Investissement visuel

On avait déjà pu observer que l’affaire Bettencourt donnait lieu à un travail iconographique inhabituel. Dans son numéro du 4 novembre 2010, Le Point, qui consacre à nouveau sa Une à l’affaire, réunit en un photomontage les principaux protagonistes de la saga (montage Christophe Thognard à partir de: Hurn/Magnum, Bureau/AFP, Warrin/Sipa; Stevens/Sipa, Witt/Sipa, SAget/AFP, Medina/AFP, voir ci-dessus, cliquer pour agrandir). Plus courant dans la publicité (ou dans les colonnes du journal à sensations Détective), le recours au photomontage pour traiter un événement d’actualité me semble plutôt rare.

Contrairement au collage ambigu de Christine Lagarde, celui-ci, clairement identifié en légende, ne pose aucun problème de légitimité. Il n’en reste pas moins un symptôme intéressant. J’avais évoqué au début de l’affaire un problème de rareté du matériel iconographique. Dans le cas présent, la recherche manifestée me semble indiquer une dimension supplémentaire. Outre la reconstitution d’une impossible réunion de famille, le photomontage (composé de pas moins de 7 photographies) rend visible l’investissement de l’hebdomadaire dans cet événement. A affaire exceptionnelle, traitement sensationnel (et budget en conséquence), semble nous dire cette image.

Une remarque au passage. Pourrait-on observer semblable investissement en ligne? J’en doute. La spatialité de la double-page est nécessaire à la lisibilité du montage. Et on n’a pas l’impression que les moyens alloués à l’iconographie par les rédactions web soit susceptible de faire face à une telle dépense. Le papier reste pour l’instant l’espace privilégié d’un travail visuel approfondi.

8 réflexions au sujet de « Investissement visuel »

  1. je crois qu’il s’agit plus d’une question de choix d’investissement (à affaire exceptionnelle, investissement exceptionnel mais sur le papier car « on » pense que c’est là que ça vaut le coup d’avoir de la valeur ajoutée) que d’un problème de spatialité. Cette photo serait très lisible sur un iPad par exemple, par contre c’est le contexte éditorial autour de cet objet qu’il faudrait construire. Dans un magazine, c’est l’illustration d’un article. Sur le web, il faudrait presque lui construire une autonomie, sa propre vie, et ça, on a encore du mal à le faire quand la photo nécessite un niveau de connaissances de l’actualité suffisant.

  2. @david carzon: Bonne remarque. Mais justement, pour aller dans votre sens, la question de la spatialité n’est pas réductible au format théorique que pourrait occuper l’image (sur un iPad – ou sur un 27″). Les publications en ligne proposent aujourd’hui grosso modo trois « régimes » aux images: la vignette d’appel en page de sommaire, la photo d’environ 500-600 pixels en illustration unique d’article, le plus grand format étant presque exclusivement réservé à la formule du diaporama en ligne, donc nécessairement à un groupe d’images. Tout se passe comme si le web n’avait pas encore inventé l’équivalent de l’espace de la double-page du magazine: un espace qui est justement celui qui a permis de jouer la carte de l’investissement visuel.

  3. Oui, ce sont encore les usages du print qui s’appliquent au web: la photo illustre l’angle d’un article. Même chose pour le diaporama, c’est juste une manière différente d’illustrer un sujet, mais la logique est la même, c’est le sujet qui compte. Nous sommes dans une logique d’illustration alors que le web permet a priori que la photo ou son auteur soit le sujet. A ce titre, j’aime bien l’application Eyewitness du Guardian pour iPad. Le principe est simple, il est basé sur la photo du jour, mais comme le choix éditorial est bien fait, chacune raconte une histoire.
    Il y aura toujours besoin de photos d’illustration pour le web aussi (selon les trois régimes que vous décrivez effectivement), c’est le reste qui est à inventer. Si on prend l’exemple du photomontage, on peut le rapprocher de ce qu’est en train de devenir l’infographie sur le web. Dans la presse papier, l’infographie servait aussi la plupart du temps à illustrer un papier (souvent pour changer un peu de la photo traditionnelle). Sauf de temps en temps, à affaire exceptionnelle, investissement exceptionnel (on en revient là encore). Aujourd’hui, sur le web, avec l’explosion de l’appétence pour ce qui touche aux données et à leur mise en scène, l’infographie n’a plus besoin d’un article, elle rassemble tous les besoins de lecture et d’informations, elle est devenue autonome, elle est le sujet. Il y a donc une voie possible, une lecture purement web de l’iconographie. Cela change forcément notre perception de ce qu’on attend d’une photo aujourd’hui.

