De retour de Suisse, où j’ai été confronté pour la première fois aux nouveaux paquets de cigarettes illustrés d’avertissements visuels. L’impression est violente. Comme le notait avec justesse Béat Brüsch sur Mots d’images, le phénomène est sans précédent: «Imaginez un produit à consommer, en vente libre, dont la moitié de la surface de l’emballage vous dit qu’il est mortel!»
Pas le temps d’un billet développé, on y reviendra en séminaire le mois prochain. Mais le cas est passionnant car, dans le long combat (près d’un siècle) contre l’industrie du tabac, l’image n’avait jamais joué un rôle déterminant ((cf. Robert L. Rabin, Stephen D. Sugarman (dir.), Regulating Tobacco, Oxford University Press, 2001.)). La construction imaginaire était plutôt située du côté des cigarettiers – puissamment appuyés par le cinéma. Est-ce à cause de cette forte occupation du terrain iconique que la stratégie des « antis » avait jusque-là privilégié l’information scientifique et le lobbying politique? D’autres campagnes de santé publique, comme celle contre l’alcoolisme en France à la fin du XIXe siècle, ont pourtant utilisé l’image, notamment dans son volet pédagogique ((cf. Michael R. Marrus, « L’alcoolisme social à la Belle Epoque », Recherches, n° 29, décembre 1977, p. 285-314.)). Quoiqu’il en soit, le choix de l’OMS d’imposer des messages visuels sur le corps même du délit constitue un tournant.
Une telle stigmatisation vise moins à propager une information qu’à s’attaquer à ce qui reste de l’image positive de la cigarette, notamment chez les plus jeunes (dont la consommation de tabac aurait augmenté ces dernières années). Salir le geste même de fumer, par association répétée d’une icône repoussante, est une tactique originale qui interroge au plus profond les théories de l’efficacité de l’image. On y revient dès que possible.