Le calendrier ou la place de l'image

Au supermarché ou dans les papeteries, comme chaque année, en même temps que les présentoirs de fêtes, les calendriers illustrés sont de retour. Tradition séculaire du saut de l’an qui voyait arriver les colporteurs pour mettre à jour ces discrets outils de décompte du temps, et avec eux, la présence des images au cœur des foyers.

La préoccupation pour l’imagerie populaire s’est volontiers focalisée sur le palmarès des « icônes », photos célébrées par l’univers médiatique, promues au rang de visions d’une prétendue « mémoire collective« . Rien de plus facile que de reconnaître, derrière ces succédanés d’œuvres et leurs héroïques auteurs, la grille fatiguée de l’histoire de l’art. Pendant ce temps, des millions de produits d’édition peuplent notre univers de façon modeste, cachés dans les replis du quotidien, et font l’ordinaire oublié de l’industrie des images.

N’en déplaise aux étudiants qui s’acharnent à me proposer des mémoires consacrés à l’œuvre de Jeff Wall, le calendrier illustré est un objet mille fois plus intéressant, plus mystérieux et plus significatif que les exercices rhétoriques de l’artiste canadien.

Ce support d’image la mobilise à la façon du gadget, qui associe une fonction décorative à un accessoire utile (A. Moles, Psychologie du kitsch. L’art du bonheur). Si l’on se dit que l’image fixe, en dehors du marché de l’art, n’a jamais réussi à s’imposer comme produit consommable autonome, à la manière du disque pour la chanson, mais toujours comme une fonction ajoutée à d’autres, peut-être le calendrier nous livre-t-il le cas exemplaire de la place qu’occupe en réalité l’image dans la culture populaire.

Une place dont la modestie explique des évolutions qui restent sinon largement incompréhensibles. Et qui permet d’installer les images dans un rapport de familiarité qui est leur véritable atout.

Les blogs du Monde.fr en panne pendant 3 jours

Imagine-t-on un quotidien national qui fermerait boutique durant trois jours sans la moindre explication? Alors que la plupart des sites de presse tirent désormais une bonne partie de leur audience du complément gratuit fourni par les blogueurs hébergés, la plate-forme de blogs du Monde.fr, qui accueille quelque 815 blogs actifs, a été mise en panne entre le mercredi 10 novembre à 12h et le vendredi 12 novembre vers 18h, suite à une erreur de manipulation d’un informaticien. Mis à part une vignette de signalement (voir ci-contre), aucune explication n’a été fournie, ni aux lecteurs, ni aux blogueurs, durant cet intervalle  d’une durée exceptionnelle.

Continuer la lecture de Les blogs du Monde.fr en panne pendant 3 jours

Investissement visuel

On avait déjà pu observer que l’affaire Bettencourt donnait lieu à un travail iconographique inhabituel. Dans son numéro du 4 novembre 2010, Le Point, qui consacre à nouveau sa Une à l’affaire, réunit en un photomontage les principaux protagonistes de la saga (montage Christophe Thognard à partir de: Hurn/Magnum, Bureau/AFP, Warrin/Sipa; Stevens/Sipa, Witt/Sipa, SAget/AFP, Medina/AFP, voir ci-dessus, cliquer pour agrandir). Plus courant dans la publicité (ou dans les colonnes du journal à sensations Détective), le recours au photomontage pour traiter un événement d’actualité me semble plutôt rare.

Contrairement au collage ambigu de Christine Lagarde, celui-ci, clairement identifié en légende, ne pose aucun problème de légitimité. Il n’en reste pas moins un symptôme intéressant. J’avais évoqué au début de l’affaire un problème de rareté du matériel iconographique. Dans le cas présent, la recherche manifestée me semble indiquer une dimension supplémentaire. Outre la reconstitution d’une impossible réunion de famille, le photomontage (composé de pas moins de 7 photographies) rend visible l’investissement de l’hebdomadaire dans cet événement. A affaire exceptionnelle, traitement sensationnel (et budget en conséquence), semble nous dire cette image.

Une remarque au passage. Pourrait-on observer semblable investissement en ligne? J’en doute. La spatialité de la double-page est nécessaire à la lisibilité du montage. Et on n’a pas l’impression que les moyens alloués à l’iconographie par les rédactions web soit susceptible de faire face à une telle dépense. Le papier reste pour l’instant l’espace privilégié d’un travail visuel approfondi.

Nicolas 1er au Congo

La dernière couv’ de L’Express (3 novembre 2010) apporte un cas simple mais flagrant de métamorphose illustrative d’une photographie de reportage. Ayant obtenu les bonnes feuilles du nouveau livre de Dominique de Villepin, L’Esprit de cour (Perrin), l’hebdo met en avant cette exclusivité sous le titre « Sarkozy et sa cour ». Pour figurer ce récit, la rédaction recourt à une photographie d’Eric Feferberg (AFP) réalisée le 26 mars 2009 à Brazzaville, au parlement congolais, alors que le président français attend de prononcer son discours (ci-dessus, source: ImageForum).

Continuer la lecture de Nicolas 1er au Congo

Un montage qui ne se voit pas est une retouche

Buzz appréciable pour la couverture représentant une photo de Christine Lagarde collée sur fond d’arcades de l’avenue Daumesnil, dans la feuille locale UMPiste Les Nouvelles du 12e, manipulation dénoncée sur son blog par le conseiller municipal du Parti de Gauche Alexis Corbière. Au-delà du succès toujours garanti de l’effet « jeu des 7 erreurs », sorte de degré zéro du décryptage visuel, plusieurs points me paraissent dignes d’être relevés.

