Nicolas 1er au Congo

La dernière couv’ de L’Express (3 novembre 2010) apporte un cas simple mais flagrant de métamorphose illustrative d’une photographie de reportage. Ayant obtenu les bonnes feuilles du nouveau livre de Dominique de Villepin, L’Esprit de cour (Perrin), l’hebdo met en avant cette exclusivité sous le titre « Sarkozy et sa cour ». Pour figurer ce récit, la rédaction recourt à une photographie d’Eric Feferberg (AFP) réalisée le 26 mars 2009 à Brazzaville, au parlement congolais, alors que le président français attend de prononcer son discours (ci-dessus, source: ImageForum).

Choisie parmi les images où Sarkozy présente un visage sévère, fortement recadrée, l’illustration de couverture met l’accent sur le fauteuil Louis XVI et le drapé bleu roi, autant de signes monarchiques qui rappellent l’iconographie des souverains français – la variante de la position assise ajoutant à l’ensemble une connotation bienvenue de « roi fainéant ».

La condition de cet usage fictionnel de l’image est sa décontextualisation, qui s’effectue par l’omission du légendage. Le décor dans lequel se trouve Nicolas Sarkozy n’ayant rien à voir avec l’Elysée ni même avec la France, l’information « Brazzaville, 2009 » risquerait de contredire le projet narratif élaboré par la rencontre du titre et de l’image. Son absence permet au contraire de lire l’énoncé « Sarkozy et sa cour » comme un commentaire appuyé sur l’objectivité photographique.

Pas de retouche dans cette image, qui fera moins parler d’elle que le collage de Christine Lagarde dans Les Nouvelles du 12e. Pourtant, utiliser un décor d’emprunt pour pointer les dérèglements élyséens sans en avertir le lecteur n’est pas une manipulation moins problématique.

4 réflexions au sujet de « Nicolas 1er au Congo »

  1. D’accord avec vous sur la manipulation. Mais je ne suis pas sûre que la mention « Congo, Brazzaville, 2009) affaiblisse en quoi que ce soit le sens de cette image. Pour moi, ce serait plutôt le contraire : la photo s’enrichit en plus du contexte africain (pas forcément du Congo), de ces rois africains richissimes, mégalomanes et cruels oppresseurs de leur peuple. Et en plus me rappelle le discours de Dakar, avec les Africains pas encore entrés ou pas assez dans l’histoire. On a donc là, si on lit bien la légende, un roi barbare, ignare, dans toute la gloire de son importance au sein sa tribu, dont la puissance n’est freinée par aucune règle autre que celles des pays étrangers et colonisateurs avec lesquels on s’est commis. Ouais, faudrait mettre la légende, elle en dit bien plus long que l’image seule !

  2. @Carole: Vous avez peut-être raison, mais ça n’a pas été le choix de L’Express. Même si elle ne semble choquer personne (elle ne fait en tout cas l’objet d’aucun commentaire critique sur des médias prompts à dénoncer la retouche, comme Arrêt sur images), la décontextualisation est une pratique très répandue qui permet un usage allégorique ou narratif des photographies de reportage. Il faut compléter cette observation par le constat que le choix du titre produit une recontextualisation de l’image, qui l’associe fermement à son nouvel environnement éditorial (dans L’Express, le phénomène de cour décrit par Villepin). Peut-être mon propre titre et l’évocation africaine de mon billet a-t-elle joué pour vous un rôle équivalent, en produisant une nouvelle série d’associations – ce qui serait intéressant.

  3. Manipulation certes, mais je la trouve moins malhonnête que celle des Lagarde boys (and girls I suppose).

    Car là il fallait cacher aussi bien les signes de vieillissement (ce qui pouvait, sur un critère d’élégance, se concevoir) que les signes de richesse. Ce qui me choque plus, car c’est un signe que la richesse de la dame est un possible chasse électeurs qu’il convient de cacher.

    Et sa pertinence avec ce qu’est réellement le règne de Minimoi 1er est incontestable.

    Quand même, voir ça dans l’Express…

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