Création de récit (2): Le Point sonne la fin de la lepénisation visuelle

Ca faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Sarkozy souriant – du moins en couverture des magazines. Avec son n° du 7 octobre, Le Point sonne la fin de la séquence de « lepénisation visuelle » du président. Une belle image de couverture, composée par un portrait choisi avec soin pour son sourire teinté de gravité, qui fait ressortir les rides et les cheveux gris d’un président qu’on peut imaginer prématurément vieilli par les soubresauts de l’été (une image réalisée par Jean-Baptiste Vernier (JBV News) à l’occasion de la réception de Benjamin Natanyahou à l’Elysée le 27 mai 2010), mais qui présente la particularité d’avoir été détouré et collé sur un fond dont le dégradé automnal est une création du graphiste. Une retouche inhabituelle pour un portrait d’homme politique, qui apporte la preuve du caractère progagandiste de l’exercice.

Pas le temps de me lancer dans l’analyse iconographique de l’article « Comment il prépare sa revanche », co-signé Anna Caban, Saïd Mahrane et Sylvie-Pierre Brossolette, qui a visiblement beaucoup à se faire pardonner, mais il s’agit d’un cas d’école de construction éditoriale, dont l’iconographie n’est composée que d’images « positives » d’un président souriant, au travail, au contact des Français, etc. Une création de récit digne de l’ancienne RDA, qui manifeste que l’Elysée a décidé de refermer la longue parenthèse de l’été sécuritaire, pour repêcher un président enfoncé au plus bas des sondages par ce choix désastreux. Mais qui confirme aussi à quel point un récit se construit avec des images – ou plus exactement: des suggestions visuelles.

Une planète de rêve

Alarmé par la sombre perspective du changement climatique et autres catastrophes écologiques, mon fils de douze ans a eu l’autre jour une idée lumineuse. Et si on quittait la Terre? Il suffirait de trouver une autre planète pour accueillir l’humanité et repartir à zéro. Désolé, mon chéri, mais tu vois, cette idée-là, elle n’est pas toute neuve. Pendant longtemps, la planète à coloniser s’est appelée Mars. Et puis on s’est aperçu que ça ne marcherait pas. Trop inhospitalier, trop loin, trop cher. Pas possible cette fois-là de rejouer le scénario du far-west. Il a fallu se faire à l’idée qu’on allait rester sur notre bonne vieille Terre, et qu’il faudrait en prendre soin.

Ce qui ne faisait pas l’affaire de la machine à rêves. Mars n’était pas sitôt sortie du jeu qu’on a inventé l’exoplanète. Entendons une planète, de préférence tellurique, située hors du système solaire. Personne ne dit plus qu’on pourrait y aller un jour, même lointain. Mais dans les recoins du néocortex, des connexions s’effectuent en dépit du bon sens. Le désir d’un asile cosmique est trop fort pour qu’on refuse de lui donner forme – fut-ce celle du rêve.

Et c’est ainsi que je trouve ce matin, en illustration de l’article de Sylvestre Huet « Gliese-581-G, exoplanète habitable? » ce qui s’appelle une « vue d’artiste », et qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la planète bleue.

Un bon journaliste sait mettre en scène l’information: «Les astrophysiciens ont-il trouvé leur première exo-planète habitable? C’est à dire où l’eau pourrait être liquide… Peut-être, et il faudra de longues années avant de lever le doute.» Pourtant, quelques lignes plus bas, le doute est vite balayé: trop proche de l’étoile, Gliese-581-G lui montrerait toujours la même face, ce qui n’est pas un pronostic favorable. Qu’importe! Moyennant un titre assorti d’un point d’interrogation, par la grâce d’une « vue d’artiste » improbable, le lecteur aura eu quelques secondes de rêve, et c’est tout ce qui compte.

Newsweek: tout est dans l'image

Gros buzz autour de la couverture de la dernière livraison de Newsweek (datée du 04/10/2010), signalée notamment par Le Monde.fr. Une interprétation graphique par le couple d’illustrateurs Gluekit à partir d’une photo très recadrée d’Olivier Hoslet (EPA) donne un petit air de dictateur roumain au visage du président français, qui illustre le titre: «Le nouvel extrémisme européen. Sarkozy et la montée de la droite dure» («Europe’s New extrême. Sarkozy and the rise of the hard right»).

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Candidat au mème

Un fou-rire communicatif s’est emparé de Hans-Rudolf Merz, lors d’une intervention au Conseil national suisse, le 20 septembre dernier, au moment de détailler l’improbable explication de ses services sur les importations de viande séchée des Grisons. Repris et déjà remixé en ligne, l’extrait a été repéré par le journaliste Michel Mompontet, qui l’a assaisonné de faux sous-titres moquant les bourdes récentes du gouvernement français dans la dernière édition du 13h15 de France 2 (voir ci-dessous).