Continuer la lecture de Un montage qui ne se voit pas est une retouche

Iron Man, homo faber

Mes fils m’ont prêté hier le DVD Iron Man 2. Fascinante introduction de Vanko en forgeron. IM organise la confrontation de deux technologies fondamentales et opposées. Celle de la machine, à l’ancienne, qui se voit et se martèle, celle de l’homme fort: la technologie de l’armure, qui a besoin d’énergie (un cœur), et qui se rattache par l’imagerie à la bagnole (montage/démontage par les robots assembleurs). Celle de l’ordinateur, moderniste, fluide et évanescente, qui se résume à de l’imagerie 3D manipulable, technologie assez évidemment féminine (même si mise en voix par un masculin « Jarvis »), en son service essentiellement auxiliaire. L’homme de fer vs l’image servante, la fusée vs l’ordinateur, l’Audi vs l’iPhone, autrefois vs demain. Je vais me faire écharper par les Ironophiles si je parle d’une ode zemmourienne à la nostalgie de la bagnole (et à la puissance perdue du Stars and Stripes). Pourtant, comme le montre le papa de Tony Stark, le mot « technologie » ne peut se prononcer qu’au passé. L’enjeu du contemporain, c’est sa disparition.

A la recherche de l'image naïve

Les recherches sur la question de l’illustration ont suggéré que celle-ci constituait un usage élaboré. D’où l’idée qu’il fallait aussi soumettre des formes plus banales d’éditorialisation à l’observation. J’ai profité de mon séjour à Montréal pour me plonger dans la presse locale, à la recherche d’une imagerie plus directe et plus naïve.

Je croyais avoir trouvé un bon exemple avec le visage franc de cette infirmière (ci-contre, cliquer pour agrandir), heureusement indemne après une sortie de route causée par la somnolence, alors qu’elle rentrait chez elle après avoir travaillé 12 heures d’affilée. N’avais-je pas sous les yeux une photo exempte des artifices d’une narrativisation excessive, dans un style brut de décoffrage typique de la PQR?

C’était oublier la règle que je venais d’exposer à l’UQAM, à savoir la force de l’unité du dispositif et son invisibilité. Ce point de vue avait du reste été très désagréablement contredit par une collègue, convaincue au contraire que celui-ci était toujours et partout des plus apparents.

Continuer la lecture de A la recherche de l'image naïve

L'imaginaire démocratique, meilleur allié de l'autocratie française

Hier, au colloque « Imaginaires du présent« , Natalia Lebedinskaia (Concordia University) analysait les pratiques d’auto-représentation développées par le mouvement d’opposition au régime iranien en 2009. Face à la volonté gouvernementale d’effacer ou de minimiser l’expression de la contestation, l’habitude fut prise de filmer et de photographier les manifestations (voir ci-dessus), puis de faire circuler ces images par l’intermédiaire des grands réseaux sociaux, pour apporter un témoignage direct de l’expérience vécue. Aujourd’hui soigneusement archivée par la bibliothèque du Congrès, cette contre-propagande a permis de prendre conscience de l’ampleur de la protestation à l’échelle internationale.

Au moment où il nous faut consulter le Boston Globe pour apercevoir l’image de ce qui se passe en France, je ne pouvais m’empêcher de penser que la condition du développement de cette stratégie de communication avait été la conscience de s’opposer à un régime dictatorial, dans un contexte d’information manipulée.

J’ai lu les réactions horrifiées de quelques historiens face aux tentatives de nommer le type de dirigisme qui s’exerce aujourd’hui, prompts à nous assurer que la dictature est loin puisque la devise « Liberté, égalité, fraternité » est toujours inscrite au fronton des mairies. J’admire le sens historique de ces collègues et leur robuste foi dans les actes de langage. Pour ma part, je pense que le type de régime dans lequel on vit ne s’évalue pas en fonction des assurances délivrées par le porte-parole de l’UMP, mais à ce qu’on peut constater dans le réel du respect des expressions adverses. La démocratie se juge à ses effets, pas à son architecture institutionnelle. Continuer à penser que la République protège la diversité des opinions est visiblement une erreur d’analyse. Adapter notre compréhension à la réalité que chacun de nous peut observer pourrait en revanche avoir des conséquences utiles.

Bois, ceci est du vin…

Parfois, il y a des images qui m’arrêtent sans que je comprenne bien pourquoi. Comme ce cubitainer au supermarché, avec son image si ostensible de la bouteille et du verre. Juste le rappel insistant de cette fonction aussi vieille que l’image: la figuration – ce qui fait exister quelque chose en représentation, un cran en-deça de l’objet, pas tout à fait réel, mais presque.

Rien de très mystérieux. Et en même temps, on sent bien ici la nécessité de la figura. Plus qu’un autre, ce breuvage est lié à l’imaginaire d’une consommation traditionnelle. Du vin en cubi, ce n’est pas comme de la bière en canette, c’est une boisson noble ramenée à son état de liquide vulgaire, un rouquin qui a perdu toute allure, de la piquette en boîte. L’image est là pour racheter cette déchéance, à grand coups de reflets et de filets dorés, plus bouteille que moi tu meurs, sur fond évidemment bordeaux.

Comme le visuel en forme de timbre sur nos logiciels de messagerie ou la sonnerie du téléphone reconstituée sur nos portables, la bouteille appartient-elle aux usages déclinants dont il ne restera bientôt que le souvenir en image?

Ce qui me frappe, c’est que si on achète le cubi, à chaque fois qu’on l’utilise, on ne pense pas à l’emballage en carton, mais bien au vin en bouteille. La présence de l’image suffit à mettre en marche l’imaginaire lié à l’objet. De là à dire que le rouge en boîte se consomme à peu de choses près comme l’eucharistie…