Au supermarché ou dans les papeteries, comme chaque année, en même temps que les présentoirs de fêtes, les calendriers illustrés sont de retour. Tradition séculaire du saut de l’an qui voyait arriver les colporteurs pour mettre à jour ces discrets outils de décompte du temps, et avec eux, la présence des images au cœur des foyers.
La préoccupation pour l’imagerie populaire s’est volontiers focalisée sur le palmarès des « icônes », photos célébrées par l’univers médiatique, promues au rang de visions d’une prétendue « mémoire collective« . Rien de plus facile que de reconnaître, derrière ces succédanés d’œuvres et leurs héroïques auteurs, la grille fatiguée de l’histoire de l’art. Pendant ce temps, des millions de produits d’édition peuplent notre univers de façon modeste, cachés dans les replis du quotidien, et font l’ordinaire oublié de l’industrie des images.
N’en déplaise aux étudiants qui s’acharnent à me proposer des mémoires consacrés à l’œuvre de Jeff Wall, le calendrier illustré est un objet mille fois plus intéressant, plus mystérieux et plus significatif que les exercices rhétoriques de l’artiste canadien.
Ce support d’image la mobilise à la façon du gadget, qui associe une fonction décorative à un accessoire utile (A. Moles, Psychologie du kitsch. L’art du bonheur). Si l’on se dit que l’image fixe, en dehors du marché de l’art, n’a jamais réussi à s’imposer comme produit consommable autonome, à la manière du disque pour la chanson, mais toujours comme une fonction ajoutée à d’autres, peut-être le calendrier nous livre-t-il le cas exemplaire de la place qu’occupe en réalité l’image dans la culture populaire.
Une place dont la modestie explique des évolutions qui restent sinon largement incompréhensibles. Et qui permet d’installer les images dans un rapport de familiarité qui est leur véritable atout.
Il doit bien exister des calendriers Jeff Wall ceci dit 😉
À l’école d’art de Rennes, une équipe de recherche a été montée dans le département communication avec, entre autres projets, l’exploration du fonds Oberthür : 150 ans de calendriers des postes !
à propos de calendriers, ce post de Baptiste Coulmont : Les calendriers érotiques (je lui signalais justement en commentaire le programme de recherche mentionné plus haut)
Merci du signalement. Il existe pas mal d’albums consacrés aux pin’up (qui constituent évidemment un bon produit d’édition ;), dont ceux de Taschen ne sont pas sans intérêt. D’après ce que j’ai cru comprendre, le phénomène se développe massivement à l’occasion de la 2nde guerre mondiale et du déploiement des troupes américaines. Ses liens avec la publicité en font un phénomène particulièrement intéressant. Mais il y a aussi tout ce qui appartient au registre « kawaii » (mignon), qu’on redécouvre avec internet et les chatons, et qui est un autre ressort puissant de l’édition utilitaire.
A coté de la place de l’image, il y a la place du calendrier. 🙂
Je ne me souviens pas avoir vu un calendrier érotique dans une société de service. par contre, il est toujours en bonne place dans la plupart des usines que j’ai eu l’occasion de photographier.
Bon, dès qu’on parle de calendrier, c’est visiblement toujours le même sujet qui intéresse les mecs 😉
Dans la tradition US, dont est issue la pratique de la pin’up, on cite notamment la station-service comme lieu emblématique de l’affichage avant-guerre. Mais il y a visiblement des lieux variés qui peuvent accueillir ce genre d’iconographie: j’ai eu par exemple l’occasion d’en photographier dans l’atelier d’une boutique de location de ski.
Le célèbre calendrier Pirelli, qui en est à sa 46e année, est semble-t-il assez répandu au-delà de l’usine…
Le Pirelli a un statut social à part. C’est un objet de collection, je suppose donc qu’on le trouve pas dans les ateliers et les vestiaires mais dans les bibliothèques des cadres.
Les calendriers dits de camionneur relèvent d’une tradition où certains boulot étaient exclusivement masculin et où la virilité se portait en étendard sans mauvaise conscience… J’ai déjà eu des ennuis avec un syndicaliste qui avait l’impression que j’allais donner une mauvaise image de l’entreprise parce que je photographiais un vestiaire tapissé de calendriers sexy. Je pense d’ailleurs qu’ils doivent progressivement disparaître des grosses boites parce que politiquement incorrect.
Ce serait intéressant de savoir si celui du stade français (rugbymen à poil) se retrouve dans les bureaux majoritairement féminins. Je n’en ai jamais vu.
Si tu te promènes dans les papeteries ou les supermarchés, tu verras que les calendriers « de camionneur » ne représentent pas, et de loin, la catégorie la plus typique. De même, je ne nie pas que l’environnement de travail constitue un endroit intéressant à observer, mais il ne faudrait pas oublier le lieu privilégié du calendrier, qui est le domicile (et au sein du domicile, me semble-t-il, de préférence la cuisine).
Un calendrier au travail a une fonction approximativement inverse d’un calendrier en intérieur. L’information temporelle sert peu, c’est l’image qui prime. Au domicile, au contraire, la fonction décorative est seconde, c’est l’utilité calendaire qui l’emporte. Dans les deux cas, néanmoins, le calendrier apparaît comme un objet social, et le choix de l’illustration doit tenir compte de la population concernée. D’où, en intérieur, le choix d’une imagerie ultra-consensuelle – florale, touristique, artistique ou kawaii – que l’on peut rapprocher de la bibeloterie de salon.