  4. Pour aller dans le même sens, je crois que le fait que cette image ne pourrait pas apparaître sur le web peut se comprendre aussi grâce à un troisième type d’investissement: l’investissement du temps. On sait en effet que l’une des propriétés du web est la réactivité 😉 Il me semble que cette image, dont on reconnait bien la dimension construite, renvoie à un temps de fabrication long, qui s’adapte bien au temps de rédaction d’un magazine hebdomadaire, mais qui ne trouverait pas sa place dans le flux constant des news sur internet. Mais là, il s’agit peut-être plus d’une question d’ « identité visuelle » des infos sur le web que d’une réelle contrainte pratique.

  5. @Valentina : le temps du web, c’est à la fois de la réactivité dans la chaîne de l’info mais aussi du temps pour expliquer des choses complexes (cf ce que je disais sur les infographies en une page). Donc, pour moi, il s’agit d’une identité visuelle à trouver. Et les contraintes sont faites pour être contournées, d’autant plus si elles viennent de tics de la presse écrite

  6. « Une remarque au passage. Pourrait-on observer semblable investissement en ligne? J’en doute. »
    Le web est un média pauvre tant en ce qui concerne la qualité technique nécessaire pour mettre une image en ligne (faible définition des images), qu’en ce qui concerne la qualité moyenne des photos diffusées, réalisées le plus souvent avec des téléphones. Même lorsque la qualité technique de la photographie est excellente, sa reproduction sur le web est extrèmement destructrice. De ce fait les montages (extrèmement fréquents) y sont le plus souvent faits à la serpe en fusionnant des images de mauvaises qualités récupérées sur le web. Et ça n’a aucune importance. La différence entre ces montages vite faits pas cher, et des montages réalisés avec du temps et des images récupérées en haute qualité se verrait à peine. C’est même d’ailleurs sans doute une forme nouvelle d’esthétisme.
    Les news magasine à l’inverse ont été longtemps le lieu de la qualité, et d’ailleurs de la consécration pour les photographes. Faire une double page dans Match autrefois ça valait bien une expo.
    Maintenant l’actualité se fait au téléphone portable ou avec des clichés d’amateurs au bon endroit au bon moment. Pour un journal imprimer une photo d’excellente qualité ou une image pourrie représente le même coût. Mais dans le deuxième cas, ça ne permet pas de faire la différence avec le web. Alors pourquoi ne pas imaginer que ces montages vont se multiplier pour fabriquer des photos d’actualité, même si elles supposent un investissement supplémentaire pour le montage, si elles permettent au print de continuer à différer du web?

  7. @Thierry: Ah oui, bien vu!

    Concernant le web, on est bien d’accord qu’on est dans l’image pauvre. Mais soyons clairs: il s’agit d’un choix éditorial. L’exemple d’Owni montre qu’on peut avoir une politique différente (ce qui suppose évidemment un budget adapté).

    La situation actuelle est une situation de transition, caractérisée par la cohabitation du papier et de l’écran pour les principaux organes présents en ligne, dont aucun n’a fait le choix de privilégier l’édition web (voir le cas typique de la panne des blogs du Monde.fr). La perspective d’une évolution de ce statu-quo est prévisible, qui pourrait par exemple faire apparaître une situation de concurrence liée à la ressource image. Ce n’est pas pour tout de suite, mais franchement, je serai surpris qu’on n’arrive pas à cette étape dans un futur proche. Miser sur l’image peut encore rapporter gros! 😉

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