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=A_I99qsnAmI[/youtube]

Le succès viral de cette séquence, isolée et reproduite en ligne, s’appuie sur les mêmes ingrédients que les parodies de La Chute d’Oliver Hirschbiegel: une sortie de route que la méconnaissance de l’allemand rend comique se prête avantageusement à l’exercice du détournement.

Un changement de statut absolu

«Les femmes ont connu une aventure humaine incroyable depuis cinquante ans, un changement de statut absolu. Or, je ne vois pas comment les femmes peuvent changer sans changer les hommes… Est-ce que l’on va continuer à dire que les femmes sont formidables et qu’elles vont gérer la société en laissant aux garçons la bière et le foot? Continuer ainsi, c’est transformer le féminisme en un nouveau sexisme. Or, combattre un groupe sexiste par un autre groupe sexiste n’est pas un progrès. Il me semble plus intéressant de réfléchir au nouveau statut des hommes. L’ancien statut reposait sur la violence, celle du quotidien ou celle des guerres. L’homme devait être violent pour être prêt à se défendre et défendre les siens. Aujourd’hui, la violence n’est plus une vertu masculine. Dans notre culture, elle est devenue un outil de destruction. Du couple, de la famille et des hommes eux-mêmes. Du coup, l’«héroïsation» des hommes n’a plus de sens. D’ailleurs, c’était une mauvaise affaire pour les femmes, parce qu’elle légitimait leur domination. D’où la nécessité, après le féminisme, d’inventer le « masculinisme ».»

(Montage d’un visuel de la campagne de promotion du football féminin par la FFF avec une citation de Boris Cyrulnik piquée chez Olympe et le plafond de verre…)

MàJ: lire chez Kalista, « Un clou chasse l’autre« , Journal en noir et blanc, 25/09/2010.

Au secours (catholique) de l'illustration

Le site du Secours catholique a utilisé récemment une de mes photos pour illustrer un billet, comme l’y autorise la licence Creative Commons sous laquelle cette image est enregistrée.

Comme toutes les images que je télécharge sur mon compte Flickr, celle-ci servait d’abord un but personnel (en l’occurrence, faire savoir discrètement à quelques amis, lecteurs de mon flux, que je passais par un moment de cafard), et n’avait pas vocation à fournir un matériel illustratif dans un contexte médiatique externe.

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En image seulement tu outrageras

« Y a plus aucun respect ». C’est pas moi qui le dit, mais un internaute qui n’a visiblement pas voté Ségolène, en commentaire d’une reproduction de la couverture sarkophobe du Nouvel Obs du 9 septembre 2010.

On ne saurait mieux caractériser le virage d’un grand nombre d’organes de presse français depuis le discours de Grenoble. C’est notamment le cas du Monde, qui a connu une évolution spectaculaire en l’espace de quelques mois, mais aussi du Nouvel Observateur ou du Point, qui avaient conservé jusqu’à récemment les marques les plus élémentaires du respect à l’égard du président, fut-il controversé.

La perte du respect s’exprime par le passage à l’insulte. Insultants, les rapprochements avec le nazisme, le pétainisme ou le lepénisme. Insultantes, les images grimaçantes, les emprunts à l’imagerie militante, les allusions au salut hitlérien (voir ci-dessus).

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Le Nouvel Obs recycle La France d'après

Nouvelle étape de la lepénisation visuelle de Nicolas Sarkozy. Après les grimaces inquiétantes, après le salut hitlérien, le Nouvel Obs opte pour le recyclage de l’imagerie militante.

Pour sa couverture intitulée « Les riches, le pouvoir et la droite » (n° 2391 du 02/09/2010) illustrée d’un billet de cinq cent euros portant le visage du président, l’hebdo s’était inspiré d’un motif similaire d’un tract du NPA de juillet dernier (voir ci-dessous).

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Donnez-nous aujourd'hui la photo de demain

Contrairement à ce que prétend la doxa de l’information, on ne lit pas le journal pour savoir ce qui est arrivé hier, mais bien pour deviner ce qui va nous arriver demain. Qui sera le prochain premier ministre? Qui d’Aubry ou de DSK représentera le PS? Sarkozy va-t-il être réélu? L’une des motivations fondamentales de la consommation de l’info est d’y chercher les clés de l’interprétation du futur. Libération applique à la lettre ce principe en publiant aujourd’hui la photo qui devrait théoriquement illustrer la Une dans deux jours, au lendemain de la manifestation contre les retraites.

Cette contorsion éditoriale est légitimée par une mise en scène aussi astucieuse qu’hypocrite: on prend une photo de la manif de samedi dernier contre la politique sécuritaire du gouvernement, on sous-titre en mêlant « Retraites, affaires, et Roms« , et le tour est joué! En texte comme en images, la Une est une projection qui donne rendez-vous à demain, en prédisant la « Poussée de fièvre« …

Pendant qu’à Visa pour l’image on célèbre la photographie du siècle passé, la pratique visuelle effective, au diapason du journalisme d’aujourd’hui, s’arrange pour nous donner, avec un clin d’œil de connivence, ce rêve d’iconographe: l’image de ce qui se passera demain…