Une photo qui ne veut visiblement rien dire

A Culture Visuelle, nous avons pris la (mauvaise) habitude d’interpréter le surmoi médiatique à partir des messages cachés dans l’illustration. Mais si l’on essaie de décrypter le regard franc et le bon sourire du portrait choisi pour la promotion du nouveau directeur de la rédaction de Libération (ci-dessus, cliquer pour agrandir), ce qui frappe le plus est l’impression de neutralité affichée – également soulignée par les titres.

Au moment où les allées et venues du mercato agitent quotidiens en magazines, la venue de l’ex-animateur de la matinale de France-Inter, dont on sait qu’elle trouble les meilleurs esprits, est visiblement traitée avec des pincettes, sans mot de trop ni sourire qui en dirait trop long. A moins qu’il ne faille interpréter l’origine de la prise de vue reprise par les deux journaux (par Miguel Médina/AFP, le 6 septembre 2009 sur le plateau de C Politique sur France 5) comme le rappel discret de l’ADN audiovisuel du nouveau dirlo.

Mieux vaut être riche et bien portant…

Le site « Photos non contractuelles » a été signalé récemment par plusieurs de mes contacts. Celui-ci déclare recenser «les pires différences que l’on peut observer entre les publicités et la réalité» et appelle ses lecteurs à lui faire parvenir des photos.

«La ruine de la théorie indicielle», commente ironiquement un ami. Ce qui n’est qu’à moitié vrai, car si l’illustration de gauche est en effet supposée menteuse, la photo de droite a bien pour mission de rétablir la vérité en dévoilant l’image réelle du produit.

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Egypte: de la révolution dans les images

Traitement radicalement différent de l’insurrection égyptienne, qui a immédiatement donné lieu à une forte circulation d’images – images qui, précédent tunisien aidant, sont clairement présentées sous un angle révolutionnaire, même en l’absence de renversement du régime. On a accès à la fois à une couverture télévisée abondante par les JT français, les signalements de vidéos amateurs se multiplient sur les réseaux sociaux, et on aperçoit déjà des albums compilés de photos de presse (par exemple sur le Big Picture-like TotallyCoolPix)

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Le populisme expliqué aux enfants

On aurait tort de minimiser l’affaire du dessin de Plantu (paru dans L’Express du 19/01/2011, voir ci-dessus). La lepénisation d’un responsable politique – son assimilation au personnage le plus méprisé de la vie publique française – est le plus sévère châtiment de l’establishment médiatique: elle correspond à une mise au ban dont on ne revient pas indemne.

Comme toujours, c’est une image qui est l’arme du crime. Non que l’association Marine Le Pen/Mélenchon n’ait pas fleuri ici où là, comme l’autre jour chez Demorand, qui sait comment chauffer son animal politique. Mais l’image – et plus encore la caricature – est ce vecteur d’un message à la fois parfaitement lisible et parfaitement hypocrite, car jamais assumé jusqu’au bout, autorisant le retrait derrière l’ambiguïté de l’interprétation ou la distance de l’humour.

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15 secondes pour France 5

Lorsqu’Andy Warhol énonce en 1968 l’aphorisme fameux selon lequel chacun aura droit à ses 15 minutes de célébrité (« In the future everyone will be famous for 15 minutes« ), la mention d’une durée si brève a pour fonction de ridiculiser cette gloire factice. Quelque quarante ans plus tard, « Médias, le magazine » (France 5) réduit à 15 secondes la durée moyenne d’expression de ses invités. On n’a pas intérêt à bafouiller.[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=G8Izpm_9n_w[/youtube]

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Le signe de la pensée

On peut s’appeler Sébastien Fontenelle et n’en être pas moins sensible à la contrefaçon. Accueillant avec ironie la Une du dernier numéro d’Alternatives économiques, composée de portraits encadrés sur fond blanc,  Sébastien la rapproche de la couverture des Editocrates, en laissant entendre que le magazine a puisé son inspiration dans le réjouissant pamphlet qu’il a co-écrit avec Mona Chollet, Olivier Cyran et Mathias Reymond.

Je laisse de côté le débat classique en histoire de l’art des sources et des influences (non sans noter toutefois que l’interprétation du motif de la galerie des ancêtres par AE, avec sa légère ombre portée et ses noms propres disposés dans des cartouches, est plus réussie que celle des éditions Press Pocket).

