de pixels, trace d’une inhomogénéité de diffusion, mes enfants n’ont jamais vu l’image qui leur permettrait de comprendre ce clin d’œil référentiel, issu du passé de George Lucas.

On l’avait déjà vu avec les androïdes de Blade Runner, rien ne vieillit plus vite que l’avenir.

L'iPad ou la consultation

Hubert, voici la réponse à ta question d’hier. L’iPad est un outil tout entier dédié à la consultation, un parfait compagnon de train ou d’avion. Le premier qui réunit vidéo et livres, presse et jeux: tout l’univers de nos industries culturelles, dans un format confortable. Avec une touche d’interaction – la disponibilité d’un clavier – pour améliorer nos circulations et documenter nos consultations. Avec surtout la connexion permanente, wifi ou 3G, qui permet de relier ce super-lecteur à nos bibliothèques dans les nuages, et annule toute velléité de collection. L’offre en VOD est encore un peu short, et il manque évidemment la webcam, mais ces défauts ne tarderont pas à être corrigés (mon conseil: attendre la 2e version). L’objet révèle l’abandon de la fiction du user generated content et raconte le retour des contenus numériques dans l’ample sein des industries culturelles. De l’ancien programme du web 2.0, dans quelques années, il ne restera finalement que la pratique photo, la conversation des réseaux sociaux, et une touche de search.

Naissance d'une illustration

Jeune étudiant, mon premier vrai métier a été celui de secrétaire de rédaction pigiste à la Comédie-Française, où je secondais Jean-Loup Rivière dans la publication des organes maison. J’ai eu la chance d’y travailler en étroite collaboration avec le graphiste Jacques Douin, connu notamment pour ses couvertures de la collection J’ai Lu.

Je garde le souvenir très précis du jour où j’ai compris ce qu’était une illustration. C’était en 1986, nous préparions le numéro de la Gazette du Français consacré à la présentation de la saison suivante. Parmi les photos de scène, un portrait par Enguerand de Roland Bertin dans son costume de mamamouchi (Le Bourgeois gentilhomme, mise en scène de Jean-Luc Boutté).

Photoshop n’existait pas, la maquette se faisait encore à la colle et aux ciseaux. Et je revois maître Jacques, armé d’un pot de gouache blanche, repasser avec soin sur les contours de l’énorme chapeau, puis masquer le bas de la photographie. Faire apparaître une autre image, dessinée par son imagination, qui n’existait pas la minute d’avant.

Comme toutes les publications, la forme achevée de la couverture montre cette image tout en masquant le travail d’invention qui la crée. Pour l’apercevoir, il fallait être dans l’atelier, un soir de printemps, et regarder silencieusement la naissance d’une illustration.

(Extrait de la présentation, « Outils et problématiques de recherche« , masterclass Lhivic-Paroles d’images, 22/01/2010).

Mythologie des amateurs, 2004-2009

Haïti: dès le début, un flot d’images. Pourtant, pour la première fois, la thématique de la production visuelle par les amateurs n’a pas fait recette (on a plutôt observé le développement d’une critique interne de l’usage médiatique des documents de provenance privée, qui signifiait à sa manière que cette catégorie était réintégrée parmi les sources « normales », qu’il appartient au journaliste de gérer). On percevait déjà un affaiblissement de ce récit lors des manifestations iraniennes de juin 2009, largement balancé par la curiosité pour un autre phénomène médiatique: la circulation des informations via Twitter.

Comme je l’indiquais en décrivant l’une des principales étapes de la fondation de ce récit, celle des attentats de Londres de 2005, il est désormais clair que « l’intrusion des amateurs » est une mythologie, une construction médiatique, qui débute avec Abou Ghraib et se clôt avec Neda.

J’ai tenu sans le savoir la chronique de ce métarécit, depuis ses origines. L’histoire n’est pas fonction de l’éloignement dans le temps, elle apparaît à l’instant où un phénomène cesse d’appartenir au présent. Ou plus précisément: on peut commencer à faire de l’histoire dès qu’un métarécit se périme. Dans cette période d’extraordinaire accélération de la production des récits, nous ne cessons de produire de l’histoire, nous fabriquons du passé à cent à l’heure.

Le secret de l'oeuvre d'art

Le système narratif de Dan Brown est désespérant. Sous le lourd appareil ésotérique qui forme décor, il n’y a qu’un vulgaire jeu de piste. La mécanique du détective novel réduite à sa plus simple expression – litanie d’énigmes comme un clou chassant l’autre.

Mais pour le visualiste, ses romans présentent une particularité non dénuée d’intérêt: celle de mettre en scène, au cœur de ce dispositif de quasi-jeu vidéo, quelques icônes fameuses. Le Da Vinci Code (2004) situait dans La Cène et La Joconde quelques-unes des clés essentielles à la révélation de l’union de Jésus avec Marie-Madeleine. Le Symbole Perdu (2009) va chercher dans la Mélancolie de Dürer le carré magique qui permettra de décrypter le message caché.

Faire jouer à Léonard ou à Dürer le rôle de guide dans une saga à la Indiana Jones peut faire sourire. Le recours à ces figures relève sans doute d’un effet de couleur locale, où la mobilisation d’un référent ultra-connu produit une impression de « culture ressentie » particulièrement gratifiante pour le lecteur.

Un roman qui invite à relire Arasse ou Panofsky ne peut pas être complètement mauvais. Mais au-delà de l’usage très fonctionnel qu’il fait des œuvres, je trouve intéressant de voir comment de vieux points de repère de la culture lettrée peuvent être repris et partiellement revitalisés par l’industrie culturelle. Après tout, l’idée que les chefs d’œuvres les plus célèbres abritent des secrets, à la manière de la lettre volée de Poe, n’est pas qu’un truc de roman-feuilleton: c’est le moteur de l’histoire de l’art, qui carbure au décryptage toujours recommencé des œuvres. A se demander pourquoi cet art de l’interprétation n’est pas plus populaire aujourd’hui.