Cette consommation d’une image sans importance, qui fonde l’édition utilitaire, forme à mon avis un paradigme essentiel pour comprendre notre rapport à l’image – qui ne se limite pas à « l’image-choc » ou à la « performance des images ». La présence au quotidien de l’image est faite d’images sans importance: l’industrie des images n’existerait pas sans cette condition préalable (paradoxalement, je pense que c’est sur ce caractère secondaire que s’appuie la tolérance pour les calendriers érotiques, qui seraient beaucoup plus difficiles à faire admettre socialement si on prenait plus au sérieux l’image qu’ils véhiculent).
Je me demande dans quelle mesure les calendriers « de camionneurs » mais aussi de « maçons », de « garagistes »… ne sont pas offerts pour la nouvelle année par des fournisseurs de carburants, de ciment ou d’huile de vidange… C’est un peu une autre forme d’objet publicitaire où la marque n’est pas associée à ses référents habituels mais à l’érotisme en général, c’est drôlement intéressant !
@Alexie: c’est toujours offert par les fournisseurs.
Le fabricant italien de cercueils (sic) Confani Funebri propose un calendrier intéressant:
http://copyranter.blogspot.com/2010/11/mildly-nsfw-its-your-2011-coffin-cuties.html
Il y a parfois un caractère obligatoire dans l’achat d’un calendrier qui ne sera pas nécessairement utilisé. J’achète tous les ans un calendrier à noël à ma factrice. C’est un contre-don pour ses étrennes qui rend socialement plus élégant un don en numéraire. Le plus intéressant c’est que bien que ce calendrier finisse toujours assez rapidement dans la poubelle, je n’en passe pas moins quelques minutes à chercher celui dont l’image me déplaît le moins. 🙂
@ Patrick J’aurais adoré avoir la commande même si je dois reconnaître que mon book rend la chose extrêmement peu probable. 🙂
@ André : Certes, dans un intérieur domestique, « c’est l’utilité calendaire qui l’emporte », mais j’ai tout de même l’impression que les calendriers proposés aujourd’hui (ceux par exemple tu as photographiés en illustration de ton billet) mettent les images beaucoup plus en valeur que leurs antécédents de notre enfance qui se composaient plus souvent d’un support cartonné un peu illustré et d’un empilement de feuilles mensuelles sans images. Il y a moins de place, dans les calendriers actuels vendus en librairie pour écrire dessus, et beaucoup plus d’espace réservé aux images en soi.
Par ailleurs, ce type de calendrier puise aussi largement dans l’héritage consensuel des beaux-arts, ce qui m’inciterait à supposer qu’il ne s’agit peut-être pas d’un produit si populaire que ça. Mais il faudrait vérifier.
Les calendriers photographiés en illustration du billet sont souvent utilisés comme cadeau. De ce fait, l’acheteur ne cherche pas à proprement parler l’image consensuelle, mais au contraire celle qui montre que l’on connait les goûts de la personne à qui on va l’offrir. C’est un peu l’opposé du calendrier des PTT. Même si je reconnais que des thèmes tels que « Kittens », « Gardens » ou « Marylin » ne sont pas à priori d’une folle originalité…
@ Sylvain: cette attention accordée au support ne serait-il pas simplement la conséquence des améliorations techniques de mise en page et d’impression ? Aujourd’hui il est facile, à moindre coût d’imprimer de la couleur à chaque page…
Il y a plusieurs formats de calendrier, qui ne sont pas forcément illustrés. Si l’outil informatique a progressivement pris en charge les fonctions calendaires, il n’était pas rare de trouver dans un foyer plusieurs objets correspondants à ces divers usages – bloc, agenda, calendrier tabulaire, pliant, etc. La plupart de ces formats sont anciens, et la forme illustrée est attestée depuis le calendrier des Bergers à la fin du XVe siècle (l’almanach, qui est l’ancêtre de tous les gadgets, est simultanément l’un des plus anciens objets d’édition et de colportage).
Il est tout à fait juste de remarquer que le calendrier illustré est volontiers un objet offert – notamment dans un cadre professionnel – mais cela ne modifie pas la problématique et renforcerait plutôt l’idée de l’image sans importance. Une entreprise spécialisée dans le calendrier comme Brown & Bigelow, qui employait le célèbre auteur de pin’up Gil Elvgren, déclinait ses illustrations sur une vaste gamme de supports: blocs-notes, buvards, cartes postales, boîtes d’allumettes, jeux de cartes, etc.
Les kiosques numériques, comme les IRL, se mettent aussi à diffuser le calendrier : http://www.staragora.com/ (j’ai des excuses totalement futiles pour être tombé sur cette page).
Donc « les filles de rédaction de Staragora vous proposent : le calendrier de Justin Bieber ».
Vu aussi chez Office Depot (pas de photo, hélas) : « le calendrier 2011 : affichez-le maintenant vous le verrez plus longtemps ». L’envie de regarder plus longtemps s’applique aux images, je suppose, car je ne vois pas vraiment la raison d’afficher des dates non pertinentes.