Ce que le rapprochement des couvertures manifeste, c’est une légère différence de posture entre les deux catégories de modèles. Alors que les capitaines d’industrie affichent la sereine frontalité (le cas échéant soulignée par des bras croisés) de ceux qui affrontent les tempêtes sans sourciller, la majorité des éditorialistes (6 sur 9) se caractérise par un appui ou un geste de la main, poncif qui s’interprète dans le portrait classique comme la connotation de l’activité intellectuelle, typique des écrivains, des savants ou des peintres (cliquer pour agrandir).

A l’orée du XXIe siècle, les vielles conventions du portrait peint n’ont pas disparu. Elles perpétuent les distinctions de classe, d’activité ou de statut que nous savons reconnaître d’un seul coup d’œil. Ce qui donne une solide raison pour les encadrer de bois doré.

Investissement visuel

On avait déjà pu observer que l’affaire Bettencourt donnait lieu à un travail iconographique inhabituel. Dans son numéro du 4 novembre 2010, Le Point, qui consacre à nouveau sa Une à l’affaire, réunit en un photomontage les principaux protagonistes de la saga (montage Christophe Thognard à partir de: Hurn/Magnum, Bureau/AFP, Warrin/Sipa; Stevens/Sipa, Witt/Sipa, SAget/AFP, Medina/AFP, voir ci-dessus, cliquer pour agrandir). Plus courant dans la publicité (ou dans les colonnes du journal à sensations Détective), le recours au photomontage pour traiter un événement d’actualité me semble plutôt rare.

Contrairement au collage ambigu de Christine Lagarde, celui-ci, clairement identifié en légende, ne pose aucun problème de légitimité. Il n’en reste pas moins un symptôme intéressant. J’avais évoqué au début de l’affaire un problème de rareté du matériel iconographique. Dans le cas présent, la recherche manifestée me semble indiquer une dimension supplémentaire. Outre la reconstitution d’une impossible réunion de famille, le photomontage (composé de pas moins de 7 photographies) rend visible l’investissement de l’hebdomadaire dans cet événement. A affaire exceptionnelle, traitement sensationnel (et budget en conséquence), semble nous dire cette image.

Une remarque au passage. Pourrait-on observer semblable investissement en ligne? J’en doute. La spatialité de la double-page est nécessaire à la lisibilité du montage. Et on n’a pas l’impression que les moyens alloués à l’iconographie par les rédactions web soit susceptible de faire face à une telle dépense. Le papier reste pour l’instant l’espace privilégié d’un travail visuel approfondi.

Un montage qui ne se voit pas est une retouche

Buzz appréciable pour la couverture représentant une photo de Christine Lagarde collée sur fond d’arcades de l’avenue Daumesnil, dans la feuille locale UMPiste Les Nouvelles du 12e, manipulation dénoncée sur son blog par le conseiller municipal du Parti de Gauche Alexis Corbière. Au-delà du succès toujours garanti de l’effet « jeu des 7 erreurs », sorte de degré zéro du décryptage visuel, plusieurs points me paraissent dignes d’être relevés.

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A la recherche de l'image naïve

Les recherches sur la question de l’illustration ont suggéré que celle-ci constituait un usage élaboré. D’où l’idée qu’il fallait aussi soumettre des formes plus banales d’éditorialisation à l’observation. J’ai profité de mon séjour à Montréal pour me plonger dans la presse locale, à la recherche d’une imagerie plus directe et plus naïve.

Je croyais avoir trouvé un bon exemple avec le visage franc de cette infirmière (ci-contre, cliquer pour agrandir), heureusement indemne après une sortie de route causée par la somnolence, alors qu’elle rentrait chez elle après avoir travaillé 12 heures d’affilée. N’avais-je pas sous les yeux une photo exempte des artifices d’une narrativisation excessive, dans un style brut de décoffrage typique de la PQR?

C’était oublier la règle que je venais d’exposer à l’UQAM, à savoir la force de l’unité du dispositif et son invisibilité. Ce point de vue avait du reste été très désagréablement contredit par une collègue, convaincue au contraire que celui-ci était toujours et partout des plus apparents.

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